Devika Akka et Sudha, deux femmes trans élues maires de leurs villages en Inde

Publié le Mardi 12 Janvier 2021
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Devika Akka et Sudha, deux femmes trans élues maires de leurs villages en Inde
Devika Akka et Sudha, deux femmes trans élues maires de leurs villages en Inde
Au terme d'élections historiques, Devika Akka et Sudha, deux femmes trans indiennes, ont pris les commandes du "gram panchayat" de leurs villages, une sorte de gouvernement local dédié aux petites municipalités. Une véritable avancée pour la visibilité LGBT+.
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Les résultats ont été annoncés mercredi 30 décembre. Devika Akka, une femme transgenre, a été élue dans le quartier 7 du panchayat de Saligrama, avec 115 voix dont 5 d'avance sur son concurrent, tandis qu'une autre femme transgenre connue sous le nom de Sudha a remporté celui de Kallahalli, par 622 bulletins. Les "gram panchayats" incarnent les gouvernements locaux qui dirigent les villages indiens, où des élections ont lieu tous les cinq ans. On en compte 265 000 en Inde. Cette année, les urnes ont permis "une grande victoire" et un "exemple d'inclusivité pour la communauté LGBT+", se réjouit le média IBT.

Servir le peuple et "tous leurs problèmes"

Devika Akka, 46 ans, raconte avoir été encouragée par ses ami·e·s à se présenter. A Saligrama, elle vit depuis 35 ans, mais à l'âge de 16 ans, elle décide de partir de chez elle. "J'ai grandi en jouant et en dansant dans des pièces de théâtre. Les pièces étaient jouées lors de festivals et nous jouions des histoires de la mythologie. C'est en participant à des pièces de théâtre que j'ai réalisé que je commençais à m'identifier en tant que personne transgenre", raconte-t-elle à The News Minute. "J'ai alors déménagé".

Elle trouve du travail dans une banlieue de l'est de Mumbai, en vivant avec des membres de la communauté LGBT+. "J'ai survécu en mendiant. Je vivais avec mes amis et je me rendais souvent chez moi à Saligrama", se souvient-elle.

De retour pour de bon dans son village, elle ne veut aujourd'hui plus en partir. Par ailleurs, pendant la campagne, elle confie avoir reçu un accueil chaleureux de la part des villageois·e·s. "Lorsque je me suis rendue chez les gens pour récolter des votes, ils ont eu des mots gentils pour moi. Maintenant qu'ils m'ont fait confiance, je vais m'efforcer d'être à la hauteur de leurs attentes. Les gens m'ont béni. Je vais travailler pour eux", déclare-t-elle aux médias le soir de sa victoire.

Son but, elle le clame haut et fort : servir le peuple. Elle insiste d'ailleurs pour que les citoyen·ne·s se sentent à l'aise de venir la voir pour "tous leurs problèmes". "Je vais écouter les préoccupations des résidents de ma localité et mettre en évidence les problèmes qu'ils me soumettent. Je serai disponible pour [elles et eux], même pour les plus petits besoins".

SJ Gunapal Jain, un ancien membre du gram panchayat du village de Saligram présent sur la scène politique depuis 40 ans, a précisé que Devika était la première personne transgenre à être élue au gouvernement du village. "Les locaux ont voté pour elle, en particulier les habitants de sa colonie", détaille-t-il au Times of India. "Cela l'a aidée à réaliser cet exploit. Elle ne s'est identifiée à aucun groupe, équipe ou parti politique".

En Inde, les transgenres marginalisé·e·s

Un exploit, sans aucun doute, surtout dans un pays où la stigmatisation et la discrimination des minorités de genre persistent. Et où celles-ci ne sont pas assez protégées par l'Etat, ni prises en considération par les autorités locales. En Inde par exemple, les auteurs de viols sur femmes transgenres écoperont d'une peine de six mois à deux ans, contre dix ans lorsque la victime est une femme cisgenre. Des inégalités aux conséquences redoutables.

Ces lois "rendent presque impossible pour les personnes transgenres d'obtenir justice", dénonce l'activiste trans Daina Dias à CNN, qui témoigne de l'hostilité rencontrée dans toutes les strates de la société, même au sein des mouvements féministes. "Lorsque je vais manifester contre les agressions sexuelles et les viols, les femmes en tête de file me disent que je n'ai pas ma place ici. Les gens ont le sentiment que nous en demandons trop, que notre mouvement pour l'égalité n'est pas important", déplore-t-elle. Une réalité glaçante, que ces élections pourront, urgemment on l'espère, contribuer à faire évoluer.