Ovidie a touché juste.
L'autrice de La chair est triste hélas, essai féministe et best seller en son genre toujours sur les devantures des librairies ces deux dernières années, a pris la parole sur France Culture, et a suscité une large indignation.
Pourquoi ? Car elle est revenue sur ses convictions intimes. Quitte à scandaliser. Réussi : plus de 1 000 commentaires émaillent son témoignage. C'est colossal. Surtout vu la non-offensivité de sa démarche initiale...
Autrement dit : stopper tout coït hétéro dans la vie de tous les jours, tout désir de séduire les hommes, tout acte sexuel en compagnie de ces messieurs. Une expérience sur laquelle elle est beaucoup revenue et qui cristallise énormément de formes de militances féministes : la grève du sexe, une longue tradition politique, le rapport au regard masculin, les enjeux de séduction, l'acte sexuel ou "capital sexuel" comme composante de la condition féminine, le "marché de la séduction", etc
Arrêter le sexe avec les hommes. Cela n'a l'air de rien, mais l'idée choque... Les femmes.
Ovidie a dit les mots.
Sur France Culture, elle étaye sa prise de position : sa hot take.
Relatant : "Ce n'est pas juste arrêter le coït. C'est tout ce que cela implique d'être une femme. C'est arrêter de vivre ce moment où ça fait mal mais que l'on ose pas demander l'interruption du rapport sexuel, l'idée qu'on ait intériorisé la douleur en tant que femme, c'est comme lorsque l'on s'épile le pubis... On croit qu'on fait tout ça pour soi mais on le fait pour l'autre, pour séduire".
Donc on peut le dire : Ovidie a une démarche incarnée, qui semble "radicale", mais tutoie en vérité des actions et pensées féministes traditionnelles, afin d'inciter à la réflexion : quelle est la place de la sexualité dans nos vies ? Pourquoi vouloir toujours séduire l'autre ? Qu'est-ce que cela raconte sur le patriarcat ? La condition féminine et ses injonctions, pressions diverses, comme le makeup, l'adieu au poil, la beauté et l'esthétique en général ? Ainsi que sur nos sexualités à l'heure des applis de rencontre ?
Et surtout : le peu d'attention accordé au plaisir féminin, car il est encore question de cela ?
Il y a matière à méditer.
Ce qui est hallucinant par contre c'est l'abondance de commentaires (des centaines !) engendrés par ce témoignage. Car on observe beaucoup d'hommes, naturellement, mais aussi, beaucoup de femmes, s'indigner de ce qu'Ovidie raconte, sur le compte Instagram de France Culture.
Florilège : "On prend soin de soi, non pas pour être « désirables » mais pour se faire plaisir à soi-même…", "Y a des hommes qui n'ont absolument rien à voir avec ça", "Que c'est réducteur et que c'est triste.", "Elle a jamais dû connaître l'amour"
Commentaires qui témoignent d'un inconfort, d'une certaine résignation, d'un certain déni, d'une envie certainement d'ignorer ces pressions qu'inconsciemment l'on intériorise, en tant que femme, et en tant qu'homme - car les réflexions d'Ovidie embrassent globalement les oppressions patriarcales, qui par définition concernent les deux sexes, toutes celles que Virginie Despentes déjà éclairait dans son indispensable King Kong Théorie.
Tant et si bien que Pénélope Bagieu, l'autrice des Culottées, y va de sa réaction salutaire, qui synthétise avec fluidité un certain constat : "Les commentaires montrent tellement à quel point elle balance un pavé dans la mare en disant ça. Il y en a que ça blesse visiblement si fort d’envisager que plaire aux hommes n’est pas la finalité absolue pour une femme", lit-on encore en commentaire.