Culture
« À l'aveugle » : Lambert Wilson, version noire
Publié le 7 mars 2012 à 09:48
Par Marine Deffrennes
Un meurtrier en série défait les certitudes d'un flic qui n'a plus rien à perdre et l'entraîne dans sa chute. Xavier Palud réunit Jacques Gamblin et Lambert Wilson dans « À l'aveugle » (le 7 mars au cinéma), un thriller psychologique imprévisible qui explore le côté sombre de ces deux comédiens discrets. Interview.
« À l'aveugle » : Lambert Wilson, version noire « À l'aveugle » : Lambert Wilson, version noire© Jessica Forde © 2011 EuropaCorp – France 2 Cinema
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Terrafemina : Dans « À l’aveugle », vous incarnez Narvik, auteur de meurtres en série. C’est un rôle dans lequel on ne vous attendait pas forcément. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?

Lambert Wilson : Je pense que je vais répondre la même chose que Jacques Gamblin, j’ai bien aimé ce qu’il m’a dit un jour sur le tournage : « ce film, pour toi et moi, c’est une bonne occasion de changer de crémerie ». En fait c’était la possibilité effectivement d’entrer dans un registre différent ; c’est-à-dire celui du thriller psychologique, avec des personnages de films d’action plus anglo-saxons que français. Pour ma part j’ai déjà joué des rôles de « super méchant » au fil de ma carrière, mais je n’ai pas fait de méchant dans un film de ce genre-là. Je veux dire que là où on pense que le film va être un thriller gore, il vire vers le psychologique, où finalement le sujet le plus important va être la relation entre ces deux hommes et leur fascination l’un pour l’autre.

Tf : Le fait que votre personnage soit aveugle représentait-il un défi intéressant à relever ?

L. W. : En effet le défi numéro un était la cécité, c’est comme un exercice de style, on a vu beaucoup d’acteurs faire l’aveugle, et on se demande « comment je vais faire le mien ? » Toute cette partie m’excitait, c’est une recherche, un challenge. La production a contacté l’association Valentin Haüy (Paris, 7e), un centre pour aveugles avec des cours de braille et de déambulation. J’ai été pris en charge comme l’aurait été un aveugle. J’ai dû apprendre à me déplacer, monter des marches, ça paraît très simple dans le film, mais il y a une façon spécifique de placer la canne, il fallait acquérir des réflexes, des gestes à ne plus faire pour être crédible. Ça m’a permis de développer un instinct. Il y a par exemple un exercice qui consiste à marcher le long d’une rue en jugeant de la ligne droite par le son des voitures et des motos. On corrige votre tir, s’il n’y a pas de voiture, vous vous arrêtez, vous devez ressentir le parallélisme. C’est épuisant ! Ça demande une concentration incroyable. On découvre tous les obstacles qui parcourent le chemin des aveugles. Depuis j’éprouve une compassion immense pour eux, et leur quotidien est devenu très concret pour moi.

Extrait :


Tf : Cet homme cruel n’est pas aussi noir qu’on le croit, il devient même attendrissant au gré du film. Comment avez-vous travaillé cette ambivalence du personnage ?

L. W. : Ce personnage me plaisait, parce qu’il a une faille, j’aime ce genre de personnalité cassée, douloureuse. Il a un mystère : on le voit dans la majeure partie du film, seul, neutre, comme s’il n’avait pas de vie. On peut projeter des choses sur lui. Ce côté millefeuille du personnage était très intéressant. Cette faille chez lui, je l’ai faite mienne. Il a perdu des êtres chers, et sa raison de vivre. Ca me paraissait assez proche de moi. Ces zones sombres, je les ai fréquentées, elles me paraissaient identifiables. Il y a un peu un arc de cercle à 180° entre le meurtrier et celui qui a une douleur intérieure. C’est difficile à faire passer. Mais c’est au public de juger si le personnage est crédible ou pas...

Tf : Comment s’est formé ce duo très particulier avec Jacques Gamblin, entre le flic et le coupable ?

L. W. : Il suffit de regarder l’affiche, il y a quelque chose qui me frappe au premier coup d’œil, un truc entre nous, une similarité. Nous avons presque le même âge, il y a une ressemblance physique, même dans nos parcours, même si Jacques est plus un homme de théâtre. Nous avons en tout cas la même approche du métier, une envie de recherche, d’exigence, et nous sommes taiseux tous les deux ! (rires) C’est assez amusant sur un plateau, quand aucun des deux comédiens ne parle... Il y a des acteurs extrêmement volubiles, nous, nous sommes tous les deux plutôt anxieux et concentrés. Et pour ce film il y avait en plus un certain enjeu. On voit tellement de polars à la télévision qu’on a toujours peur de ne pas être crédible.

Tf : Vous êtes aussi deux comédiens discrets…

L. W. : Oui, je crois qu’aucun de nous deux n’est client du « show bizz ». Lui c’est la Normandie, moi c’est la Bourgogne, on ne nous verra pas sur les plages de Saint-Tropez ! Pour ma part c’est de pire en pire, j’aimerais n’apparaître que dans mon travail et disparaître complètement, qu’on ne sache rien de moi. J’éprouve de la gratitude envers le public, et les gens que je vois dans la rue qui me disent bonjour, mais j’ai beaucoup de mal avec la médiatisation. Je trouve que tout cela s’est accéléré, il faut sans arrêt être dans le mouvement, comme à une hydre perpétuellement insatisfaite qu’il faut alimenter, il faut sans cesse faire plus et dire plus. Après les Oscars on digère à toute vitesse et c’est déjà Cannes... J’ai beaucoup donné et voulu cela, je ne suis pas plus rassuré qu’avant, mais cet effort de médiatisation me coûte davantage. Et puis j’ai l’impression qu’à partir d’un certain âge, il sied moins pour un acteur de se faire photographier, et qu’il vaut mieux rester discret…

Tf : La palette des rôles que vous avez incarnés est très large, entre « Jet Set », « Palais Royal », « Des hommes et des dieux », et la tragédie classique au théâtre… Comment faites-vous vos choix ?

L. W. : En général quand on me propose un projet, mon « système nerveux d’acteur » reconnaît quelque chose, un code, un truc qui me dit que je peux le faire, et il y a d’autres projets que je trouve formidables mais je sais que je ne vais pas pouvoir les jouer. C’est comme si je sentais quelle carte j’allais pouvoir tirer de mon jeu. Le dénominateur commun de ces décisions, c’est effectivement le désir de ne pas me répéter, de faire une investigation d’un nouveau style, d’un nouveau genre dramatique. Pour le théâtre, il y a un désir d’une autre nature, plus raisonnable et réfléchi, c’est le souhait de fréquenter des grands textes.

Bande-annonce :


Crédit photo : Jessica Forde © 2011 EuropaCorp – France 2 Cinema 

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