L'ado transgenre Jazz Jennings a une poupée à son effigie (et c'est une excellente nouvelle)

Publié le Mardi 28 Février 2017
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
La poupée Jazz Jennings
La poupée Jazz Jennings
C'est une poupée a priori toute simple, mais qui est pourtant synonyme de progrès et d'ouverture d'esprit. Façonné à l'image de Jazz Jennings, une jeune transgenre américaine, le jouet présenté récemment à New York a fait beaucoup parler de lui. Un petit rayon de soleil dans un univers qui continue d'exacerber les différences entre filles et garçons à coup de jouets ultra stéréotypés.
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Pour les fabricants de jouets et les grandes enseignes, le salon du jouet de New York est un peu le Festival de Cannes. C'est là-bas que tout se joue, que les prototypes d'aujourd'hui deviendront les succès de Noël prochain. Organisée le weekend du 18 et 19 février, l'édition 2017 a mis en avant son lot habituel de poupées Barbie, de super-héros Marvel et de gadgets technologiques. Mais cette année, au milieu du bric-à-brac habituel, un jouet a tiré son épingle du jeu. Créée par l'entreprise Tonner Doll, la poupée Jazz Jennings a fait le buzz, aussi bien sur les réseaux sociaux que dans les médias. Car avant d'être un jouet, Jazz Jennings est avant tout une adolescente américaine de 16 ans, transgenre et activiste LGBT. En modelant une poupée à son image, Tonner Doll vient donc de mettre au monde la toute première poupée transgenre.

A l'heure où l'administration Trump s'échine à révoquer la protection des droits des jeunes trans (en remettant en cause un dispositif mis en oeuvre par Obama permettant aux étudiants et aux écoliers de se rendre dans les toilettes et vestiaires selon le genre auquel ils s'identifient), l'arrivée d'une poupée Jazz Jennings se place comme une déclaration politique. Si les transgenres ont longtemps été les grands oubliés de notre société, une révolution est bel et bien en marche. Avant tout politique, elle se joue aussi dans notre culture, dans notre façon profondément enracinée d'envisager la normalité. A elle seule, une poupée transgenre fait voler en éclats les stéréotypes de genre et inculque aux enfants dès le plus jeune âge les notions de respect et d'acceptation de l'autre.

Une poupée pour mettre en lumière les personnes transgenres

Aux Etats-Unis, Jazz Jennings est une personnalité connue de tous. En 2007, à l'âge de 6 ans, elle avait accordé une interview télé à Barbara Walters, devenant ainsi l'une des plus jeunes personnes transgenres à attirer l'attention sur la transidentité. Depuis, la fillette née dans un corps de garçon a grandi, publié ses mémoires, lancé une association, et est devenue une militante LGBT ultra-active. Voir une poupée à son effigie débarquer sur le marché est donc un honneur. Mais cela lui rappelle aussi que dans son cas, jouer à la poupée fut un moyen d'affirmer son genre. Interrogée par le New York Times juste avant le salon du jouet, elle expliquait : "Petite, j'ai tout de suite aimé jouer à la poupée. Pour moi, c'était un moyen de faire comprendre à mes parents que j'étais une fille, parce que je ne savais pas comment l'exprimer. La création de cette poupée fait résonner quelque chose de très profond en moi parce que les jeux de mon enfance ont en fait été un élément central de mon parcours personnel".

De son côté, Robert Tonner, le président et fondateur de Tonner Doll, a confié à Forbes que la première apparition de Jazz Jennings à la télévision en 2007 l'avait beaucoup marqué : "Cela m'a aidé à comprendre ce que voulait dire être transgenre. C'était une petite fille de 6 ans à l'époque. J'ai trouvé qu'elle dégageait quelque chose de très puissant. Cette gamine est restée quelque part dans ma tête". Plus Jazz Jennings gagnait en popularité, plus Robert Tonner pouvait imaginer une poupée à l'effigie de la jeune fille. En 2017, c'est donc chose faite. Et selon lui, il ne pouvait pas y avoir de meilleur moment pour l'arrivée d'un tel jouet. "Quand on voit le climat politique actuel, je me dis que l'arrivée de cette poupée tombe à point nommé. On reproche en permanence aux poupées toutes sortes de choses. On dit que Barbie donne une mauvaise image du corps de la femme par exemple. Si les poupées ont une telle influence et bien nous devrions avoir des poupées qui présentent d'autres thèmes".

La jeune militante transgenre Jazz Jennings
La jeune militante transgenre Jazz Jennings

Avant de s'intéresser à l'adolescente trans, Robert Tonner avait déjà créé une poupée plus-size calquée sur une mannequin et militante body-positive du nom de Emme. Carmen Dell'Orefice, mannequin de 85 ans à la chevelure blanche, avait elle aussi eu droit à sa figurine. Les créations de l'Américain sont des poupées de collection, généralement dédiées à un public adulte. Mais avec Jazz Jennings, l'homme s'attaque au marché des enfants, et forcément, cela complique un peu la donne. Vendue au prix de 89 dollars ou 100 dollars selon son look, la poupée Jazz n'est pas donnée. Mais surtout, Robert Tonner n'est pas certain que les grandes enseignes accepteront de jouer les revendeurs de peur de créer la controverse. A une époque où les jouets sont toujours très stéréotypés (89% des jouets dédiés aux filles sont de couleur rose), il est vrai que s'attendre à une levée de boucliers de la part des magasins est malheureusement logique. "Je ne sais même pas si le mot transgenre apparaîtra sur la boîte", a-t-il ainsi lâché. Pour autant, il espère que cette poupée permettra d'ouvrir la voie à une conversation au niveau national sur les difficultés que rencontrent les jeunes transgenres.

Interrogé à plusieurs reprises sur les raisons qui l'ont poussé à donner un sexe féminin à la poupée, Robert Tonner a trouvé la réponse la plus adéquate qui soit : "J'explique aux gens que c'est à propos de qui la poupée représente. Elle représente une personne dont on n'aurait jamais parlé 20 ans en arrière. Maintenant, cette poupée fait parler d'elle, et c'est ça que j'aime. Jazz est une adolescente géniale, une activiste et une entrepreneure. J'ai créé la poupée d'une gamine très accomplie, tout simplement". De son côté, Jazz Jennings a fait part de son excitation sur Instagram : "J'espère que cette poupée permettra de parler de la transidentité de manière positive et de montrer que nous sommes des personnes comme les autres. Et pour ceux qui demandent, la poupée est considérée transgenre car elle est basée sur un individu qui est trans. Bien sûr, c'est une poupée ordinaire, parce que c'est ce que je suis, une fille ordinaire !" Voilà qui est merveilleusement bien dit.