Luca Di Fulvio : rencontre à l'italienne avec l'auteur du "Gang des rêves"

Publié le Mardi 09 Mai 2017
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
Luca Di Fulvio : rencontre avec l'auteur du "Gang des rêves"
Luca Di Fulvio : rencontre avec l'auteur du "Gang des rêves"
Dans les livres de Luca Di Fulvio, la violence et la misère se mêlent à l'amour et aux rêves de grandeur. De passage à Paris à l'occasion de la sortie simultanée en poche du "Gang des rêves" et en grand format des "Enfants de Venise", l'auteur italien est revenu sur les thèmes centraux qui traversent son oeuvre. Rencontre avec un conteur superbe.
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Dans les livres de Luca Di Fulvio, il y a un peu de Dickens, un peu de John Irving aussi. Comme eux, l'auteur italien a le goût de la fresque et du romanesque. Ses histoires s'étirent sur des centaines et des centaines de pages. Ses livres sont lourds dans les mains. Imposants. Mais ils sont tellement addictifs qu'on en vient à les transporter partout, quitte à alourdir notre sac d'un kilo de mots. Quasi inconnu en France il y a encore deux ans, Luca Di Fulvio est devenu l'un des nouveaux phénomènes littéraires à suivre avec la sortie du Gang des rêves (ed. Slatkine & Cie) en juin 2016. Plébiscité par les libraires et les lecteurs, le livre, qui raconte le New York des années 20 par les yeux d'un jeune Italien rêveur et plein de gouaille, s'est lentement mais sûrement transformé en best-seller. Un an après ce beau succès, Luca Di Fulvio est de retour avec Les enfants de Venise.

Cette fois-ci, l'écrivain a fait un bond encore plus loin dans le passé. Venise, l'année 1515, l'apparition de l'un des premiers ghettos juif et une histoire d'amour impossible. Car l'amour, c'est l'un des thèmes préférés de Luca Di Fulvio. Le gang des rêves et Les enfants de Venise ne racontent pas la même histoire, empruntent des chemins différents, mais ils partagent les mêmes thématiques. La misère, l'immigration, le rejet de l'autre, la violence, et au milieu de toute cette agressivité, l'amour puissant et pur, qu'il soit filial ou romantique. Les personnages qui parcourent ces deux romans ne sont jamais manichéens. Ils rêvent, ont des envies de grandeur, de folie. Ils prennent parfois des mauvaises décisions, sont parcourus par la haine et la jalousie, mais le sentiment qui finit par s'imposer reste toujours l'amour. On a rencontré Luca Di Fulvio lors de son passage à Paris. Grand, imposant comme ses livres, empli d'une grande douceur, l'Italien nous a captivé.

Terrafemina : Que ce soit dans Le gang des rêves ou Les enfants de Venise, le thème central semble être celui de la condition sociale et de la capacité à s'élever par la force de caractère et l'intelligence. Pourquoi ce sujet vous-est-il si cher ?

Luca Di Fulvio : En général, du point de vue de l'écriture, c'est toujours plus simple de prendre un personnage qui part de tout en bas pour le faire s'élever progressivement. Lorsque j'écris, j'essaie d'avoir un discours sur la possibilité de réaliser ses rêves. Sur le plan social, mon écriture est assez métaphorique. Selon moi, chaque être humain peut toujours s'améliorer. Ce qui m'intéresse fondamentalement c'est la possibilité pour la jeune génération d'avoir la possibilité de s'améliorer.

TF : L'immigration, la xénophobie et la violence faites aux femmes sont également au coeur de ces deux romans. Ce sont des sujets qui vous touchent particulièrement parce qu'ils vous semblent toujours actuels ?

Luca Di Fulvio : Ces deux romans ont beau se dérouler dans un passé plus ou moins proche, c'est important pour moi d'aborder des thèmes que je peux relier au monde actuel. A une époque, les Italiens étaient considérés comme des immigrés. Aujourd'hui ce sont les Syriens. Mais le mécanisme reste le même. Quant aux violences faites aux femmes, tout ça me donne parfois honte d'être un homme. C'est quelque chose d'ancestral et qui continue encore aujourd'hui. Je ne sais pas trop ce qui se passe en France, mais en Italie je lis souvent des histoires dans la presse qui me donnent honte d'être un homme.

TF : Les relations amoureuses que l'on retrouve dans ces deux livres ont quelque chose de très pur. C'est une façon de contrebalancer toute la violence qui entoure les personnages ?

L.D.F. : Sans tomber dans quelque chose de mielleux, dans mon idéal personnel de rapport amoureux il y a un principe de pureté qui est indépendant de la sexualité. J'ai conscience que je raconte des histoires d'amour entre des personnages assez jeunes et de ce fait, les relations sont forcément beaucoup plus pures. Mais forcément, ces personnages grandiront un jour et perdront un peu de cette pureté.

Le gang des rêves de Luca Di Fulvio
Le gang des rêves de Luca Di Fulvio

TF : Le gang des rêves et Les enfants de Venise sont de véritables fresques romanesques à la Dickens, avec de nombreux détails historiques. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ces moments de l'histoire particulièrement ?

L.D.F. : Pour Le gang des rêves, j'ai choisi l'Amérique des années 20 parce qu'à ce moment précis, ce pays était un peu le nombril du monde, comme Paris était le centre du monde à la fin du XIXe siècle. Pour moi, raconter le New York de cette époque était une belle façon de raconter l'arrivée d'une personne dans un monde nouveau et plein de promesses. Et dans Les enfants de Venise, c'est plutôt l'inverse. Là, nous sommes en 1515 et c'est à ce moment-là que la ville de Venise avait choisi d'enfermer les juifs dans un ghetto. Ma famille paternelle est vénitienne et quand j'étais petit, j'allais souvent jouer au foot dans le quartier qui est en fait l'ancien ghetto. Et un jour mon père m'a raconté l'histoire de ce quartier. Et inconsciemment, je pense que ça m'a beaucoup marqué.

TF : Ces deux romans forment une continuité et un troisième suivra bientôt. Peut-on parler de trilogie ?

L.D.F. : Non, je ne pense pas. D'abord, parce que ce n'est pas dans mon caractère d'écrire des trilogies. Je ne suis pas un serial writer. Ces livres sont connectés au niveau des thématiques qu'ils abordent. Ce sont trois romans d'éducation dans lesquels on retrouve des jeunes gens qui luttent pour un idéal. Mais s'ils se retrouvent sur certains points, ils ne forment pas une trilogie.

TF : Pouvez-vous nous dire de quoi parlera le troisième roman ?

L.D.F. : L'histoire se déroule en 1400 sur les montagnes italiennes du Nord-Est de l'Italie. A cette époque, la plupart des gens qui habitaient dans cette région étaient des esclaves du prince. On les achetait en même temps qu'on achetait une terre. Je voulais raconter le passage du Moyen-Âge où Dieu était au centre de tout, à la Renaissance qui a mis l'homme au centre. L'histoire est celle d'un jeune garçon – le fils du prince – qui est un peu considéré comme un dieu. Mais sa famille et ses esclaves sont assassinés par un prince ennemi. Une petite fille le sauve et le cache dans sa maison. Et ce petit prince habitué à être un dieu doit tout recommencer en partant de tout en bas. Et c'est ça qui va faire qu'il va devenir un homme bon.

TF : Vous avez commencé votre carrière en écrivant des thrillers. Comment en êtes-vous arrivé à écrire des drames historiques de 700 pages ?

L.D.F. : Je pense que j'étais en train de me chercher. J'ai écrit un roman noir traduit sous le nom de L'empailleur en France qui a rencontré beaucoup de succès. Je venais juste de débuter ma carrière d'écrivain et mon éditeur attendait donc un nouveau roman assez rapidement. Donc j'ai écrit un autre livre mais je n'étais pas satisfait parce que ça ne m'intéressait pas finalement. Puis, mon troisième roman a eu encore plus de succès que les précédents. Et à ce moment-là je me suis retrouvé mal parce que j'ai compris que ma liberté d'écriture était finie. J'ai compris qu'on allait me demander de produire toujours la même chose. C'est là que j'ai commencé à écrire Le gang des rêves. Personne n'y croyait en Italie, mon éditeur a accepté de le publier mais à contrecoeur. Ça, c'était en 2008. Et puis en 2013, le livre a eu un énorme succès en Allemagne. Il a été écoulé à plus d'un million d'exemplaires. Grâce à ce succès, le livre a été traduit dans d'autres pays. J'ai retrouvé la motivation et j'ai repris le manuscrit des Enfants de Venise. La vérité, c'est que j'ai eu beaucoup de chance.

Les enfants de Venise de Luca Di Fulvio
Les enfants de Venise de Luca Di Fulvio

Le gang des rêves, ed. Pocket, 864 pages, 9,30€

Les enfants de Venise, ed. Slatkine & Cie, 736 pages, 23€