Miss France 2019 ou le sacre de la grossophobie

Publié le Lundi 17 Décembre 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
Miss France 2019 Vaimalama Chaves
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La gagnante Miss France 2019, Vaimalama Chaves, serait-elle grossophobe malgré elle ? L'analyse de sa courbe de poids au fil des années et les commentaires qui ont émaillé la soirée ont créé le malaise.
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Depuis samedi soir (15 décembre) et l'élection de Miss Tahiti comme Miss France, c'est le rendez-vous des clichés sur les grosses. Car lors de cette grand-messe télévisuelle, Sylvie Tellier, a voulu nous vendre un téléfilm archaïque, avec des fausses paillettes et un décor en carton pâte, avec en prime un scénario grossophobe de la grosse devenue maigre qui a réussi dans la vie grâce à son régime. Ce fameux "tremplin dans la vie" que la directrice générale de la société Miss France a voulu nous vendre a pris corps.


Dans un reportage de LCI , chaîne d'information du groupe TF1- qui diffusait l'émission, on peut par exemple entendre des commentaires du type : "Elle assume son 42 pour 1,78 m".


"Assumer un 42", cela veut dire que les commentateurs considèrent les femmes faisant du 42, d'autant plus pour une personne aussi grande, comme "hors norme". Rappelons que la taille de vêtements moyenne des Françaises est le 42, mais certainement pas pour 1,78 m.

Les titres de presse ne volent guère plus haut. Quelques exemples en vrac, parfaits combos de grossophobie et de sexisme : "Elle revient de loin" ou "Ex-beauté queen size en résilience, sa douceur et son parcours 'd'ancienne grosse' l'avaient placée parmi les favorites."

Une grossophobie intériorisée


Pour atteindre son objectif de miss, Vaimalama Chaves dit avoir perdu plus de 20 kilos depuis ses 18 ans, où elle pesait 83 kilos.

Lors de la soirée, la jeune femme de 23 ans a déclaré : "J'ai longtemps été ronde et c'est quelque chose qu'il me tient à coeur de partager". Elle a ajouté : "Aujourd'hui, j'ai confiance en moi. Je m'accepte. Il est à la portée de tous de faire pareil. Alors si je peux être porteuse d'espoir, c'est avec grand plaisir que je le ferai."

A l'AFP, elle tient le même discours : "Il y a eu des surnoms qui m'ont particulièrement touchée, tels que 'le monstre', ou des propos comme 't'es grosse, t'es moche', dans la vie il y a des gagnants et des perdants, et je ne veux pas de perdants dans ma famille."

Vaimalama Chaves a subi le harcèlement dès l'école : "Ces enfants ne se rendaient pas compte que cela pouvait me blesser. Mais sans cela, je ne serai pas la personne que je suis, et je n'aurai pas gagné Miss France."

Elle parle de "rêve" à propos de son envie de gagner : "Pour devenir Miss, il a fallu sacrifier quelques gâteaux, quelques soirées barbecues et des pizzas, mais le résultat est là."

Son envie de perdre du poids l'a même rendu malade : "J'ai été drastique sur mon alimentation en rentrant et d'ailleurs, j'ai perdu du poids trop vite en rentrant, je suis tombée malade. Les filles, attention, ne faites pas cela ! Mais je voulais tellement gagner."

La jeune femme a-t-elle intériorisé la grossophobie dont elle a été la victime ? Sûrement.

Dans les premiers suggestions qui apparaissent lors des recherches Twitter, on trouve "Miss France seins" et "Miss France à poil". Sur Google, c'est "Miss France grosse" ou "Miss France avant".

De nombreux·seuses Twittos à la suite de la cérémonie ont pointé du doigt ce malaise :

Les déclarations de Vaimalama Chaves se font dans un contexte particulier pour la Polynésie Françaises où 7 adultes sur 10 sont en surpoids.

Sébastien Czernichow, chef du service nutrition, spécialisé dans la médecine de l'obésité à l'hôpital européen Georges Pompidou, expliquait en 2017 à Polynésie 1ère que ces problèmes de poids étaient dus à un changement rapide des modes de vie, mais aussi à des dispositions génétiques et psychologiques de la population polynésienne.

La culpabilisation, le pire des remèdes

Si l'on condamne avant tout les mots des personnes qui l'ont harcelée, il faut aussi le redire et le marteler : la beauté d'une femme ne doit pas être en lien avec son poids. Et faire perdurer l'idée selon laquelle on est perdant parce qu'on est gros est inacceptable.

Comme le dit si bien notre Beyoncé préférée : "Les femmes les plus belles sont celles qui ont confiance en elles".

Si Vaimalama Chaves veut donner du courage aux personnes grosses pour maigrir, la culpabilisation est le pire des remèdes comme l'ont montré les autrices du live "Gros" n'est pas un gros mot, Daria Marx et Eva Perez-Bello.

On peut être gros·se et être bien dans sa peau. On peut aussi ne pas avoir choisi d'être gros·se. Quand on regarde comment la société traite les personnes en surpoids, c'est rarement un choix.

Mais nous devons rappeler, que si chacune fait ce qu'elle veut de son corps, chacune peut être belle, peu importe son poids. La beauté ne doit pas être cette course, ce concours qui nous épuise.

Un discours nouveau sur la féminité et la maternité

En revanche, loin de ses propos maladroits sur son poids, la nouvelle Miss France a tenu un discours rafraîchissant et bienvenu sur la maternité ou le genre.

Elle a par exemple déclaré à l'AFP : "Quand je me projette dans dix ans, je ne me vois pas forcément en couple, ni même devenir maman : ce n'est pas ma priorité, dans un monde où les ressources disparaissent."

Au Parisien, elle se dit ouverte à ce qu'une personne transgenre participe à l'élection de Miss France, comme Angela Ponce, représentante de l'Espagne, qui a participé au concours de Miss Univers dimanche 16 décembre : "La féminité, ce n'est pas naître femme, mais c'est un état d'esprit qui peut être incarnée par une personne du genre féminin ou masculin. Il y a des femmes qui sont des femmes, comme il y a des femmes qui sont des hommes, et il y a des hommes qui sont des femmes. C'est une façon de voir les choses que l'on ne choisit pas, mais que l'on incarne. Il y a des femmes qui sont nées dans des corps d'hommes."

C'est toujours cela de pris.