Qu'est-ce qu'une bimbo ? Une personne à l'hyperféminité, dont le physique, les fringues, les attitudes semblent exacerber les stéréotypes liés à son genre, au point d'en faire une performance. Mais "bimbo" est un mot qui comme "diva" a trop souvent alimenté les discours des sexistes en mal d'imagination. Qu'importe : aujourd'hui, le terme se voit réapproprié par les principales concernées, qui, loin d'une insulte, en font une force, et une revendication.
Parmi elles, la reine en ce domaine : Pamela Anderson. Il y a bien longtemps que la star n'a pas foulé du pied - au ralenti - les plages californiennes baignées de soleil. Pourtant, c'est toujours aux images d'Alerte à Malibu, et à ses indénombrables poses sexy en maillot, qu'on l'associe naturellement. Et c'est justement "l'image Pamela Anderson" qui se trouve au coeur d'un captivant documentaire Netflix narré par la star : Pamela, a love story.
Un docu exceptionnel qui permet à ladite Pamela, narratrice principale, de rétorquer à la série Pam & Tommy, histoire du vol de ses vidéos intimes avec son ex conjoint Tommy Lee, en reprenant possession du récit de sa vie. Mais aussi, de délivrer un discours féministe qui en dit long sur la condition des femmes - sexualisées, malmenées, insultées. Une parole puissante.
Ca ne manquera pas, nombreux seront les spectateurs à sortir leur condescendance du tiroir pour n'envisager en Pamela : a love story qu'un programme forcément futile, sans importance... Ce serait bien mal considérer ce documentaire dramatique. Car Pamela Anderson a beau faire montre d'une autodérision de tout instant, ce qu'elle nous raconte glace le sang. Son histoire est d'abord celle d'une petite fille abusée par sa baby sitter durant quatre ans : "Elle me répétait de ne rien dire. Moi, je voulais la tuer avec un bâton en sucre d'orge", raconte-t-elle.
Puis, à l'âge de 12 ans, Pamela est violée par un homme qui en a 25. Au sein d'une famille déjà chaotique (son père est alcoolique et violent), elle choisira de ne rien dire. "J'ai cru que c'était de ma faute. J'essayais d'oublier mais j'avais l'impression que c'était tatoué sur mon front. C'était aussi ma première expérience sexuelle. Ca m'a beaucoup perturbée", déplore-t-elle face caméra. Au fil des années, la jeune femme oscillera de "bad boy" en "bad boy", des "mauvais garçons" qu'elle affectionne particulièrement de son propre aveu. L'un d'entre eux tentera de la jeter hors de sa voiture - alors que le véhicule n'était pas à l'arrêt.
En réunissant ses souvenirs, Pamela Anderson dresse son autoportrait en femme coincée dans un corps qui n'est pour elle synonyme que de honte et de souffrance. "Durant des années, j'avais l'impression d'être dans une prison, je détestais mon corps", observe-t-elle. Une expérience que partagent bien des femmes victimes de viol. En somme, la star a l'impression d'être étrangère à son propre corps. Jusqu'à ce qu'advienne enfin l'émancipation...
Cette émancipation a un nom : Playboy. Repérée grâce à quelques publicités, Pamela Anderson enchaîne les shooting décomplexés pour la revue de Hugh Hefner dès la fin des années 80. Plus que des photos "olé olé", la Canadienne voit là un moyen de se réapproprier sa sexualité. "Je l'ai fait de façon magistrale", s'amuse celle qui est vite devenue playmate. "J'ai senti que je n'étais pas seulement belle, mais douée pour ça. Je me suis sentie libérée".
Ce que raconte Pamela Anderson embrasse dès lors les convictions du féminisme sex positive. Cette idée que la sexualité des femmes est indissociable non seulement d'une libération, mais plus encore d'un pouvoir, d'une affirmation de soi qui passe par la mise en scène du corps et de sa sensualité.
En devenant playmate, Pamela affole le regard masculin, mais surtout, redéfinit le point de vue qu'elle s'accorde à elle-même, sa confiance en soi, son estime. Beaucoup verront en sa féminité exacerbée et assumée comme telle une soumission au désir des hommes. Mais pour elle, c'est avant tout une performance, consciente et jubilatoire : "Dans les posters centraux de Playboy, je jouais un personnage".
Ce qu'incarne Pamela Anderson nous renvoie dès lors aux nouvelles vagues de militances féministes, des créatrices qui sur Instagram prônent les bienfaits d'une sexualité libérée, indépendante et jouissive, aux femmes cinéastes qui proposent une pornographie plus égalitaire et soucieuse du désir féminin, éloignée des diktats libidineux habituels. On pense aussi aux superstars comme Cardi B, qui n'hésitent pas à associer sexualité et pouvoir.
Mais en nous relatant le parcours de Pamela Anderson, ce documentaire dresse aussi le portrait plein de contradictions d'une bimbo. Par mimétisme, Pamela choisira dès son entrée au manoir Playboy l'option "implants", une manière pour cette jeune modèle pleine de complexes de se sentir mieux dans sa peau. Si elle se sent libre, elle ne nie pas une certaine dépendance au regard des hommes : "C'est mon père qui lisait Playboy. Quand j'étais jeune, je les feuilletais et je trouvais toutes ces femmes si belles...".
Ce qu'elle perçoit au début comme un pouvoir deviendra une malédiction, du succès planétaire de la série Alerte à Malibu dès 1992 au nanar Barb Wire des années plus tard, la faisant arborer respectivement maillots moulants et tenues en cuir. Très vite, les journalistes n'ont effectivement d'yeux que pour sa poitrine.
Les archives relayées par le documentaire sont édifiantes : "peut-on parler de vos seins ?", lui demande du tac au tac un intervieweur très gentleman. "Quoi, vous parlez de ces gros trucs que j'accompagne ?", répond-t-elle avec un humour féroce. Au célèbre animateur de late show Jay Leno, elle dira même avec une ironie acide : "J'aimerais tellement être vous" "Ah bon, pourquoi ?" "Pour pouvoir vous torturer avec plein de questions sur vos implants".
Si elle garde le sourire pour les caméras, l'actrice l'admet aujourd'hui : "C'est si déplacé de poser ce genre de questions à une femme. Il devrait y avoir des limites à ne pas dépasser". La volonté de Pamela de devenir actrice est d'ailleurs partie d'un constat similaire : "Je voulais simplement faire quelque chose de plus intéressant que mes seins !".
Une décennie plus tard, c'est encore cette poitrine que met en avant la comédie Scary Movie 3, où elle détourne en introduction son propre personnage de bimbo. "Après la série, on ne m'a proposé que des rôles très sexuels. Je me suis retrouvée coincée dans une caricature. Et je me suis surprise à devoir vivre dans cette caricature".
Puisqu'elle y est sans cesse renvoyée, son corps redevient peu à peu une prison. Le scandale de la sex tape volée et diffusée massivement sur Internet, aboutissant à un procès qu'elle qualifiera de "viol", sera pour la star une nouvelle épreuve : à travers cette intrusion dans son intimité, elle se sentira de nouveau dépossédée de sa sexualité.
En s'attardant sur la vie de la plus iconique des bimbos, Pamela : a love story interroge tout ce que la société patriarcale fait subir aux femmes, qu'importe leur degré de notoriété. Femmes qui cherchent leur identité à travers un monde les assommant d'injonctions et de complexes, volontiers intériorisés - d'où le recours à la chirurgie esthétique - et voient leur conformité à ces injonctions générer de nouveaux jugements - mépris de leur intelligence, accusations de superficialité...
Femmes célébrées pour un physique qui pourtant leur vaut également insultes et menaces. Femmes qui, également, seront avant tout jugées à l'aune de leur sexualité, qu'importe la décennie - pas certain hélas qu'il en soit autrement en 2023. Victime indéniable de "slut shaming", Pamela Anderson ne se remettra ainsi jamais vraiment de la divulgation de ses vidéos intimes, là où son ex conjoint, Tommy Lee, n'en souffrira pas plus que ça : "Après tout, c'était une rockstar", déplore-t-elle.
Les violences patriarcales, Pamela Anderson en fut la cible toute sa vie : viols, violences conjugales, harcèlement... Un envers du décor, aux antipodes des éclats éblouissants de la Californie, sur lequel revient ce témoignage accablant et précieux, qui part d'un parcours individuel pour dire un malaise bien plus global.
"Pamela : a Love Story"
Un documentaire en ligne sur Netflix ce 31 janvier 2023