La "bimbo" revient : faut-il s'en réjouir ?

Publié le Mercredi 16 Mars 2022
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Paris Hilton à Tao Beach à Las Vegas le 4 juillet 2015
Paris Hilton à Tao Beach à Las Vegas le 4 juillet 2015
Sur les écrans et les réseaux sociaux s'observe ces deux dernières années un étonnant come-back : celui de la bimbo. Une figure raillée et cible de bien des quolibets sexistes. Comment analyser ce phénomène ?
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Pamela Anderson, Paris Hilton, Anna Nicole Smith... On pourrait sans souci lister celles qui bien longtemps se sont vues qualifiées de "bimbos" dans les médias. Pour cela, il suffisait simplement d'être célèbre, blanche et blonde, sans oublier de porter des tenues courtes et girly. Un profil que les frères Wayans ont mis au coeur de leur comédie Fausses Blondes Infiltrées (2004).

Stéréotype nous renvoyant donc aux années 90 et au début des années 2000, la bimbo est une figure féminine au physique vanté et à l'intellect contesté. Autrement dit, un bon réservoir à sexisme pour bien des tabloïds en cette époque, bien qu'il fut volontiers détourné - on pense notamment au jeu plein d'autodérision d'actrices alors populaires comme Anna Faris.

En France, une personnalité médiatique comme Loana a pu incarner la bimbo par excellence. C'est d'ailleurs dans les émissions de télé réalité, aux stéréotypes aussi jeunes qu'un plateau de CNews, que les bimbos semblent encore et toujours perdurer. Le mot lui-même paraît d'un autre temps, se dit-on. Personne n'a envie de défendre son usage.

Et pourtant, il se pourrait bien que la bimbo fasse son grand retour, donnant tort aux paroles les plus perplexes. Un come-back qui s'observe notamment sur TikTok. Mais faut-il vraiment s'en réjouir ?

Un grand retour ?

Bien des magazines en ligne tendance relatent à l'unisson ce retour, qui irait de paire avec celui de stars iconiques comme Paris Hilton, au coeur d'une émission de cuisine sur Netflix (Cooking with Paris), et Britney Spears, enfin "libérée" et très active sur Instagram. C'est le cas notamment du site The Cut, qui constate la popularité grandissante sur le réseau social TikTok d'influenceuses s'autoproclamant "bimbos".

Parmi elles, Chrissy Chlapecka, 21 ans, FauxRich (ou Princess), 22 ans, Fiona Fairbairn, créatrice du podcast The Bimbo Manifesto... Des créatrices privilégiant, à l'instar des Youtubeuses beauté, des contenus make-up à l'adresse de leur large communauté. N'en déplaisent à celles et ceux qui jugeront cela trop superficiel. Remarque avancée d'ailleurs dès la définition du dictionnaire Larousse : terme péjoratif, une bimbo serait "une jeune femme à la mode, pulpeuse et sexy, souvent superficielle".

Au gré de leurs publications se voit sublimée une féminité exacerbée, déployée sans complexe. Ce qui a trait au physique n'a rien d'anecdotique à travers leurs posts abondamment commentés. Tant et si bien que d'aucuns s'interrogent sur la valeur féministe de ces contenus à une époque où le ton est plutôt au "no filter", à l'abandon des trousses de maquillage, au refus des stéréotypes de genre et à l'acceptation de l'imperfection.

L'émergence des "nouvelles bimbos" remonterait à 2020. Et serait si visible par ailleurs que le magazine Stylist parle carrément de "bimbofication". Très populaire, le hashtag #bimbo a même engendré sur TikTok la naissance d'une nouvelle appellation : "BimboTok". Le TikTok des bimbos. Avec pour figure charnière Chrissy Chlapecka donc, qui aurait commencé à défendre la philosophie bimbo en pleine période anxiogène de confinement.

"Grandir en observant les bimbos m'a toujours déroutée parce que tout ce que je voyais, c'était ces femmes incroyables qui étaient avant tout elles-mêmes. Durant cette période de confinement, je me suis demandé : qui suis-je ? Quel est mon but en ce moment en tant que personne et qu'est-ce qui me rend vraiment heureuse ?", témoignait la TikTokeuse à Stylist. Des questions existentielles qui ont trouvé réponse dans le mode de vie des bimbos : l'hyperféminité (look, maquillage, couleurs vives) brandie comme étendard.

Un témoignage sincère mais qui suscite une certaine perplexité. D'autant plus que pour The Cut, l'usage du terme a toujours été d'une indéniable violence patriarcale, et on aurait du mal à le contester. La bimbo serait la femme plus attirante qu'intelligente, un focus sur l'apparence associant en un même geste mépris, blagues beaufs sur les blondes et diktats de beauté "dans le but de garder les femmes sous contrôle", déplore le magazine.

En outre, le premier usage populaire du terme nous renvoie aux années 20 et à une revue de Broadway intitulée My Little Bimbo Down on the Bamboo Isle. Pas grand-chose de progressiste là-dedans donc.

Un cliché réapproprié ?

Cependant, ces bimbos autoproclamées tiennent un discours qui se veut novateur et fédérateur. A The Cut, Chrissy Chlapecka l'affirme : "La culture bimbo donne aujourd'hui aux femmes la possibilité de profiter de leur féminité et de l'interpréter à leur manière sans jugement. 'Bimbo' a toujours été un terme imposé par les hommes. Moi, j'ai décidé de m'attribuer cette étiquette moi-même, comme un moyen de reconnaître mon propre pouvoir, qui passe par le choix de m'appeler ainsi et d'en faire quelque chose de positif", explique-t-elle.

Chlapecka voit là "une manière d'être la version complète de qui vous êtes en dehors des jugements de la société qui méprise la beauté et le pouvoir de la féminité". Un véritable exercice de réappropriation donc. Et qui, quelle que soit l'influenceuse, aborde les mêmes valeurs : l'absence de jugements, moraux ou physiques, l'affirmation de soi, l'inclusivité. Ainsi certaines bimbos sont elles ouvertement queer, comme Griffin Maxwell Brooks, 20 ans.

Un come-back qui dénote donc. D'autant plus que les sujets explorés par ces influenceuses sont vastes, du travail du sexe au capitalisme en passant par l'homophobie et l'anxiété sociale. Des thématiques qui peuvent être abordées sans pour autant renier eye-liner et lipstick. Et ce, par des internautes de la Génération Z qui, memes à l'appui, portent aux nues des figures féminines comme Regina George (la redoutable reine des abeilles de Mean Girls) ou Elle Woods, l'héroïne si inspirante de La revanche d'une blonde.

L'équation entre "BimboTok" et sujets de société n'est pas si étonnante. En 2021, une conférence du festival Feminists in the City intitulée "La bimbo, impensé du féminisme ?", tenue par l'autrice et comédienne Garance Bonotto, rappelait exemples familiers à l'appui (de Lolo Ferrari à Loana) que la bimbo se situerait "à l'intersection de plusieurs discriminations" en tant que "femme souvent issue d'un milieu populaire, cible du slut-shaming, révélant par sa présence médiatique le sexisme structurel de notre culture". L'estimer, suggère l'analyse, reviendrait à penser un "féminisme inclusif".

Pour Garance Bonotto, la bimbo est presque une figure subversive, pas si éloignée de la culture drag et queer, en cela qu'elle "révèle le genre en tant que performance, incarnant une féminité si outrancière qu'elle dénaturalise les codes auxquels elle souscrit. Maquillage, chirurgie, cheveux, mimique, démarche, posture...", décrypte l'autrice du côté du site Manifesto 21. L'experte nous encourage finalement à "aimer la bimbo" afin de "mettre fin à la stigmatisation", et donner le la à "une sororité nouvelle, une plus grand indulgence dans le regard que nous portons entre féministes sur le niveau de déconstruction et les choix personnels des unes et des autres".

Le film "La revanche d'une blonde"
Le film "La revanche d'une blonde"

Pour les autoproclamées bimbos de TikTok, se réapproprier un terme abondamment utilisé par les hommes permet également de se recentrer sur soi, promouvoir la sororité et insister sur l'importance de la santé mentale, et de l'acceptation de soi. "Une chose qui m'a aidée à traverser la pandémie a été de me lever tous les jours et de simplement me maquiller. Ce fut merveilleux pour ma santé mentale", témoigne ainsi Fiona Fairbairn à Stylist.

Cependant, observe le magazine en ligne, certaines voix critiques rappellent sur les réseaux sociaux que ce cliché a volontiers été lui-même source de complexes, sans oublier la glorification de valeurs capitalistes qui lui est indissociable. "Y attacher quelques mots progressistes ne le rend pas vraiment politique", affirme ainsi une internaute, qui conteste l'appellation "bimbo feminism". Un intitulé qui fait couler beaucoup d'encre.

Faut-il se réjouir du retour de la bimbo ?
Faut-il se réjouir du retour de la bimbo ?

Complexe, cette réappropriation revendique un but : inciter autrui à juger, non pas les bimbos, mais la société qui leur a attribué ce qualificatif. A l'occasion de la sortie sur Prime Video de sa série documentaire dédiée, Nabilla Vergara ne disait pas autre chose : "Quand vous mettez un décolleté et que vous faites de la téléréalité, on vous traite de bimbo. Au final, ça veut dire quoi, ce mot ? Une fille qui porte des talons ? Qui a des gros seins ? On ne peut pas être condescendant au point de réduire une personne à un physique".

"A l'époque, je subissais une hypersexualisation permanente, on me parlait plus de mon physique que de ce que j'étais vraiment", poursuit Nabilla. C'est ce doigt constamment pointé que semblent interroger les vingtenaires de TikTok. Et ce, alors qu'une série comme Pam & Tommy fait fureur en rappelant le sexisme dont a été victime la star de Alerte à Malibu. Pendant que chacun·e célèbre les vingt ans de la comédie culte de Reese Witherspoon.

Loin d'être tout à fait négatif, le retour de la bimbo pose la question de l'évolution des stéréotypes et des enjeux féministes au fil des générations, à l'aune de concepts déjà très mis en avant sur TikTok, comme la notion de "male gaze" - ou regard masculin. Leurs porte-parole s'expriment au quotidien sans pour autant rejeter les "anti-bimbos", allergiques à cette féminité "performée". Le coeur de débats qui ne risquent pas de s'arrêter.