"A mes amours", du porno féministe qui bouscule le couple

Publié le Vendredi 20 Janvier 2023
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Poser de vraies questions féministes dans un porno, oui, c'est possible. La réalisatrice Anoushka le démontre avec son nouveau film, "A mes amours", diffusé sur Canal + ce 21 janvier.
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C'est une histoire de couple en vacances. Idylle estivale faite de câlins, de bronzettes et de têtes piquées dans la piscine, tranquille... Jusqu'à l'apparition d'un troisième personnage, une femme, qui va volontiers bousculer les certitudes et les désirs. Le pitch de A mes amours fait penser à celui de bien des films français. Chose étonnante cependant : cette romance apparemment classique... est un film porno.

Diffusé ce 21 janvier sur Canal+ à 00h20, le nouveau film de la réalisatrice française Anoushka (qui nous avait déjà ravi avec sa sulfureuse Vivante) illustre avec vigueur l'envie de cette dernière : proposer du X émancipé des "tags" basiques pour libidineux en manque d'inspiration. En revenir à une ambition cinématographique que l'on ne trouve guère sur les plateformes spécialisées. Mais aussi poser de vraies questions féministes, aussi bien dans les dialogues que dans les scènes les plus chaudes. Du sexe en quête de sens .

"Le porno est l'endroit idéal pour déconstruire la vision du couple hétéro"

Du porno qui bouscule le couple.
Du porno qui bouscule le couple.

On conserve du porno ce réflexe de l'avance rapide : cette idée que tout ce qui précède les scènes de sexe serait dépourvu d'intérêt. Mais c'est justement dans ces zones-là qu'A mes amours vient nous questionner. En confrontant les protagonistes, un réalisateur et une actrice, aux débats d'une chercheuse, interrogeant la représentation de la sexualité et des relations, Anoushka introduit au sein du porno la possibilité d'un "female gaze", ce regard qui vient proposer une autre manière de dire et de montrer le désir des femmes.

Ce désir, c'est celui de l'héroïne (interprétée par Lullabyebye), hétéro, qui va se remettre en question, mais surtout s'explorer, en glissant notamment d'une relation "exclusive" au polyamour, pratique qu'elle juge féministe. Si le plaisir féminin est interrogé, c'est pour mieux déconstruire l'endroit auquel on le renvoie souvent beaucoup trop : le couple. Un homme, une femme... Cette addition n'est pas simplement associée à Claude Lelouch, force est de constater qu'elle perdure dans tout le cinéma mainstream.

Du cinéma X pas seulement Q.
Du cinéma X pas seulement Q.

"Je pense que le porno est l'endroit idéal pour déconstruire une vision très patriarcale du couple hétéro exclusif, que l'on nous vend comme un modèle de réussite. Ne pas être en couple signifierait avoir échoué, en particulier quand on approche la quarantaine. J'ai rencontré tellement de gens qui font peser sur leur partenaire toutes leurs attentes, leurs envies, leurs désirs. Moi-même, j'ai vécu dans un couple hétéro et je me suis laissée rattraper par ces clichés. On est tous.tes biberonnés au conservatisme", nous explique en retour Anoushka.

A l'inverse, A mes amours associe la jouissance à la liberté, notamment lors d'un climax "collectif" particulièrement orgasmique. Le plaisir, évident lors des scènes de sexe joyeuses où les partenaires se cherchent, s'amusent et communiquent, y est une expérience, sans être pour autant une injonction.

"Après, le porno fait par des femmes ne rime pas non plus avec romantisme... On ne va pas faire l'amour sur un lit plein de pétales de roses tout en sirotant une coupe de champagne. Le cinéma porno fait par les femmes s'adresse avant tout à tou·te·s et on peut proposer toutes sortes de pratiques du moment qu'il y a consentement", rappelle la cinéaste.

"A mes amours", du porno féministe et inclusif
"A mes amours", du porno féministe et inclusif

Et cette note d'intention vise aussi bien l'intime que le politique : si les positions se multiplient à l'écran, d'un 69 audacieux à une levrette passionnée assénée de quelques fessées bien sonores, les corps aussi prônent la diversité. Acteurs noirs, protagoniste grosse (incarnée par Petra Von Schatz), amours queer, sont mis en scène sans fétichisation, parés d'un autre désir qui palpite, celui de l'inclusivité. Un point important pour Anoushka.

"Je veux montrer le corps des femmes et les sexualités avec éthique, bienveillance et surtout militantisme, dans un cinéma qui a longtemps été dominé par les hommes, pour les hommes. Je pense que même eux sont malheureux des injonctions véhiculées. Il faut qu'on puisse montrer autre chose, pour les corps des femmes comme pour eux, qui ne voient que des mecs hyper baraqués, de gros pénis, pas de pilosité. Sortir des stéréotypes, et si ça passe par le regard d'une femme c'est génial !".

Un X tendre et pas seulement Q donc, à tester assurément.

A mes amours, par Anoushka.

Avec Rico Simmons, Lullabyebye, Petra Von Schatz...

Diffusé sur Canal+ le 21 janvier à 00h20.

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