La Mère Noël est-elle une invention sexiste ou une icône féministe ?

Publié le Vendredi 20 Décembre 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
La Mère Noël, symbole vieillot bien miso ou icône féministe ?
La Mère Noël, symbole vieillot bien miso ou icône féministe ?
Si vous n'avez vu ne serait-ce qu'un téléfilm de Noël, vous visualisez ses traits. Une mémé débonnaire, toute de rouge vêtue, mais discrète, dans l'ombre de son mari. Oui oui, je parle bien de la Mère Noël. Un personnage qui sans cesse oscille entre sexisme... et féminisme.
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A l'instar des cookies, du verre de lait frais, des guirlandes et de la cannelle, elle est indissociable des festivités hivernales. Et pourtant, on ne lui accorde qu'une place de figurante. Comme si elle faisait simplement partie du décor, alors qu'elle devrait tenir le haut de l'affiche. Oui, la Mère Noël, ou Mrs. Claus de son premier nom (car c'est avant tout la culture anglophone qui l'honore) est un personnage folklorique majeur mais trop mésestimé.

Il faut dire qu'à première vue, elle ne nous inspire pas tellement, maman Noël. Figure évocatrice de la pop culture, elle paraît désuète, issue d'un ancien temps, si ce n'est d'un vieux monde - à l'image de son mec barbu et millénaire. Mais aujourd'hui, l'heure est au retour de hype. Nombreuses sont celles à remettre "madame" Claus au goût du jour. Et si cette épouse aimante était la super-héroïne féministe dont Noël avait tant besoin ?

Sexisme, cookies et guirlandes

"Santa Clause 3", avec Tim Allen. Et une jeune Mrs. Claus.
"Santa Clause 3", avec Tim Allen. Et une jeune Mrs. Claus.

C'est une femme âgée. Ses cheveux sont blancs comme neige. Vêtue d'une robe de fourrure rouge et verte, elle a l'air d'une "mamie gâteau", souriante et généreuse. Mais c'est avant tout à son (très célèbre) mari et à son armée d'elfes et de lutins que cette épouse patiente se consacre dans sa demeure du Pôle Nord, participant à la préparation des cadeaux ou à l'ouverture des lettres, envoyées par des milliards d'enfants à travers le monde. Voici à quoi ressemble la Mère Noël dans l'inconscient collectif.

Cela fait plus d'un siècle que cette représentation existe. Plus précisément, depuis la publication en 1849 de la nouvelle "A Christmas Legend", par James Rees, tel que le rappelle cet historique du Women's Museum. Et là encore, elle n'a toujours pas de nom ! Il faut attendre l'année 1851 pour qu'on lui attribue celui (très formel) de "Mrs. Claus". Durant toute la seconde moitié du dix-neuvième siècle, cette "Mère" (ou plutôt, grand-mère) sera avant tout "la femme de", une silhouette qui n'a que peu d'importance face à son exubérant époux, évoquée dans des revues et livres pour enfants, comme le Lill in Santa Claus Land and Other Stories d'Ellis Towne. Ses apparitions sont ponctuelles. Et surtout, pas vraiment "girl power"...

"Mrs. Santa Claus", une Mère Noël traditionnelle ?
"Mrs. Santa Claus", une Mère Noël traditionnelle ?

Car avouons-le, le descriptif qu'en fait le Women's Museum ressemble plus à une pub Ferrero qu'a un tract féministe. La Mère Noël serait celle qui, vêtue de parures aux couleurs chaleureuses, prépare les biscuits dans sa cuisine, pendant que son mari s'occupe de délivrer les cadeaux et de préserver "l'esprit de Noël" (le fameux). On l'imagine même repriser ses chaussettes.

Tel que l'indique le site Mental Floss, les premières évocations du dix-neuvième siècle la dépeignent comme une femme "enthousiaste, responsable, douce et serviable". Pas de quoi rêver donc. Responsable, car son comportement est censé contraster avec le caractère parfois infantile de son époux. Bref, dans cet univers de conte de fées inoffensifs, la "maman" s'active aux fourneaux tandis que c'est l'époux qui tient les rênes...

Et Maman Noël devint badass

La Mrs. Claus badass de Marks & Spencer.
La Mrs. Claus badass de Marks & Spencer.

Et pourtant, il ne serait pas très urbain de la juger trop vite. Et même déplacé. Car dès la parution et le succès en 1889 du poème de l'écrivaine Katharine Lee Bates, "Goody Santa Claus on a Sleigh Ride", le personnage de Mrs. Claus affirme son caractère face à son mari bedonnant : elle insiste pour distribuer les cadeaux et glisser dans les cheminées ! C'est bien naturel : il n'y a pas de raison que "Santa" soit une fonction exclusivement masculine. Son époux (un brin macho à la base) finit par accepter, et tous deux, une fois la mission accomplie, retournent en Arctique, heureux.

En 1889 déjà, la Mère Noël affirme sa volonté-propre. Et démontre que son rôle ne se limite pas à la confection des cookies. "C'est une boule de feu", s'enthousiasme carrément Mental Floss, louant la "fougue" et la "nervosité" de cette femme déterminée qui combat les stéréotypes de genre. "Frayant un chemin lumineux pour les femmes qui viendront après elle, Mrs.Claus a prouvé que tout ce qu'un homme peut faire, une femme peut le faire aussi !", se réjouit encore le site. Un gros boost d'empowerment pour le moins inattendu.

C'était en 1889, tout de même. Et depuis ce "Goody Santa Claus", la Mère n'a cessé d'osciller entre apparition fugace désignée pour s'occuper des fourneaux (dans L'étrange noël de Monsieur Jack par exemple) et figure de première importance, à même d'assurer là où Santa Claus échoue parfois - comme dans le conte How Mrs. Santa Claus Saved Christmas de Phyllis McGinley : "Comment la Mère Noël a sauvé Noël".

"Les chroniques de Noel II" : Mrs. Santa Claus version Netflix...
"Les chroniques de Noel II" : Mrs. Santa Claus version Netflix...

Jusqu'à ce que cette femme ne (re)devienne ce qu'elle a toujours un peu été, au fond : une figure féministe. C'est tout du moins ainsi que l'envisage la célèbre chaîne de magasins britannique Marks & Spencer. Une publicité imaginée par la marque en 2016 met une scène une méconnaissable Mère Noel. Incarnée par la comédienne anglaise Janet McTeer, la "queen" du Pôle Nord est une très charismatique quinquagénaire qui, pleine d'assurance et d'initiative, sauve Noël (oui, encore !) non pas en traîneau mais... à bord d'un hélicoptère. Rouge, évidemment.

Cerise sur la bûche, elle se permet de distribuer des baskets à la petite Anna, et non pas une poupée, histoire de mieux envoyer valser d'un revers de son gant toute assignation de genre malvenue. Totalement imprégnée des codes des fêtes (bons sentiments, fraternité, imaginaire féerique), cette révision fait de notre protagoniste une figure enfin émancipée. C'est avec un flegme so british et l'assurance d'une James Bond que "Madame Claus" se réapproprie un devoir trop longtemps attribué à son mari. Elle ne cuisine plus les biscuits, mais les mange. La "mamie gâteau" est devenue une super-héroïne, musique de grosse machine hollywoodienne à l'appui.

Cette réécriture du personnage est dans l'air du temps, bien sûr. Mais surtout, elle nous rappelle à quel point il peut être important "d'actualiser" les mythes modernes afin de faire évoluer les mentalités. Car il n'y a rien d'anodin à faire briller une figure féminine à ce point effacée. Surtout lorsque celle-ci fut trop longtemps cantonnée aux tâches "d'arrière-plan". En vérité, c'est le cas de bien des femmes durant cette période de l'année, "au foyer" ou non. Tout au long du mois de décembre, nombreuses sont celles - comme les mères de famille - à se charger, elles aussi, de "sauver Noël", pendant que leur conjoint part en vadrouille. S'occuper du sapin, de la décoration de la maison, des cadeaux, des repas, des invités, du nettoyage...

En résulte bien sûr une charge mentale considérable. Or, puisque ce sont les femmes qui font Noël, il serait bien peu opportun d'attribuer tout le mérite à une figure masculine si sacralisée, pas vrai ? Conte de fées ou pas. "Et si le Père Noël était une femme ?", s'interroge d'ailleurs le site Psychology Today. Force est de constater qu'aujourd'hui encore, la Mère Noël semble cruellement absente des livres, représentations populaires et autres galeries marchandes. Or, pourquoi ne pas offrir aux enfants des héroïnes féminines à aduler, de celles qui alimentent les récits au coin du feu ? Ce n'est pas juste de l'imagination, mais un réel enjeu d'éducation.

"Ce serait bien de donner à nos enfants, en particulier à nos filles, un personnage à qui ils peuvent s'identifier", poursuit Psychology Today, qui perçoit à travers "Maman Santa" un grand nombre de cases cochées dans le genre "role model" : "la persévérance, l'empathie, la réflexion, le courage, les compétences organisationnelles, la résolution de problèmes, la gentillesse".

Et le journaliste de conclure : "Je propose de redéfinir le Père Noël". Rendre à Mrs Claus la place qu'elle mérite serait déjà un bon début. Car le féminisme, lui aussi, a le droit de squatter le pied du sapin.