Philippe Jaenada : pourquoi j'ai voulu réhabiliter la "monstrueuse" Pauline Dubuisson

Publié le Vendredi 02 Octobre 2015
Ariane Hermelin
Par Ariane Hermelin Journaliste Terrafemina
Journaliste société passée par le documentaire et les débats en ligne sur feu Newsring.fr.
Philippe Jaenada
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Au milieu des nombreux romans médiatiques de cette rentrée littéraire, il y a La petite femelle de Philippe Jaenada. Après s'être attaqué au gangster charismatique Bruno Sulak, l'écrivain s'est plongé dans la vie de Pauline Dubuisson, jeune étudiante en médecine qui a tué son amant en 1951 et dont le procès son amant a fait la Une des journaux dans les années 50. S'improvisant détective, l'écrivain part sur les traces de cette femme considérée à l'époque comme un monstre qui inspira le personnage de Brigitte Bardot dans La vérité de Henri-Georges Clouzot et nous livre un roman passionnant qui réhabilité cette femme au destin tragique. Nous avons rencontré l'écrivain pour qu'il nous parle de Pauline Dubuisson.
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Comment avez-vous eu l'idée d'écrire un livre sur Pauline Dubuisson ?

J'avais fini d'écrire Sulak et tout le monde me demandait : "Alors t'as trouvé ton prochain sujet ?". De mon côté, je savais juste que j'allais sans doute encore raconter la vie de quelqu'un dans mon prochain livre, parce que non seulement j'en ai marre d'écrire sur moi, mais ça me passionne beaucoup plus de parler de quelqu'un d'autre.

Et une des habituées du bar m'a apporté un livre grand public sur "les femmes criminelles au 20ème siècle", un bouquin récent sans grande ambition qu'on trouve au Carrefour du coin.

En feuilletant distraitement ce livre, je tombe sur le chapitre consacré à Pauline Dubuisson et, là, je tombe en arrêt devant sa photo. C'est une photo d'elle prise pendant son procès, elle est sur le banc des accusés, elle ne baisse pas la tête et elle regarde droit devant elle. A l'époque, ce cliché avait précisément été utilisé dans la presse pour illustrer sa prétendue arrogance, pour montrer qu'elle ose toiser les hommes.

Le chapitre consacré à Pauline Dubuisson dans ce livre la présente comme un monstre et une dépravée. On y lit des choses abracadabrantes, comme le fait qu'à 13 ans, elle se serait baignée nue en plein jour dans une fontaine publique devant une foule d'Allemands concupiscents. Et on y explique qu'elle a été violée par des faux Résistants à la fin de la guerre, et qu'elle en a conçu une haine à l'égard des hommes, dont elle a cherché à se venger pendant toute sa vie.

Et je me dis que c'est un bon sujet, car on ne pourra pas me reprocher, comme pour Sulak, d'avoir de l'affection pour cette femme visiblement féroce. J'achète donc en ligne le numéro de Détective daté de la semaine de son procès et je lis l'article qui corrobore la thèse du livre que je viens de feuilleter. Puis je commence à creuser.

Comment vous avez réussi à rassembler toutes ces informations et ces détails aussi bien sur la vie de Pauline Dubuisson que sur son procès ?

Tout mes informations viennent des témoignages de l'époque, des dossiers de police. Dans le dossier d'instruction, il y a 600 pages. Avec plein de documents étonnants, des photos d'elle quand elle était petite, des cartes postales, son testament... C'était très émouvant de tomber sur toutes ces traces d'elle. Et puis il y a bien sûr l'ensemble du dossier de l'enquête. Je me suis plongé là-dedans et en tout j'ai mis un an à décortiquer tout ça. Tous les détails qui figurent dans le livre, je les ai trouvés soit dans les journaux de l'époque qui ont fait leurs choux gras de l'affaire, soit dans le dossier d'instruction. Et à force d'étudier attentivement le dossier, je me suis rendu compte que son avocat pendant le procès était vraiment une truffe. Quand on lit attentivement le dossier de l'instruction et qu'on constate que la moitié des témoignages ont été rejetés car il n'allait pas dans le sens de l'accusation, on se dit "mais qu'est-ce-qu'il a foutu ?" Il y avait des tonnes d'éléments, comme les analyses balistiques, qu'il aurait pu utiliser pour la défendre au procès, mais il était très chrétien et il a privilégié une stratégie du pardon. Mais est-ce-que c'était vraiment ce qu'elle voulait, elle ?

Etre fidèle à la réalité, c'est votre credo d'écrivain ?

Ca me paraît bizarre, comme certains l'ont fait, de prendre un vrai personnage qui a existé et de lui "faire faire des trucs", d'inventer des épisodes de sa vie. Sur elle, un auteur de polar a écrit dans un de ses romans qu'elle avait été violée, et, alors qu'il est fort probable qu'il l'ait inventé, c'est considéré aujourd'hui comme la vérité. Or, si on affirme qu'elle a été violée pendant sa jeunesse, cela signifie qu'elle a toutes les raisons de se venger des hommes. Or, moi, je pense qu'elle n'a jamais voulu faire de mal à un homme.

A mes yeux, c'est bien là tout le problème de Pauline Dubuisson ; elle a été toute sa vie poursuivie par des rumeurs qui ont fini par avoir sa peau.

Et c'est pour cette raison que je ne voulais pas broder et ne m'appuyer que sur la vérité pour écrire ce livre. Ce sont les approximations qui ont détruit sa vie, donc je savais en commençant à écrire la rédaction que je ne voulais pas écrire un seul mensonge, et à chaque fois que je ne sais pas quelque chose, je le dis. C'est la contrainte que je me suis fixée pour ce livre-ci en particulier : dire la vérité, être fidèle aux témoignages des gens.

Il y a beaucoup de références à des femmes illustres qui incarnent l'émancipation dans La petite femelle, pourquoi ?

J'ai ajouté ces petits clins d'oeil dans le but d' inscrire Pauline Dubuisson dans une trajectoire. Cette idée m'est venue à la fin de l'écriture. Je me suis rendu compte qu'à la prison de Haguenau où elle a été emprisonnée, il y avait plusieurs détenues très "célèbres", Sylvie Paul, Denise Labbé, etc. Et toutes ces femmes ont en commun d'avoir été écrasées par la société et par les hommes. Quand j'ai appris qu'elle avait côtoyé ces détenues, j'ai compris que Pauline Dubuisson était le symbole d'une époque et que j'étais en train d'écrire, effectivement, un livre en quelque sorte féministe, ou en tout cas un livre qui témoigne de la souffrance de ces femmes.

Et toutes les femmes auxquelles je fais allusion dans le livre, Marilyn Monroe, Françoise Sagan, Billie Holliday, Virginia Woolfe, ont, sans exception essayé de s'émanciper, de sortir de la condition de "femelles" soumises. Et toutes sont mortes dans des conditions tragiques. Donc, même si mon but n'était pas de dénoncer la condition des femmes dans ces années-là, mon livre en parle forcément. Et je suis bien obligé de constater que ce n'est toujours pas le paradis des femmes... Quand je vois qu'on peut écrire dans certains magazines que Charlène de Monaco "accède au plus beau rôle que puisse avoir une femme" en donnant naissance à des jumeaux, je suis révolté.


Brigitte Bardot, qui a incarné Pauline Dubuisson à l'écran, hante également La petite femelle. Pour vous, c'est son double ?

Brigitte Bardot, c'est d'abord l'actrice qui a joué Pauline Dubuisson au cinéma. Et c'est son personnage dans un autre film, En cas de malheur, qui prononce la phrase qui m'a inspiré le titre de mon livre : "Je suis une petite femelle, il faut me laisser faire ce que j'ai envie".

Et puis il y a ce drôle de chemin parallèle entre ces deux femmes. Après avoir tourné La vérité, Bardot a fait une tentative de suicide, elle est victime de la haine de la société, elle se réfugie dans l'amour des animaux... Mais bon, au-delà de ces points communs, Bardot, c'est une petite bourgeoise née dans le velours et la soie un peu légère, ce qui n'était pas du tout le cas de Pauline Dubuisson.


On sent une grande tendresse pour votre héroïne. Vous avez eu mal à la quitter ?

D'abord, je ne l'ai pas quittée, je parle d'elle tout le temps, j'ai seulement cessé de travailler sur elle. Ensuite, d'un point de vue émotionnel, je ne l'ai pas quittée. Hier soir, j'étais à Lille dans le quartier où elle a vécu et je peux vous dire qu'elle était très présente. Quand on écrit des livres c'est comme si on enchaînait des histoires d'amour intenses. J'ai vécu pendant deux ans avec Sulak, et je lui parlais littéralement en marchant dans la rue. Quand j'ai commencé à travailler sur Pauline Dubuisson, elle l'a remplacé à ma table de travail, mais sinon, non, Bruno Sulak et Pauline Dubuisson restent tout près de moi. On ne quitte pas ses héros.

Le fait d'être en lice pour le Renaudot. C'est important pour vous ?

Ca fait plaisir d'être sur la liste, c'est sûr. On se dit que les gens ont bien aimé notre livre. Mais en même temps, je suis conscient que j'ai moins de chances de gagner ce prix que de gagner au loto.

Dernière question : vous savez sur qui vous allez écrire maintenant ?


Oui, mais je ne peux pas vous le dire !