Face au prix exorbitant des protections périodiques, les Libanaises utilisent des chiffons

Publié le Vendredi 02 Juillet 2021
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Face au prix exorbitant des protections périodiques, les Libanaises utilisent des chiffons
Face au prix exorbitant des protections périodiques, les Libanaises utilisent des chiffons
L'effondrement économique qui secoue le Liban a des conséquences ravageuses. Notamment, la précarité menstruelle qui pousse de nombreuses femmes démunies de protections adaptées à se tourner vers des chiffons - ou des couches de bébés.
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Le 4 août 2020, deux explosions sur le port de Beyrouth faisaient plus de 200 morts et plongeaient le pays dans une crise financière, sociale et politique dramatique.

D'après la Banque mondiale, il s'agirait de l'une des pires survenues depuis la fin du 19e siècle, rapporte France Culture. Pour nombreux·se·s Libanais·e·s, le quotidien rime désormais avec survie : 55 % de la population vit désormais sous le seuil de la pauvreté, estime à son tour l'ONU. Les produits de première nécessité ont vu leurs prix flamber et parmi eux, les protections périodiques, devenant quasi inaccessibles à une grande partie de la population. Une précarité menstruelle sans précédent.

Afin de pallier les conséquences de l'inflation, les personnes concernées n'ont d'autres choix que de se rabattre sur le système D. Elles utiliseraient alors des bouts de chiffons, voire des couches pour bébés, davantage disponibles dans des centres de dons et magasins de dépannage, quand elles ne doivent pas simplement se résoudre à ne rien porter.

Du lait pour sa fille ou des serviettes hygiéniques

C'est le cas de Chérine, 28 ans. Depuis plusieurs mois, elle n'a plus les moyens de se procurer de quoi vivre ses règles sereinement. Alors, elle ruse, recourant à ces stratagèmes inadaptés, humiliants et parfois dangereux. "Avec les prix élevés et la colère que je ressens, j'en suis au point où je préfèrerais ne plus avoir mes règles", lâche-t-elle aux journalistes de l'AFP qui l'ont rencontrée.

Avec la dépréciation de la livre libanaise, le marché noir qui fait grimper les prix en supermarché et les salaires qui stagnent, un paquet de serviettes d'environ 2 euros a quintuplé, rapporte encore l'agence de presse. Un budget devenu impossible à tenir, explique la jeune femme, surtout lorsqu'elle doit aussi subvenir aux besoins de sa fille de quelques mois.

"Je préfère lui acheter du lait, moi je peux supporter", affirme Chérine. De plus, les composants présents chez les marques beaucoup moins chères lui ont donné des allergies. Autre sacrifice pour le bien de son enfant : les médicaments qui réduisaient ses douleurs menstruelles. Economiser "au cas où", confie la mère. Et son récit est loin d'être isolé.

Les personnes qui donnaient n'en ont plus les moyens

Avant la crise, les plus précaires pouvaient compter sur les dons des femmes de la classe moyenne pour se munir de ces denrées essentielles. Seulement aujourd'hui, beaucoup de celles qui fournissaient les associations ne peuvent plus s'en acheter elles-mêmes. C'est ce dont témoigne la fondatrice de Dawrati ("mon cycle", en français), Line Tabet Masri, une organisation qui distribue des protections à qui ne peut s'en fournir, dans les colonnes de TV5 Monde.

Pour l'instant, la solution à ce fléau, qui gagne un terrain tragique, résiderait toujours dans l'entraide, et la conception home made de serviettes réutilisables, en utilisant cette fois matériaux et techniques sûres. L'association Days for Girls forme ainsi les réfugiées du camp de Chatila, à Beyrouth, à cet artisanat inédit. Puis, les produits sont distribuées dans les zones les plus défavorisées.

Une action salvatrice qui souligne l'absence flagrante de mesures concrètes de la part des dirigeants locaux (le pays n'a plus de gouvernement depuis août dernier), qui ne semblent toujours pas les considérer comme indispensables, ni traiter ce constat alarmant comme ce qu'il est : une catastrophe sanitaire effrayante.