De la petite enfance à l'adolescence, l'enfant puise dans le cadre et l'amour que lui donnent ses parents pour bâtir une personnalité équilibrée. Si les façons d'éduquer nos petit·e·s sont nombreuses et rarement issues d'un mode d'emploi strict (et qu'on se le dise, jusqu'à une certaine mesure, ne regardent que nous), il y a des réflexes qui peuvent impacter leur bien-être présent... comme futur. Et inversement, en tant qu'adulte, on peut trouver dans les failles et les échecs éducatifs de nos parents les raisons de nos angoisses et traumatismes divers.
C'est le cas notamment du syndrome de l'enfant prodige, ou "golden child" en anglais, qui définit la façon dont un enfant va être constamment distingué comme le "prodige", donc, jusqu'à percevoir une pression conséquente sur ses épaules pour réussir à tout prix. Et dans certains cas, ne recevoir d'affection que lorsque celle-ci est jugée "méritée".
On décrypte les tenants et aboutissants du phénomène, ce qu'il provoque et d'où il vient, et la façon de l'adresser pour s'en défaire lorsqu'on s'y reconnait.
"Un enfant prodige est tenu responsable de la réussite de la famille. Les parents l'apprécient et l'adorent et, d'une certaine manière, le stimulent pour qu'il devienne meilleur dans tout ce qu'il fait", détaille la Dre Nereida Gonzales-Berrios, psychiatre, au magazine mindbodygreen. "Il est un exemple à suivre pour les autres. Même les frères et soeurs de l'enfant prodige lui sont comparés pour créer une pression continue sur ses performances ; pour s'assurer qu'il ne doit pas échouer ou manquer à leur bon comportement et à leurs réalisations."
Elle poursuit, décrivant cette fois les mécanismes que finit par intégrer l'enfant. "Son principal objectif dans la vie est de satisfaire les besoins de ses parents et de procurer à sa famille succès, nom et renommée auprès des étrangers. Les parents le considèrent comme un atout pour la famille et le font toujours paraître supérieur devant les autres. Ils exercent discipline et action et forcent l'enfant à réaliser leurs désirs. L'enfant, lui, se sent redevable de satisfaire ce que les parents veulent qu'il fasse, même si cela ne lui plaît pas".
Une réaction complexe et destructrice à ce que l'experte qualifie sans détour de comportement toxique émanant de parents narcissiques. Ces derniers utilisant leur progéniture pour "montrer leur propre perfection". Mais concrètement, quels réflexes acquiert-on lorsque, petit·e jusqu'à plus âgé·e, nous sommes victimes de ce syndrome ?
"Les enfants surstimulés, qui grandissent dans une ambiance familiale inquiète, absorbent et intériorisent l'anxiété", constate la Dre Margrit Stamm, professeure émérite de sciences de l'éducation de l'Université de Fribourg et directrice de l'Institut de recherche Swiss Education.
Dans un article dédié au sujet et intitulé "Les enfants ont le droit d'être 'seulement' moyens", elle poursuit encore : "Pour eux, l'école, les loisirs et, parfois même, le monde entier sont des cadres angoissants. Cela donne lieu à des somatisations qui vont des problèmes de sommeil aux crises de panique, en passant par les migraines et les maux d'estomac."
En ce qui concerne les adultes qui ont pu être victimes de ce syndrome de l'enfant prodige, le média Your Tango énumère précisément leurs caractéristiques psychologiques et émotionnelles. Ces personnes ont ainsi une tendance à être hyper-vigilantes, paranoïaques, à avoir des traits obsessionnels et une hypersensibilité aux critiques.
Elles ne comprennent pas bien ou ne respectent pas les limites dans les relations. Elles font plaisir aux gens, ont de faibles capacités de prise de décision. Elles présentent un mauvais jugement, ont besoin d'une attention constante, ont des difficultés à gérer les obstacles et les tracas quotidiens. Elles manquent de sensibilité émotionnelle et ne parviennent pas à établir des relations significatives.
Enfin, à l'image de leurs géniteurs, ces adultes grandissent souvent en ayant eux-mêmes des traits de personnalité narcissiques. Une description qui vous parle ? Voici quelques clés pour aller mieux.
"Guérir du syndrome de l'enfant prodige est une tâche ardue car vous avez été conditionné à mesurer votre valeur par vos réalisations et vos réussites", prévient la Dre Gonzalez-Berrios. "On ne vous a jamais permis de faire des erreurs, et vous avez commencé à croire que les erreurs sont mauvaises et doivent être évitées à tout prix, même si cela vole votre paix intérieure et votre bonheur. Lorsque vous [apprenez] que vous devez vous défaire de cette identité erronée, vous [devenez souvent] effrayé et vulnérable."
La première étape, selon la spécialiste, est l'acceptation et la reconnaissance. Ensuite, la sollicitation de soins auprès d'un·e professionnel·le de santé mentale. La thérapie aidera notamment à la mise en place de limites, essentielles à la guérison, et à la gestion de la honte de décevoir, de ne pas réussir.
Aux parents, Margrit Stamm avise enfin de redéfinir le concept de "potentiel". "Au lieu de considérer que l'enfant doit devenir ce que nous attendons de lui, nous devrions nous intéresser à ses compétences, ses forces intrinsèques ici et maintenant", signe-t-elle. "Ceux qui appliquent ce principe et voient ce que l'enfant recèle au moment présent n'ont pas besoin de se représenter son potentiel à venir".
Et d'insister : "[les parents] doivent s'adapter à la nature de l'enfant et respecter son 'droit de vivre au présent'". C'est-à-dire, expliqué plus frontalement : lui lâcher la grappe, sans attendre.