Sexisme au Vatican : les religieuses brisent enfin le silence

Publié le Mardi 06 Mars 2018
Léa Drouelle
Par Léa Drouelle Journaliste
Sexisme au Vatican : les religieuses brisent enfin le silence
Sexisme au Vatican : les religieuses brisent enfin le silence
Jeudi 1er mars, une journaliste française a publié les témoignages de trois bonnes soeurs du Vatican qui dénoncent la toute-puissance des hommes d'Église et la soumission des femmes pour servir ces derniers. Ces récits poignants sont dévoilés quelques jours avant la Journée internationale des droits des femmes.
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Depuis l'avènement des hashtags #Balancetonporc, #Metoo, #Timesup, et #Maintenantonagit, la parole des femmes se libère dans tous les domaines-du cinéma à la politique en passant par les milieux étudiants et scientifiques- pour dénoncer le harcèlement sexuel et le sexisme. Jeudi 1er mars, trois soeurs du Vatican ont jeté un pavé dans la mare en dénonçant un univers où règne la suprématie de hommes et où les femmes sont reléguées aux simples tâches ménagères. Leurs témoignages (anonymes) ont été publiés dans Donne Chiesa Mondo, le supplément féminin du Journal du Vatican L'ossevatore Romano.

Rémunération symbolique, assignation à des tâches domestiques, manque de reconnaissance. Dans cet article intitulé "Le travail (quasi) gratuit des soeurs", on découvre les témoignages des religieuses Marie, Paule et Cécile, recueillis par la journaliste française Marie Lucile Kubacki. Les nonnes racontent leur quotidien au coeur de l'Église et leur soumission aux prêtres et aux évêques. "Certaines soeurs, employées au service d'hommes d'Église, se lèvent à l'aube pour préparer le petit-déjeuner et vont dormir une fois que le dîner a été servi, la maison mise en ordre, le linge lavé et repassé", décrit Soeur Marie. "Est-il normal qu'un consacré se fasse servir de cette manière par une autre consacrée ?", interroge-elle.

Peur de paraître "capricieuses"

Ces types de services ne répondent à aucun mode de rémunération précis, ni de système horaire défini. "Leur rétribution financière est aléatoire, souvent très modeste", précise la religieuse. Sans surprise, les nonnes évoquent une grande frustration, de profondes blessures, mais également une crainte de décevoir leur famille et de passer pour des "capricieuses" à leurs yeux si celles-ci venaient à parler. "Certaines continuent à dire qu'elles sont heureuses, grâce aussi à la prise d'anxiolytiques", explique Marie.

"Nous voulons vivre dignement et simplement"

La plupart de ces femmes ont bénéficié d'une éducation et certaines d'entre elles ont suivi de longues études. Pourtant, elle sont le plus souvent reléguées à la cuisine ou de corvée vaisselle. "Des missions dépourvues d'un quelconque rapport avec leur formation initiale", commente Soeur Paule. "La responsabilité n'est pas que masculine dans cette affaire. Car même si les soeurs sont brillantes, des mères supérieures s'opposent à la poursuite de leurs études au motif que les soeurs ne doivent pas devenir orgueilleuses", ajoute la soeur. Il arrive aussi qu'elles soient renvoyées du jour au lendemain dans leur congrégation lorsqu'elles tombent malades, ou sans motif précis "comme si elles étaient interchangeables", déplore Soeur Paule.

La date de publication de l'article n'a pas été choisie au hasard, puisqu'elle tombe jour pour jour une semaine avant la Journée Internationale des droits des femmes. Soeur Cécile compte bien profiter de cette occasion pour faire entendre sa voix : "Je n'hésite plus à dire que je désire être payée. Il ne s'agit pas de viser la richesse, mais nous voulons vivre dignement et simplement. C'est aussi une question de survie pour nos communautés. [...] Certaines religieuses pensent que leurs expériences de pauvreté et de soumission, subies ou acceptées, pourraient se transformer en une richesse pour l'Église, si seulement les hiérarchies masculines considéraient leur message comme une occasion pour engager une vraie réflexion sur le pouvoir", a-t-elle déclaré.

"Il y a des endroits où l'égalité des sexes est systématiquement ignorée"

Le Pape François a réagi en publiant une tribune dans l'Osservatore Romano dès le lendemain de la parution des témoignages, rappelle le New York Times. "Je suis préoccupé par le fait que dans l'Église elle-même, le rôle du service auquel chaque chrétien est appelé glisse souvent, dans le cas des femmes, vers des rôles de servitude", a-t-il écrit.

Le 14 février dernier, un Manifeste pour les femmes de l'Église avait été publié sur Facebook. "Nous vivons à une époque marquée par le changement, mais il y a des endroits où l'égalité des sexes est systématiquement ignorée. L'Église catholique est l'une d'entre elles", dénoncent les auteurs de la publication, également organisateurs de la 5e conférence internationale "Pourquoi les femmes comptent", qui aura lieu le jeudi 8 mars à Rome.