Mais pourquoi tout le monde se met à la poterie ?

Publié le Mardi 10 Novembre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
La poterie, nouvelle parade anti-stress
La poterie, nouvelle parade anti-stress
Sur les réseaux sociaux, les vidéos de poterie et de céramique fleurissent. Et les expert·e·s l'assurent : qu'il s'agisse de regarder ou de mettre la main à la pâte, notre santé mentale n'en ressort que plus apaisée. Nouveau réflexe anti-stress ?
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On a du mal à y échapper. Sur TikTok, Instagram et Youtube, elles sont partout. Les vidéos d'internautes qui découvrent la céramique (la discipline générale) et la poterie (la branche dédiée aux ustensiles de cuisine) ou les maîtrisent à la perfection. Des plans interminables sur des mains qui mélangent, qui malaxent, qui moulent, qui sculptent. De l'argile qui passe de l'état liquide au solide, de la peinture qui éclabousse, qui fait naître un motif complexe ou qui s'étale sans accroc sur une surface lisse.

Rien que les décrire nous détend, c'est dire l'impact probable de ces séquences et séances sur notre esprit. D'ailleurs, expertes et adeptes l'affirment : cet art ancestral - qu'on le pratique ou qu'on l'observe - a des vertus anti-stress non négligeables. On a voulu savoir lesquelles exactement. Car inutile de préciser qu'en ce moment, dès qu'il s'agit de décompresser, on prend.

Le pouvoir des mains

C'est le New York Times qui analysait déjà la tendance comme relevant du selfcare, en 2017. Quelques mois seulement après l'investiture de Donald Trump, le média américain visitait un studio de poterie au coeur de Brooklyn. L'atelier faisait salle comble. Les participant·e·s, dont les vécus et les situations différaient vraisemblablement, partageaient tou·te·s un point commun : leur santé mentale était en vrac. A cause d'un quotidien harassant, d'un climat politique inquiétant, d'une tendance à la surproductivité nocive qui poussait à la crise de nerfs.

Comme les autres, Urooj Kahn, 29 ans et tout juste sortie d'une rupture à l'époque, y passait de longs week-ends pour ne pas craquer. "L'argile requiert beaucoup de présence", racontait-elle. "Il y a tant de mouvements subtils qui demandent attention et précision, d'autant plus quand on est novice. Et c'était un soulagement. Mon cerveau me fait mal après de longues journées passées au cabinet, à feuilleter des documents et des traités de droit, et le fait d'être devant le tour (machine qui sert à former l'objet, ndlr) libère ce stress".

Cette méthode particulière a un nom : l'art thérapie. Un domaine que prône l'artiste et psychothérapeute Ashley Warner, insistant auprès du New York Times sur la façon dont le travail créatif et le travail avec les mains peuvent "atténuer la dépression et améliorer la capacité d'une personne à résoudre des problèmes". Créer pour être plus résilient·e ? Apparemment : une élève éreintée par le sexisme qu'elle subit au quotidien est ressortie du studio avec une tasse gravée "male tears", ou "larmes d'homme". Une façon de canaliser sa colère, évoque la concernée.

"L'argile répond. Elle affirme ses propres exigences. Il faut être à son écoute comme on ne l'est pas avec d'autres médiums", poursuit la spécialiste. "Le travail de l'argile intègre les fonctions mentales, émotionnelles et kinesthésiques du cerveau. C'est une expérience complète, et un excellent moyen de sortir d'un marasme. Des recherches montrent que notre cerveau est câblé pour se sentir bien en réponse à une activité physique gratifiante, qui ne fait généralement plus partie de notre vie quotidienne. Faire un bol est un plaisir, tout comme la planification de celui-ci".

Ateliers 2.0

En 2020, si Donald Trump est (enfin) sur le point de débarrasser le plancher, d'autres facteurs angoissants pèsent sur une balance déjà bien chargée. Seulement avec le Covid-19, pas question de se retrouver à dix ou plus pour plonger ses mains dans la terre. L'heure est plutôt à la "Zoom-poterie" qu'au cours collectif autour d'une même roue. On peut alors choisir de se lancer dans l'aventure solo, face à un kit de débutant·e qu'on aura étalé sur le sol du salon - bâché pour les plus prudent·e·s.

"La céramique est très apaisante et thérapeutique", confirme à i-D Vivi Matsuda, artiste et fondatrice de MUD WITCH, une marque de poterie basée à San Francisco. "Cela vous ramène à l'enfance, de faire des tartes de boue avec une telle liberté et sans aucun scrupule à se salir des mains au visage".

Depuis le début du premier confinement, elle a mis en ligne des Reels (nouveau format vidéo d'Instagram) qui présentent ses créations colorées et encouragent ses abonné·e·s à ralentir et à passer un moment à exprimer un art quel qu'il soit. "Je pense que nous avons tous besoin d'un peu de cela en ce moment. Nous avons besoin d'un moyen de nous sentir libres même si nous ne pouvons pas quitter la maison. Nous devons occuper notre cerveau avec quelque chose de réconfortant et de reposant", assure-t-elle.

Pour les moins doués avec leurs extrémités, heureusement, les bienfaits resteraient efficaces à distance et par procuration.

Des images hypnotisantes

L'alternative à la pratique, c'est donc l'observation. Une solution qui s'est démocratisée grâce aux réseaux sociaux. Désormais, si on n'a pas le matériel sous la main pour modeler un bol, on peut toujours passer de longues minutes (heures ?) à mater quelqu'un le faire à notre place - et beaucoup mieux.

La mine d'or de ces contenus d'une nouvelle ère se trouve sur TikTok, la plateforme plébiscitée par la Gen Z, où celles et ceux né·e·s entre 1997 et au-delà. Comme Elaina, 18 ans, qui rassemble 300 000 abonné·e·s grâce à ses démonstrations impressionnantes.

"La première fois que j'ai posté une vidéo sur TikTok, c'était parce que j'étais fière de ce que j'avais fait, et je voulais en quelque sorte partager cette expérience avec tous ceux qui aimaient l'art", explique-t-elle également à i-D. "Après avoir expérimenté différentes vidéos, beaucoup de gens ont trouvé ça intéressant, et je me suis amusée à le faire, alors j'ai continué".

Elle aussi analyse l'engouement pour le visionnage de son art comme un besoin de se changer les idées, et de se déconnecter d'un quotidien préoccupant. "Que les gens soient trop stressés ou qu'ils s'ennuient simplement, ils sont certainement à la recherche d'une distraction en ce moment. La plupart trouvent satisfaisant et apaisant que je fasse des vidéos simples, comme la fabrication d'un vase par exemple". Une sorte d'ASMR améliorée, puisqu'on apprend autant qu'on se détend.

A ses côtés, d'autres noms émergent dans le milieu de la céramique digitale. Lisa, de @speckledbrownie, Amanda, de @claybyamanda. Sur Youtube, on peut même trouver des "compilations de potterie et de céramique satisfaisantes" qui remontent à quelques années en arrière. Des images hypnotisantes à faire frémir de plaisir les accros aux lignes nettes et aux symétries impeccables, quasi jouissives.Preuve que, s'il est particulièrement nécessaire aujourd'hui, le réflexe ne date pas d'hier. Et n'est pas près de s'arrêter.

Alors en attendant de pouvoir de nouveau s'inscrire à un atelier IRL, on peut toujours se préparer (et profiter) devant quelques démonstrations virtuelles.