"The Hate U Give" au cinéma, ça donne quoi ? L'avis d'une ado

Publié le Mercredi 23 Janvier 2019
The Hate U Give
The Hate U Give
Alexia Botoumamou a 15 ans. Elève en classe de seconde au lycée l'Espérance d'Aulnay-sous-bois, elle a vu de "The Hate U Give – La Haine qu'on donne" (sortie ce 23 janvier en salle), adapté du roman d'Angie Thomas. Le film est-il à la hauteur des attentes ? Voici sa chronique.
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Spectatrice d'une effervescence mondiale autour du roman The Hate U Give d'Angie Thomas, classé 2e best-seller pour jeunes adultes par le New York Times, j'ai vu l'annonce de son adaptation cinématographique, réalisée par George Tillman Jr, susciter l'enthousiasme de chacun.

En effet, il s'agit de l'adaptation de cet ouvrage, reçu positivement à l'unanimité par la critique littéraire et récompensé par de prestigieux prix dont les Printz Honor et William C. Morris Award. J'ai eu l'occasion de voir ce film en avant-première et je ne le regrette pas une seconde. De ce fait, je vais vous partager mon point de vue, celui d'une simple adolescente âgée de 15 ans.

Qu'en est-il de l'impact de cette adaptation sur son public ? Cela "dépend de la personne qui regardait le film et des expériences qu'ils avaient vécues", selon Russell Hornsby (Maverick Carter) à The Daily Californian. Et je ne peux qu'approuver ses propos.

La présentation du personnage principal se fait pendant les premières minutes. Starr Carter, une jeune de 16 ans (à la couleur ébène) vit dans deux mondes contrastés : elle réside à Garden Heights, une ville pauvre, fragilisée et marquée par la violence et les trafics de drogue et des gangs. De l'autre côté, elle fréquente Williamson, un établissement privé dans un quartier aisé à 45 minutes de chez elle, dont la majorité des élèves sont blancs. Etant moi-même issue d'un quartier populaire mais fréquentant un établissement privé, j'ai eu davantage une facilité à m'associer à Starr.

Mais cet équilibre va être perturbé. Elle va assister à la mort de Khalil, son meilleur ami d'enfance qui se fait tirer dessus par un policier. Étant l'unique témoin, que va-t-elle faire ? Céder face aux menaces, se réduire sous silence et préserver sa sécurité et son intégration ? Ou, prendre la parole et dévoiler sa véritable identité, en dépit du regard des autres et des risques encourus ? Cette présentation m'a directement plongée dans le film et j'ai eu l'impression qu'on me donnait accès à l'univers de Starr.

Clivage social et racial

La première scène, à la fois troublante et percutante, met en action le père de Starr. Maverick Carter explique à sa fille, encore enfant, ainsi qu'à son premier fils comment se comporter pendant un contrôle policier.

Je considère cette scène comme une amorce déterminante. Elle sera le film, qui traite essentiellement les bavures policières envers la communauté noire.

De plus, le long métrage rend hommage à deux grands mouvements à l'échelle national aux Etats-Unis en faveur des Afro-américains. Le Black Panther Party, mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine, fondé dans les années 1960, visait à défendre les droits des Noirs aux Etats-Unis et stopper la ségrégation raciale, notamment grâce à la publication d'un programme en 10 points ("Ten-point program"). L'existence de ce programme est soulignée dans le film puisque la règle 7 est évoquée : "Nous voulons un arrêt immédiat de la brutalité policière et des meurtres de Noirs [...]".

Le titre même du long métrage fait une allusion directe à l'illustre rappeur Tupac Shakur. En effet, The Hate U Give provient de "The Hate U Give Little Infants Fucks Everybody" ("La haine que vous donnez aux enfants fout tout le monde en l'air"), dont l'acronyme est "THUG LIFE", un code de vie rédigé par Tupac avec d'autres membres du Black Panther Party.

En outre, 30 ans après la dissolution de cette organisation, un autre mouvement est popularisé en 2013 : le Black Lives Matter, traduit littéralement par "les vies des Noirs comptent". Les militant·es du mouvement se mobilisaient contre la violence policière et le racisme récurrent envers les Noirs aux Etats-Unis. Il est repris par un personnage de The Hate U Give qui scande que "Khalil vivait et sa vie comptait".

Je peux aussi rajouter que l'art de la musique est mis en avant grâce à une bande-son axée principalement sur le hip-hop et développée par des artistes marquants de différentes générations. De mon point de vue, le film est riche grâce à toutes ces références historiques et musicales, qui ont marqué diverses époques.

Amandla Stenberg dans The Hate U Give
Amandla Stenberg dans The Hate U Give

Une boussole pour son identité sociale

Ce long métrage m'a permis de prendre conscience des expériences que peut vivre la communauté noire, d'autant plus que j'en fais partie. Il m'a réellement poussée à la réflexion sur ma place dans la société. Comment pourrais-je accepter mon héritage culturel si elle nuit à mon intégration dans la société et à ma sécurité ? Tout simplement en le défendant car selon le personnage, "il est impossible de ne pas être armé quand la couleur même de notre peau est l'arme qu'ils redoutent." Le film soulève aussi le voile sur l'appropriation culturelle.

Ces interrogations sont renforcées par une introspection sur moi-même. J'en viens à dire que peu importe le peuple dont je suis issue, mon devoir, c'est de réclamer ses droits et par conséquent les miens.

Briser ce cycle récurrent pour se reconstruire sur des bases solides et non fragiles : elle est là, la solution. Mais cette dernière s'obtient grâce à la prise de parole, une arme si redoutée. Selon la jeune Starr, elle est "aussi lourde qu'un fusil."

Un passage des premières lignes du roman contemporain m'a beaucoup marquée : "Aucune version de moi ne convient", constatait Starr. En effet, à force de vouloir être deux personnes différentes, elle en vient à être rejetée. Mieux vaut donc être soi-même tout en assumant d'où l'on provient puisque ça fait partie de notre identité sociale.

Je n'irais pas jusqu'à qualifier ce film de coup de coeur filmique. Néanmoins, je conçois son succès. J'espère que cette touchante histoire plaira, malgré le fait qu'elle renvoie à une triste réalité. Rendez-vous au cinéma !

Alexia Botoumamou.

The Hate U Give

De George Tillman Jr.
Avec Amandla Stenberg, Regina Hall, Russell Hornsby

Sortie au cinéma le 23 janvier 2019