"Je ne voulais pas mourir", la campagne choc des femmes russes contre les violences conjugales

Publié le Lundi 29 Juillet 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Alexandra Mitroshina sur Instagram.
Alexandra Mitroshina sur Instagram.
"Je ne voulais pas mourir". C'est avec cette affirmation-choc que des centaines d'internautes russes militent depuis deux semaines sur Instagram. Leur souhait ? Que leur gouvernement mette enfin en place un projet de loi de prévention des violences domestiques.
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"On dénombre 16 millions de victimes de violences domestiques en Russie. Ici, le violeur est protégé, pas la victime", déplore Alena Popova sur son compte Instagram. Ce 19 juillet, l'activiste russe des droits de l'homme a décoché une publication-choc. Elle y fustige la justice russe, qui condamne "des femmes emprisonnées, accusées de meurtre, pour s'être défendues de leur mari tyrannique", et plus globalement l'inaction du gouvernement russe face aux violences conjugales. Sur son front recouvert par ses mèches blondes s'affiche une large blessure, sanguinolente. Et, en guise de mot d'ordre, cette assertion funèbre : "Je ne voulais pas mourir".

En vérité, la blessure est factice. Par ce maquillage, Popova ne se contente pas de choquer son audience, elle la sensibilise. Et elle n'est pas la seule. A ses côtés, des centaines de femmes russes ont publié sur leurs réseaux sociaux ce genre de messages - maquillage macabre à l'appui. Toutes participent à une vaste campagne à la visée collective : convaincre le gouvernement de mettre en place un projet de loi consacré aux violences domestiques. Afin de garantir leur prévention et, bien sûr, d'assurer aux victimes l'aide nécessaire, comme une protection juridique digne de ce nom. Une aide qui manque encore cruellement en Russie. "Il n'y aurait pas autant de morts s'il y avait une loi", nous assure à ce titre l'internaute russe.

"Personne n'est à l'abri"

"En Russie, environ 12 000 à 14 000 femmes meurent chaque année de violences domestiques. La Russie a besoin d'une loi fédérale sur la prévention de la violence familiale et l'assistance aux victimes. Pour que cela se produise, il nous faut une publicité maximale", développe à l'unisson l'activiste et vidéaste russe Alexandra Mitroshina. Sur son compte Instagram, présentant elle aussi un visage tuméfié, la jeune femme se réfère à l'affaire qui a bouleversé son pays le 8 juillet dernier : l'assassinat - à coups de poignards - d'Oksana Sadykova par son mari. Un homme violent dont elle avait déjà dénoncé les abus à la police, sans grand succès. "Oksana serait en vie maintenant si nous avions une loi sur la violence domestique", s'attriste Alexandra Mitroshina.

En juin dernier encore, l'inculpation pour meurtre avec préméditation des soeurs Krestina, Angelina et Maria Khachaturyan avait fait grand bruit. On accuse les trois jeunes femmes d'avoir assassiné leur père en juillet 2018. Des années durant, ce dernier leur a fait subir des violences autant physiques que sexuelles. Nombre de citoyennes voient là une preuve du manque flagrant de prévention et de législation des violences faites aux femmes et des féminicides. Pour exprimer cette urgence aux plus hautes instances, un mouvement social est nécessaire. "J'ai réalisé que je devais agir maintenant et que ma voix n'était pas suffisante", alerte à ce titre Alexandra Mitroshina.

Comme elle, nombreuses sont celles à se rallier à cette cause militante. "Personne n'est à l'abri de la violence domestique, et il est important pour chaque femme, et chaque mère, de savoir que nous et nos enfants sommes sous la protection de la loi. Malheureusement, ce n'est pas le cas dans notre pays", conclut une internaute révoltée. Paré d'un makeup mortifère, la face recouverte d'ecchymoses, elle fait partie des 600 000 personnes à avoir signé la pétition d'Alena Popova pour l'inauguration d'une loi. Un texte intié il y a trois ans de cela et qui, à travers la campagne #JeNeVoulaisPasMourir (#янехотелаумирать) a aujourd'hui droit à une seconde vie.