"Les petits cheveux", l'histoire de la pilosité féminine à travers les siècles

Publié le Jeudi 16 Novembre 2017
Harnaam Kaur, femme à barbe depuis l'âge de 16 ans.
Harnaam Kaur, femme à barbe depuis l'âge de 16 ans.
L'épilation, avant de devenir un sujet de société du XXIe siècle, était déjà pratiquée dans l'Egypte ancienne et la Rome antique. Symbole d'impureté, rapport à l'animalité, le poil a une histoire qu'Emmanuel Pierrat et Jean Feixas racontent dans le livre "Les petits cheveux" à travers les arts et la littérature.
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Le culte du corps lisse et imberbe n'est pas une tendance propre au XXIe siècle. En effet, l'épilation est apparue très tôt dans l'histoire de l'humanité. Il est aujourd'hui possible d'affirmer que des civilisations préhistoriques fabriquaient des outils pour s'épiler. Dans l'Egypte ancienne, 3000 ans avant J-C, le poil était considéré comme un symbole d'impureté et d'animosité. Les pharaons et les personnes issues de l'aristocratie s'épilaient intégralement le corps. Les archéologues ont d'ailleurs découvert dans des tombaux datant de 1300 à 1100 avant J-C que les femmes de Ramsès II et Ramsès III étaient toutes épilées, des aisselles jusqu'au pubis.

En Mésopotamie, environ 2000 ans avant notre ère, les rois et reines avaient également recours à l'épilation. De même que les notables de Babylone qui s'épilaient le menton pour faire tenir leur postiche à barbe. Dans la Rome antique, 500 ans avant J-C, toutes les catégories sociales pratiquaient l'épilation. L'avènement du christianisme, qui appelle à accepter le corps tel que Dieu l'a conçu, a rendu la pilosité acceptable pendant plusieurs siècles. Puis l'épilation est devenue tendance chez la noblesse, jusqu'à ce que les femmes subissent finalement la pression sociale que nous connaissons aujourd'hui. Cette histoire du poil a passionné Jean Feixas et Emmanuel Pierrat, qui signent aujourd'hui Les petits cheveux (ed. La Musardine).

La couverture du livre "Les petits cheveux". Photo de Jean-Baptiste Mondino.
La couverture du livre "Les petits cheveux". Photo de Jean-Baptiste Mondino.

"Nous nous sommes intéressés au genre féminin et à la pilosité sous toutes ses facettes les plus intimes, avec une clé de lecture facile puisque nous passons par la littérature, la peinture et l'art, nous explique Emmanuel Pierrat. Ce qui permet d'en parler en terme élégant et de s'interroger sur les modes à travers le temps, la question de l'épilation et le rapport à l'animalité".

Pourquoi avoir écrit sur l'histoire de la pilosité féminine ?

Il y a une riche iconographie d'artistes, hommes ou femmes, qui se sont penchés sur le sujet au cours des siècles et nous représentons le sexe féminin depuis la nuit des temps, selon les époques, les moeurs, la censure ou la coutume. Nous nous sommes aperçus également que de nombreux écrivains importants ou poètes et poétesses s'étaient intéressés à cette question. Comme nous sommes des amoureux de l'histoire de la littérature, des arts et des meurs, nous avons pensé qu'il y avait un vrai sujet qui portait à s'interroger : y a-t-il un retour du poil ? Est-ce que toutes les femmes s'épilent ? Nous remontons loin dans l'histoire de la société. Car s'il y a des anecdotes et des informations amusantes, nous abordons également le droit des femmes à disposer de leur propre corps, ainsi que la question du désir et de ce qui est "sexy" chez une femme.

Des femmes vous ont-elles inspiré pour écrire "Les petits cheveux" ?

Nous avons eu des inspiratrices (rires). J'ai posé des questions, fait relire des textes, fait des appels à contribution pour connaître la réflexion de mes amis sur le sujet et me suis basé sur des études sociologiques relatant le rapport des femmes au poil.

Nous avons conclu qu'il y avait beaucoup d'opinions diverses et variées. C'était loin d'être uniforme. Il y a des mouvements de mode et une morale assez prégnante, dont les femmes commencent peu à peu à se défaire. Il y a le regard des autres sur la pilosité du sexe et sur "les petits cheveux" au sens large, comme les poils des aisselles ou des jambes. Il y a un diktat du corps ou du regard des autres sur ce que devrait être la féminité. Je ne prêche pas pour ou contre. Je pense que les femmes doivent décider sur tous les sujets en général et y compris sur celui de leur propre corps évidement, mais je ne peux pas m'empêcher de penser que le regard extérieur est une contrainte sociale.

Femme hirsute. Extrait de "La chronicle de Nuremberg", livre sorti en 1493 en Allemagne.
Femme hirsute. Extrait de "La chronicle de Nuremberg", livre sorti en 1493 en Allemagne.

D'où vient cette contrainte sociale selon vous ?

Il y a le regard des femmes entre elles et des mères sur leur propre fille. Il y a un regard sur ce que doit être le corps de nos filles. Puis il y a le regard des hommes sur ce qu'est une femme, tel que le conçoit l'imaginaire masculin. Ce qui rend le sujet intéressant et actuel, c'est qu'une partie des femmes parviennent aujourd'hui à se libérer de cette contrainte et à le proclamer comme quelque chose qui n'est plus de l'ordre de la sexualité, mais qui résulte du choix personnel de devenir ce qu'elles veulent être.

Vous parlez beaucoup des femmes à barbe, notamment de Harnaam Kaur, devenue barbue à l'âge de 16 ans suite à un syndrome des ovaires polykystique et qui revendique aujourd'hui publiquement son choix de garder sa barbe.

J'ai rencontré plusieurs femmes à barbe, et Harnaam Kaur est extraordinaire. J'aime beaucoup sa posture et sa revendication publique. En dehors des droits évidents qu'elle a à utiliser son corps comme elle le veut – pour Jean Feixas et moi, c'est quelque chose qui ne se discute pas, les femmes décident point - j'ai eu des discussions à n'en plus finir : moi je la trouve très belle, mais j'ai reçu des réactions horrifiées. Je trouve Conchita Wurst (chanteur autrichien androgyne portant la barbe, vainqueur du concours de l'Eurovision en 2014- ndlr) très bien également. Je trouve même extraordinaire qu'un pays comme l'Autriche qui flirte toujours avec l'extrême droite arrive néanmoins à plébisciter Conchita Wurst. Ça fait du bien.