cinéma
"Par Instinct" : deux parcours de femmes autour du désir de maternité
Publié le 15 novembre 2017 à 11:33
Par Charlotte Arce | Journaliste
Avec "Par Instinct", en salle ce mercredi 15 novembre, la réalisatrice Nathalie Marchak signe un premier film humaniste et un beau portrait de deux femmes que tout oppose, si ce n'est le désir de maternité.
Alexandra Lamy Alexandra Lamy© J.C. Lother
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Quand nous avions rencontré Nathalie Marchak il y a un peu plus de deux ans, la jeune réalisatrice venait tout juste de boucler le financement de son premier film. Aujourd'hui, celui-ci sort enfin sur les écrans, après des années de bataille et de galère pour monter le projet qui lui tenait tant à coeur.

Il faut dire que le sujet de Par Instinct, fort et engagé, a dû décontenancer les producteurs, certainement plus habitués à ce qu'une jeune femme trentenaire écrive le scénario d'une comédie plutôt que celui d'un film évoquant frontalement les questions de la perte d'un enfant et de la prostitution forcée.

C'est pourtant ce pari fou qu'a fait Nathalie Marchak. Dans Par Instinct, on suit Lucie (Alexandra Lamy, parfaite dans ce rôle à contre-emploi), une brillante avocate d'affaire qui, après des années d'essai, parvient enfin à tomber enceinte. En voyage d'affaire à Tanger, où fait une fausse couche, elle fait la connaissance de Beauty, une clandestine nigériane, prostituée de force, qui vient d'accoucher. Quand Beauty lui confie son bébé et lui demande de le protéger, Lucie est complètement déboussolée. Dans les bas-fonds de la ville, Lucie va pourtant chercher à sauver cette jeune fille. C'est sans compter sur l'attachement de plus en plus fort qu'elle ressent pour l'enfant...

© J.C. Lother
Deux revers d'une même médaille

Le sujet de son film, Nathalie Marchak l'a dans la peau depuis des années. "J'avais lu un article sur des femmes nigérianes qui enceintes, sont mises en quarantaine à Tanger en attendant de pouvoir passer en Europe. J'ai contacté la journaliste qui m'a emmenée avec elle à Tanger, où j'ai été immergée pendant un mois avec des clandestines. Je me suis liée d'amitié avec l'une de ces femmes, qui un jour m'a mis son bébé dans les bras et m'a demandé de le prendre. C'est sur ce désir de maternité que j'ai voulu écrire. Beauty et Lucie représentent les deux revers d'une même médaille : l'une a très envie de devenir mère, l'autre a peur de le devenir. Quelque part, je me retrouve en chacune d'entre elles", nous racontait-elle il y a deux ans.


Cette ambiance si particulière de la ville marocaine, cette lumière bleutée de sa médina, Nathalie Marchak a réussi à la capter, à la retranscrire sur la pellicule, au moyen d'un travail de reconstitution minutieux. "C'était très émouvant pour moi de retourner à Tanger, où j'avais ce souvenir très présent et qui a inspiré le film, nous confiait la cinéaste il y a quelques jours depuis le palace parisien où se tenait la journée presse de Par Instinct. Nous avons recréé des décors qui ressemblaient totalement aux lieux dans lesquels j'avais vécu certaines choses avec ces femmes. Quand j'ai visité pour la première fois la maison rose du film, j'en ai eu les larmes aux yeux car le chef opérateur du film avait recréé à la perfection les photos que je lui avais données, jusqu'aux posters qui figuraient aux murs. Ça a été un travail passionnant et émouvant."

Alexandra Lamy (Lucie) dans "Par Instinct" © J.C. Lother
Sonja Wanda, lumineuse révélation du film

Porté par un casting parfait, le film de Nathalie Marchak joue parfaitement de l'ambiguïté de son personnage principal, Lucie. Ravagée par la perte de son enfant, tiraillée par l'envie de prendre soin de celui de Beauty, l'avocate d'affaires va devoir combattre sa moralité et sa raison pour sauver cette clandestine nigériane. C'est justement cette ambivalence qui a plu à Alexandra Lamy. "Ce que j'ai trouvé intéressant, c'est qu'elle avait une espèce de froideur que j'aimais bien. C'est une executive woman. Elle n'a pas d'affect, elle est là pour négocier des contrats. Cette rencontre avec Beauty va la bouleverser. Ces deux femmes sont tellement différentes mais ce qui les rassemble, c'est l'instinct, celui de sauver cet enfant. Ce bébé les rassemble, c'est plus fort qu'elles", nous explique-t-elle. "Je comprends tout ce que vit Lucie. Ce que j'aime bien dans ce film, sa réaction est au-delà des lois et de la raison. C'est ça l'humain", conclut la comédienne, ravie que Nathalie Marchak lui ait confié pareil personnage à incarner.

Mais la révélation de Par Instinct est sans conteste Sonja Wanda, dont il s'agit du premier rôle. Mannequin norvégienne d'origine soudanaise, elle nous raconte s'être inspirée de l'histoire de sa propre mère pour donner vie au personnage de Beauty. "Quand j'ai reçu le script, j'ai pleuré en le lisant. Il m'a beaucoup rappelé l'histoire qu'a vécue ma mère, son périple pour quitter le Soudan du Sud et rejoindre la Norvège. Beauty est une survivante, elle est si forte. Aussi forte que ma mère."

Alexandra Lamy et Sonja Wanda dans "Par Instinct" de Nathalie Marchak © J.C. Lother
Un film profondément féminin

En salle ce mercredi 15 novembre, Par Instinct est un film intense, humaniste, qui fait la part belle aux personnages féminins forts, complexes, et ne les cantonne pas à jouer une nouvelle fois les seconds rôles. Est-ce parce que Nathalie Marchak est elle-même une femme ? Sans aucun doute. "Encore aujourd'hui, c'est essentiel de combattre certains stéréotypes. J'ai fait le choix de n'écrire ni une comédie romantique, ni un drame social, mais un film d'aventures. [...] On m'a dit plusieurs fois que je faisais un film ambitieux. Mais si j'avais pour vocation de ne pas faire de film ambitieux, je ne ferais pas de cinéma ! On doit avoir l'ambition de faire un beau film, et être une femme de devrait jamais être un argument de refus", nous expliquait Nathalie Marchak il y a deux ans.

Depuis, son point de vue n'a pas changé d'un iota : oui, il faudra toujours se battre davantage en tant que femme pour réaliser le film que l'on veut. Ce n'est pas pour cela qu'elle va y renoncer. "Est-ce que j'ai fait ma place aujourd'hui ? Pas encore. Mais la fait-on jamais ? Je vais sûrement devoir me battre pour monter mon prochain film. Il y a des réalisatrices qui émergent, mais ça reste encore profondément un métier d'hommes. Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Mon combat, c'est de faire des films. Si on me barre la route parce que je suis une femme, ça ne va pas me plaire", affirme la réalisatrice, qui nous confie à la fin de notre entretien une anecdote de tournage. "Beaucoup de monde passait sur le tournage pour demander des autographes à Alexandra, à Sonja. Puis il y a cette petite fille qui est arrivée et c'est à moi qu'elle a demandé un autographe, alors que je n'étais pas connue. Juste parce que j'étais la réalisatrice et qu'elle voulait elle aussi faire des films quand elle sera plus grande. Ça m'a profondément émue et j'ai eu envie de lui dire qu'elle avait raison de vouloir être réalisatrice et que le fait d'être une femme ne devrait pas l'en empêcher."

Par Instinct de Nathalie Marchak, avec Alexandra Lamy, Sonja Wanda, Bruno Todeschini, Brontis Jodorowski, en salle le 15 novembre.

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