





Plus libres, plus audacieuses ?
Si elles se réapproprient certains motifs de leurs aînées, esthétiques ou sonores, parfois de manière postmoderne ou ironique, les chanteuses qui font la pop music aujourd'hui s'en émancipent également par des décisions profondément personnelles... Qui viennent faire bouger les lignes afin de ne pas reproduire le destin tragique d'idoles d'antan - les lecteurs de la génération Britney l'entendront volontiers.
Comment ces chanteuses qui fédèrent des milliards de fans se démarquent-elles ?
En mettant au coeur de leur direction artistique et de leur art tout court des valeurs comme le self care, la santé mentale, la liberté à disposer entièrement de son corps, la fluidité de genre face aux carcans trop étroits imposés par la société, mais aussi, en imposant leurs limites, claires et nettes, face à une fanbase ou des médias trop envahissants pour leur intimité et leur intégrité.
Et si c'était là le signe d'une révolutionnaire émancipation ?
On se pose la question.
Les exemples s'alignent et se complètent ces dernières années pour illustrer la tendance.
Chappell Roan qui tout en rendant hommage à la culture drag, intensément queer, rappelle à tous ses followers l'importance de ne pas être trop intrusif et "tactiles" au sein de son espace intime - un avertissement clairement à l'adresse des fans qui touchent et enlacent la diva...
... Tandis que Billie Eilish entre deux Unes emblématiques pour Vogue défend les enjeux fondamentaux de santé mentale (abordant dépression, idées suicidaires, body shaming), tout comme elle décline les styles les plus opposés sur scène et ailleurs - rendant hommage aux divas hollywoodiennes glamour un jour, arborant de larges baggys le lendemain. Billie Eilish se fringue comme elle veut, en fait un message intime et politique à ses concerts, où elle dénonce le body shaming, et sa garde robe pose des limites claires : ne jugez pas trop vite mon corps, mes tenues, mes attitudes, n'oubliez pas que tout cela m'appartient !
Roan est du même avis, elle qui n'hésite pas à perdre des fans en expliquant effectivement que nombre de ces derniers ont trop souvent "des comportements de prédateur" et ignorent le consentement concernant le fait de la toucher ou de l'embrasser.
"J'observe des comportements de prédateur déguisés en agissements de "superfans"... Je me fiche que vous m'estimiez égoïste parce que je refuse une photo ou un câlin. Tout cela n'est pas normal, tout cela est bizarre. Je ne les accepte pas. Car si vous voyez une femme lambda dans la rue, crieriez-vous sur elle à la fenêtre de sa voiture ?", poursuit le phénomène pop dans un discours qui parle beaucoup de santé mentale.
"Iriez-vous la harceler en public ? Vous avez parfois des comportements délirants !... S'il vous plaît, arrêtez de me toucher. S'il vous plaît, arrêtez d'être bizarre avec ma famille et mes amis. S'il vous plaît, arrêtez de supposer des choses à mon sujet", énonce-t-elle.
La liberté à disposer de soi ! C'est là le grand message de la Gen Z.
Pendant ce temps, la popstar la plus virale du moment, Addison Rae, chapeautée par la reine de l'hyperpop Charli xcx - l'instigatrice du brat summer - , se réjouit ainsi d'assurer toute une partie de la promo de son premier album (applaudi par la critique la plus hype type Pitchfork)... Sans le moindre maquillage.
Une tendance no makeup inspirée par des élans féministes très populaires sur les réseaux sociaux. Le maquillage, partie majeure des apparats des superstars féminines, est ici relégué au rang d'artifice, parfois utile, parfois renvoyé dans un tiroir avec irrévérence. Santé mentale là encore : la chanteuse désire juste rester elle-même, au naturel, sans artifices.



Et qu'importe si délaisser rouge à lèvres et gloss, comme Pamela Anderson (pas vraiment une icône de la génération Z) ne correspond pas aux diktats du glamour : tout comme elles posent une distance entre elles et leur public, les chanteuses les plus passionnantes du moment se contrefichent des standards de beauté.
A chaque fois, leurs looks fait partie intégrante de leur manière d'assumer leur indépendance et leur fluidité.
Elles imposent toutes leur style, et leurs limites... Mais ce n'est clairement pas tout.
Renée Rapp aussi donne le la à la liberté.
Liberté d'agir comme elle l'entend. Cette icône à la large fanbase outre atlantique a dédié une grande partie de son discours à l'éthique "self care", ou self love, autrement dit le soin apporté à soi. Il est forcément beaucoup question dans cette approche introspective d'empathie, de santé mentale, d'environnement sain, des choses pas si évidentes quand on est une star mondiale.
Elle raconte : "Je souffre d'anxiété et de crises de panique et j'ai même suivi une thérapie !... Il existe certainement un moyen de parler de santé mentale au plus grand nombre, pour que les gens se sentent à l'aise et en sécurité. Je sais que je dois être responsable par rapport à ce que j'exprime dans ma musique, mais je dois aussi être moi-même".



"J'essaie vraiment de trouver un équilibre entre confidentialité, respect de ma propre intimité, et ouverture d'esprit".
"Être ouverte est très important pour moi, ça me fait du bien. J'ai tellement de chance d'avoir une communauté de fans qui me soutient, mais qui me tient aussi responsable. Je veux absolument qu'on me dise quand je fais une erreur. Je respecte les créateurs qui ne regardent pas les messages privés ou n'y répondent pas, mais ça ne me plaît pas du tout en ce moment. Si quelqu'un vient me voir, je viendrai aussi !"
On croirait entendre son amie Billie Eilish, l'une des chanteuses les plus écoutées au monde.
Qui à l'instar du no makeup, se bat contre les pressions sexistes liées à l'apparence de la moitié de la population, et dénonce les injonctions faites aux femmes en interview : "Pourquoi personne ne dit jamais rien sur le corps des hommes ? Parce que les filles sont gentilles. Elles s'en foutent parce que nous voyons simplement les gens tels qu'ils sont ! Personne ne dit jamais rien sur le corps des hommes. Si vous êtes musclé, c'est cool. Si ce n'est pas le cas, c'est cool. Si vous êtes mince, c'est cool... Si tu as un corps de daron, c'est cool aussi. Si tu es un peu potelé, tout le monde en est content. Pourquoi ?"



L'interprète en appelle à la sororité, et à la self esteem.
S'écouter soi, écouter autrui, ne pas considérer un environnement sain comme quelque chose d'absolument ringard ou de "vieux"... Aux antipodes donc, des rockstars d'antan, à la vie chaotique. Comme Billie Eilish, Renee Rapp ne craint pas de sembler sensible et vulnérable dans ses déclarations. En un mot, plus humaine.
De quoi déconstruire des idoles, et des mythes, qui ont peut être fait leur temps. Pour une génération qui vénère Timothée Chalamet, porte étendard des nouvelles masculinités, renvoyer à l'industrie musicale son imagerie toxique et finalement très viriliste n'est pas si mal.
Entre autres bouleversements opérés par cette sororité d'artistes qui, à n'en pas douter, ont encore tellement à nous apprendre sur la toxicité du star system... Et la nécessité de s'en libérer une bonne fois pour toutes !