Ces présentatrices américaines attaquent leur chaîne pour "âgisme"

Publié le Lundi 24 Juin 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
La journaliste Roma Torre en 2012 (Getty Images)
La journaliste Roma Torre en 2012 (Getty Images)
L'âgisme n'est pas la moindre des formes d'opression que l'on inflige aux femmes. Cinq présentatrices de télévision le démontrent en attaquant leur employeur en justice.
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Si l'on dit souvent que l'âge est gage de maturité, il est aussi source de misogynie. C'est que laisse entendre la journaliste Roma Torre, 61 ans - pour 26 ans d'antenne quotidienne. Aux côtés de quatre autres consoeurs, cette présentatrice a décidé de porter plainte au tribunal fédéral de Manhattan contre la chaîne New York 1, son principal employeur. Elle accuse Charter Communications, l'entreprise-propriétaire, de l'avoir consciemment marginalisé en raison de son statut de journaliste "senior".

Les présentatrices concernées ont entre 40 et 61 ans. Elles se nomment Kristen Shaughnessy, Janine Ramirez, Vivian Lee, Amanda Farinacci et font leur métier depuis une vingtaine d'années en moyenne. A les entendre, aucun doute : leur temps de présence à l'écran est considérablement réduit depuis que Charter Communications a la mainmise sur la chaîne d'information locale. Leurs heures de présentation ont été amoindries au profit de voix plus jeunes. Et il en est de même pour les missions de reportage, attribuées aux profils moins "expérimentés".

#BroadcastWomen

"Au 21e siècle, nous devrions avoir dépassé depuis longtemps le double standard qui autorise les hommes à vieillir, alors que les femmes ont une date d'expiration. Ce n'est pas un phénomène nouveau dans les médias et nous ne sommes pas seules", expliquent les concernées dans une lettre ouverte des plus salutaires.

Entre les lignes, ces présentatrices de renom "aux plus de cent ans d'expérience collective" militent pour une plus forte diversification au sein des médias et une prise de conscience globale des discriminations qui enveniment leur profession. Car les femmes, affirment-elles, ne sont pas des "citoyens de deuxième classe", de simples produits consommables - et encore moins jetables. Aujourd'hui, les cinq journalistes réclament des dommages et intérêts au montant encore inconnu. Et attendent des réponses satisfaisantes à leurs allégations de la part de Charter Communications.

L'âgisme est une problématique que l'on évoque trop peu. En la portant au coeur du débat public, ces professionnelles interrogent la question épineuse de la visibilité féminine - et les inégalités de représentation qui lui sont relatives. Leur combat n'a rien d'une guerre interne, il est universel. "Nous nous battons pour nous-mêmes et pour tous" affirment-elles dans leur post Medium. Pas question de porter préjudice à leurs jeunes collègues pour autant. Au contraire, c'est pour elles qu'elles s'indignent. Toutes ces reporters prometteuses elles aussi "atteindront un jour [leur] âge et se retrouveront peut-être dans cette situation bien trop familière".

Pour secouer le petit écran, il faut libérer la parole. Les présentatrices ont ainsi pour espoir que cet engagement groupé leur permettra de parler au nom de toutes ces collègues "qui voient ce qui se passe mais n'osent pas s'exprimer par peur des représailles". Non contentes d'investir le tribunal, ces journalistes font carrément passer le mot sur les réseaux sociaux avec le hashtag #BroadcastWomen. Ce slogan viral vise à sensibiliser les internautes quant au mécanisme - intentionnel - de marginalisation des quadras, quinquas et sexagénaires. Et le nom du compte Twitter spécialement dédié à cette lutte, lui, est encore plus éloquent : Unseen on TV. Car le "jamais vu à la télévision", digne de tous les scoops, c'est encore l'équité.