Aude Gogny-Goubert : "Le mouvement #MeToo démarre enfin en France"

Publié le Mercredi 18 Décembre 2019
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Aude Gogny-Goubert
Aude Gogny - Goubert
Quelle place pour les femmes réalisatrices dans l'ère post-#MeToo ? A l'occasion des Arcs Film Festival 2019, rendez-vous incontournable du cinéma européen qui se tient du 14 au 21 décembre, nous avons interrogé ces cinéastes inspirantes qui se battent pour faire bouger les lignes. Zoom sur la comédienne et réalisatrice française Aude Gogny-Goubert.
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Aude Gogny-Goubert multiplie les cordes à son arc. Actrice, autrice et réalisatrice, elle s'est fait connaître du grand public en intégrant le Palmashow et le collectif Golden Moustache. Depuis, l'électron libre court de série en série (on l'a notamment vue dans la série fantastique Marianne sur Netflix) et écrit beaucoup.

Et en parallèle, elle a créé la chaîne Virago, une petite merveille de pédagogie sur laquelle "Aude GG" met en lumière ces femmes de l'ombre extraordinaires mais invisibilisées par l'Histoire. Ou encore Virag'INA, série documentaire retraçant les lois et mouvements qui ont bâti les droits des femmes. Un travail féministe qu'elle poursuit en réalisant une comédie historique sur la pionnière du cinéma parlant, Alice Guy.

Alors qu'elle fait partie du jury long-métrage de l'édition 2019 des Arcs Film Festival, nous avons interrogé cette créatrice engagée sur sa place de femme dans une industrie encore trop masculine et sur ses inspirations.

Terrafemina : A votre avis, qu'est-ce qui se met encore en travers de la route des femmes réalisatrices et actrices?


Aude Gogny-Goubert : La politesse. Le fait de ne pas vouloir prendre trop de place, de faire trop de bruit. Nous avons tendance à nous excuser et à ne pas vouloir "faire de vagues". Il nous faut encore gagner de l'espace qu'il soit artistique ou médiatique. Encore faut-il qu'il soit disponible....

99% des femmes travaillant dans l'industrie du film et de la télé ont déjà dû faire face au sexisme. Est-ce votre cas ?

A.GG : J'ai envie de rencontrer ce 1% fascinant qui n'aurait jamais rencontré ce genre de situation ! Évidemment, j'y ai fait face souvent et encore régulièrement. Notre monde évolue et j'ai beau être très au fait de tout un système, je me laisse encore surprendre par des comportements qui me laissent complètement ébaubie.

De réflexions blessantes ou petites humiliations en passant par des gestes déplacés, il est difficile de toujours réagir car c'est aussi un métier où il faut savoir lâcher prise et où l'on ne peut décemment pas rester perpétuellement sur ses gardes.


La palme, cette année, revient pour moi à ce comédien bien plus âgé que moi, que je ne connaissais pas, avec qui je n'avais pas encore tourné et qui s'est présenté à moi alors que j'attendais de tourner ma scène, en me glissant "Si je n'étais pas marié et père de famille, je te ferais une Harvey Weinstein...". Je suis restée sidérée.

Le mouvement #MeToo a bousculé le milieu du cinéma. Comment l'avez-vous vécu et avez-vous déjà vu les choses évoluer ?


A.GG : Je pense que le mouvement #MeToo démarre seulement maintenant en France... Grâce à la puissance des paroles d'Adèle Haenel. Jusque-là, il ne s'était absolument rien passé chez nous, selon moi. J'espère que les conséquences de son admirable force seront salvatrices et je prie de toutes mes forces pour que nous changions de paradigme.

Que devrait-on faire pour booster la représentation des femmes à Hollywood et dans le milieu du cinéma en général (devant et derrière la caméra) ?

A.GG : Selon moi, cela se passe en amont. Quand les directeurs de chaînes, de festivals, de studios seront à parité avec les directrices. Quand il y aura autant de productrices et de scénaristes femmes, la question ne se posera plus car la vision du monde nous apparaîtra à travers un prisme différent. Dès l'école et par l'éducation, il faut pousser les jeunes filles/femmes vers des carrières de dirigeantes et que par la suite elles aient accès à ces postes en dehors des critères de sexe. Alors seulement la représentation pourra s'équilibrer.

Adèle Haenel dans "Portrait de la jeune fille en feu"
Adèle Haenel dans "Portrait de la jeune fille en feu"

"Portrait de la jeune fille en feu"de Céline Sciamma

Quel est votre film "féministe" favori ?

A.GG : J'aime fondamentalement le cinéma et un film est un film. On ne parlerait jamais d'un film "masculiniste" - même si cela doit exister - comme d'un cinéma militant et revendicateur avec ce que cela sous-entend de politique. Pourquoi le ferait-on si l'on traite de sujets ou via le prisme de 53% de l'humanité ?

En revanche, j'aime les films portés par des femmes car ils prennent souvent une autre face du kaléidoscope pour nous raconter une histoire. J'aime aussi les personnages principaux féminins complexes et nuancés. Je pense par exemple au Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma ou à Melancholia de Lars Van Trier.

Avec quelle réalisatrice rêveriez-vous de tourner ?


A.GG : Emmanuelle Bercot sans hésiter.

La femme qui vous a le plus inspirée cette année ?

A.GG : Adèle Haenel, comme nous toutes évidemment. Mais aussi Sarah Suco qui a eu la force de porter son histoire personnelle à l'écran dans Les éblouis avec beaucoup de pudeur et de maîtrise.