Pourquoi les femmes s'excusent-elles plus que les hommes ?

Publié le Jeudi 12 Décembre 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Pourquoi les femmes s'excusent-elles plus que les hommes ?
Pourquoi les femmes s'excusent-elles plus que les hommes ?
"Excusez-moi", "Veuillez m'excuser", "Pardon", sont des mots bien plus aisément employés par les femmes que par les hommes. Il y a une bonne raison à cela, et même plusieurs. Qui en disent long sur les constructions de genre...
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Les hommes n'ont pas juste tendance à moins laisser passer celles qui se dirigent vers eux dans la rue (quitte à se prendre un front). Ils seraient également bien moins susceptibles de s'excuser dans la vie de tous les jours. Et oui, "pardon", "veuillez m'excusez" et autres politesses d'usage sont des locutions qui ont bien plus de chances de se retrouver dans la bouche des femmes. C'est tout du moins ce qu'affirme un article du site INC.

Mais pourquoi ? Les réponses à cette vaste question sont aussi multiples qu'insolites. Surtout, elles en disent long sur la psychologie humaine et les stéréotypes de genre. Pas simplement sur notre manière d'interagir les uns envers les autres, mais sur le sens que l'on accorde aux relations humaines.

Des injonctions de genre à gogo

Le "pardon", plus féminin que masculin ?
Le "pardon", plus féminin que masculin ?

C'est d'ailleurs ce que démontre la revue scientifique Psychological Science. A en lire cette étude de 2010, enrichie durant une dizaine de jours par les témoignages et observations d'étudiants, les hommes et les femmes s'excusent différemment. Pour une simple et bonne raison : chacun ne juge pas de la même façon ses actions, leurs conséquences, et surtout la gravité de la situation. En l'état, les femmes seront plus à même de considérer leurs actions, comme "offensantes", nécessitant de ce fait des excuses. Quand bien même des actions similaires pourraient être envisagées comme tout à fait anecdotiques par la gent masculine.

Et ce constat n'a rien d'anodin. Car si l'on en croit cette observation du site Psychology Today, les excuses sont indissociables des relations féminines. Et pas simplement lorsque l'on pousse une inconnue dans le métro sans le faire exprès. Non non, "les excuses sont le ciment social des amitiés entre femmes", décrypte la professeure en psychologie Amanda Rose.

Elles n'entrent pas en jeu afin de déculpabiliser, un sentiment plutôt égocentrique qui nous renvoie à l'amour propre, mais ont davantage trait à la vulnérabilité (assumée), à la compréhension de l'autre et de ses affects. "Dans la plupart des cas, ces excuses ont pour but de réparer ce qui est brisé, de s'assurer que la relation est intacte", là où les conversations entre hommes "impliquent un dialogue spécifique qui découragent ceux-ci d'être vulnérables", s'attriste la spécialiste.

Déso pas déso, les stéréotypes de genre perdurent.
Déso pas déso, les stéréotypes de genre perdurent.

Un fait sur lequel insiste cet article de Stylist, nous rappelant que l'amitié féminine est une "chose très puissante" aux inépuisables vertus - soulager le stress, apaiser l'angoisse, assurer le soutien moral des femmes qui ne souffrent que trop des injonctions et violences diverses qu'elles subissent au quotidien. D'où l'importance de chouchouter ce genre de relations. Ce qui fait de l'excuse un aveu sincère - indissociable de ses propres torts - mais également un véritable "outil de langage stratégique", poursuit le magazine. Un protocole social normalisé, au service d'une estime réciproque que d'aucuns associeraient au concept de sororité : la solidarité féminine. De quoi inciter les mecs à l'introspection ?

Pas vraiment, à en lire le site spécialisé Entrepreneur, pour qui s'excuser à tout-va n'est pas une force et n'aide en rien à s'imposer face aux malotrus. Si l'on en croit la coach Nicolette Amarillas, un "pardon" décoché plus qu'il n'en faut est avant tout la preuve d'un manque de confiance en soi et peut causer du tort à l'élaboration de ses futurs projets pros. Bref, c'est un frein considérable pour la carrière des aspirantes working girls.

Car le truc, c'est que les excuses ne sont pas simplement plus régulières du côté des femmes, elles interviennent souvent "quand celle qui s'excuse n'a rien fait de mal", dixit l'experte. Ce n'est pas du tout l'empathie que fustige celle-ci, mais un fait : les femmes ont davantage l'impression de manquer de légitimité professionnelle, et cela s'observe par la redondance de leurs "pardon". C'est le milieu environnant qui les incite à cultiver cette remise en question, au détriment de leur développement personnel. "Ce n'est pas que les femmes s'excusent plus - c'est qu'elles perçoivent plus d'erreurs en elles-mêmes. Et ce n'est pas sain", conclut la coach.

Câlins de l'amitié et excuses sororales.
Câlins de l'amitié et excuses sororales.

Un comportement moins visible chez les hommes selon la psychologue Amanda Rose, pour qui les mecs ont effectivement plus tendance à développer "un style d'interaction autoprotecteur, à éviter de montrer ou d'admettre leurs faiblesses". Même lorsque la situation semble suffisamment grave pour nécessiter des excuses, rares sont ceux à s'appesantir.

La preuve s'il en est qu'un simple "pardon" condense tout un tas de constructions de genre. Car pour les hommes, s'excuser semble similaire au fait de pleurer : un comportement tout sauf viril, associé à une soi-disant faiblesse "féminine". Une mise à nu comparable au fait de verser des larmes. Alors qu'elle pourrait simplement stabiliser voire renforcer des relations.

Loin d'être une hypothèse, c'est un argument d'autorité qui se profile ici. Car s'intéresser au rôle des excuses dans notre vie quotidienne, c'est encourager une évolution des mentalités et des attitudes en fonction des genres. Pas simplement en incitant les femmes à moins "s'excuser par réflexe", comme l'évoque Psychology Today, mais en suggérant aux hommes que, voyez-vous, il n'y a rien de mal à dire "pardon". Pour la professeure Amanda Rose, considérer les deux est un enjeu de société. C'est s'assurer d'une "compréhension des perspectives" de chacun. L'idéal pour une communication plus limpide, égalitaire et ouverte. Féministe ?

 

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