Pourquoi le "revenge porn" dont est victime Benjamin Griveaux ne devrait réjouir personne

Publié le Vendredi 14 Février 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Benjamin Griveaux, le candidat victime de "revenge porn".
Benjamin Griveaux, le candidat victime de "revenge porn".
Nombreux sont les internautes à tourner en dérision la divulgation de vidéos à caractère sexuel mettant en scène le député Benjamin Griveaux. Une "fuite" qui a poussé le candidat LREM à la mairie de Paris à retirer sa candidature ce vendredi 14 février. Or, cette pratique a un nom : le "revenge porn". Et elle n'a (vraiment) rien de réjouissant.
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C'est un scandale qui remue la scène politique, les rédactions et les médias sociaux. Après la diffusion sur internet de vidéos confidentielles à caractère sexuel (revendiquée par l'artiste russe Piotr Pavlenski), Benjamin Griveaux, candidat de La République en marche (LREM), vient de retirer sa candidature pour la mairie de Paris. Une décision qui a suscité bien des réactions du côté de ses rivaux ou collègues.

Ainsi, la maire de Paris Anne Hidalgo a appelé "au respect de la vie privée et des personnes" dans un communqiué transmis à l'AFP. "Les Parisiennes et les Parisiens méritent un débat digne".

"J'adresse à Benjamin Griveaux, ainsi qu'à sa famille, mon soutien plein et entier dans cette épreuve. L'attaque indigne qu'il subit est une menace grave pour notre démocratie", a commenté Cédric Villani, candidat à la mairie de Paris, sur Twitter.

Mais ailleurs cependant, la bienveillance n'est pas toujours d'usage. Parmi les dizaines de milliers de tweets engendrés par le mot-clé #Griveaux s'accumulent railleries et piques en tout genre. Il y est notamment question de "la taille du pénis de Benjamin Griveaux" ou de l'inconscience de l'homme politique à croire "qu'il ne pourra rien se passer" lorsque ce dernier partage des photos de son intimité de manière privée, en pleine campagne électorale. "C'est quel niveau de stupidité ça ?", tacle un internaute.

Autant de commentaires qui tendent à masquer la véritable problématique de ce débat : Benjamin Griveaux est victime de "revenge porn", et cette pratique est aussi légalement condamnable qu'abjecte.

Une pratique abjecte et illégale

Le revenge porn, c'est donc cette pratique consistant à se venger de quelqu'un (bien souvent un·e ex) en divulguant sur la Toile des photos ou vidéos privées à caractère sexuel. D'où cette dénomination de "vengeance pornographique" - laquelle élude étrangement la notion de consentement et de divulgation massive, tout comme le cyber-harcèlement que l'acte provoque. Ce n'est pas juste une "revanche" indigne, mais une effraction de la loi. Rappelons qu'en France, tout responsable de revenge porn risque depuis 2016 deux ans d'emprisonnement et 60 000 euros d'amende, selon l'article 226-2-1 du Code pénal.

Le revenge porn n'est pas simplement une violation de l'intimité d'autrui ou un fait illégal. Non, c'est avant tout une humiliation qui tend à alimenter un autre phénomène, tout aussi abject : le "victim blaming". Bien souvent, on tend effectivement à ne pas reconnaître ce que vivent réellement les victimes. Celles-ci seront très vite accusées d'avoir partagé des photographies ou vidéos intimes sans se douter d'éventuelles futures conséquences, c'est-à-dire, des potentiels risques de divulgation de ces images échangées en privé. En gros, si cela fuite un jour, c'est forcément de leur faute.

Une manière de penser qui nous renvoie directement à la culture du viol. Et aujourd'hui, le retrait de la candidature de Benjamin Griveaux, souhaité par ce dernier, ne fait que confirmer ce jugement réac qu'accorde la société aux victimes de revenge porn.

"L'idée qu'une vidéo de revenge porn soit disqualifiante dans un contexte professionnel est problématique. J'aurais préféré que Benjamin Griveaux réponde 'Oui, c'est bien ma bite, je me trouve à mon avantage sur cette vidéo, une autre question ?'. Et qu'il porte plainte en parallèle. Le signal qui est envoyé ce matin, c'est qu'en cas de revenge porn, c'est à la victime de partir (de son établissement scolaire, de son taf...)", déplore à ce titre la cinéaste et autrice féministe Ovidie sur Twitter.

Un constat plutôt dramatique et pourtant bien réel. Journaliste au magazine du Monde, Boris Bastide voit quant à lui une manière pour Benjamin Griveaux de "protéger sa famille" et de se préserver de "la violence des attaques".

"Juste pour info, la vidéo qui vous fait tant marrer, ça s'appelle du 'revenge porn'. Ce n'est pas parce que la victime est un homme politique vous n'aimez pas que ça rend le procédé plus acceptable", abonde une internaute. "Je vous trouve toutes et tous très nazes ce matin à rire d'une pratique qui porte un nom : le revenge porn. Politiques, célébrités ou anonymes, je vous souhaite de ne jamais subir ce genre de pratique. Ce que des adultes consentants font entre eux ne vous regarde pas", cingle Romain Burrel, le rédacteur en chef du magazine Têtu.

Il faut dire que cela fait bien des années déjà que le "revenge porn" se banalise, malgré les risques réels qu'encourent ceux et celles qui s'y adonnent. Le vingtenaire américain Hunter Moore est considéré comme l'un des "précurseurs" de cette méthode d'humiliation et de harcèlement systématique. En 2010, il mettait en ligne des photographies intimes de son ancienne copine, suite à une rupture. Et allait jusqu'à fonder un site internet consacré à cette "revanche pornographique". Celui-ci sera finalement fermé par le FBI en avril 2012, et Hunter Moore condamné. Pourtant, malgré la médiatisation du phénomène, les cas se suivent et se ressemblent.

En août dernier encore, une adolescente dénonçait en ce sens le cyber-harcèlement et les actes de revenge porn que lui avait fait subir son ancien petit ami, diffusant des images à caractère personnel sur un groupe Facebook. "À cause de [la vidéo mise en ligne] j'ai perdu pas mal d'amis que j'avais en ligne. Je me faisais insulter de tous les noms. Mon ex et ses amis avaient mon numéro de téléphone et ils appelaient sur mon fixe pour me menacer, pour me dire de me taire, de ne pas en parler", raconte-t-elle. Un témoignage édifiant qui donne une petite idée de ce que vivent les cibles souvent juvéniles de cette "revanche porno".

Une indignation également mise en mots par Richard Malka et Lorraine Gay, les avocats de Benjamin Griveaux. Pour ces derniers, il est important de rappeler ce qu'implique une telle pratique : "Benjamin Griveaux invite chacun au respect de sa vie privée. Il s'agit là, pour toute personne, d'un droit essentiel dont la violation est sanctionnée par le code civil et par la loi pénale". On ne saurait mieux dire.

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