L'invasion du Capitole à Washington, symptomatique du privilège blanc masculin ?

Publié le Vendredi 08 Janvier 2021
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Un supporter de Trump devant le parc de l'Ellipse à Washington le 6 janvier 2021, le jour de l'invasion du Capitol.
Un supporter de Trump devant le parc de l'Ellipse à Washington le 6 janvier 2021, le jour de l'invasion du Capitol.
L'invasion du Capitole par les émeutiers pro-Trump ce 6 janvier a fait couler beaucoup d'encre. Plus qu'une manifestation, cette spectaculaire contestation de la victoire du démocrate Joe Biden serait la séquence symptomatique d'une certaine Amérique. Décryptage.
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On a déjà connu meilleure façon de commencer une nouvelle année. Ce 6 janvier, une foule de supporters pro-Trump a envahi le Capitole à Washington, générant violences, peurs et dégâts. Leur but ? Contester la victoire du président élu Joe Biden. Une insurrection qui a provoqué un cataclysme au sein du Congrès, mais aussi dans la presse nationale.

Car si ce début janvier marque la fin du leadership de Donald Trump, nombreux sont les médias à voir en cet événement - et en ces émeutiers extrémistes - l'incarnation certaine de son électorat. Et si l'investissement forcé du Capitole en disait long sur l'Amérique de Trump ? C'est ce sur quoi insiste The Lily, la plateforme féministe du Washington Post, pour qui cette manifestation brutale est avant tout l'expression du "privilège blanc".

Et plus encore, du privilège de l'homme blanc. De quoi rappeler le titre de l'essai de la politologue Marie-Cécile Naves : à travers Donald Trump, et sa victoire il y a quatre ans de cela, se perçoivent "la revanche de l'homme blanc", et plus précisément la revanche de "l'homme blanc en colère" ("angry white man"). Et ce ne sont pas les faits du 6 janvier qui viendront contester cette analyse.

Une scène emblématique de l'Amérique trumpiste

Mais quel privilège ? Celui de pouvoir manifester au sein de lieux jugés inaccessibles, voire même de saccager, sans craindre de trop sévères représailles. Observation que met en évidence la journaliste britannique Sirin Kale sur ses réseaux sociaux : "Le privilège des Blancs a fait irruption dans le bureau du président de la Chambre des représentants. Ce privilège vous permet d'être photographié, avec votre visage clairement visible, en pensant que vous ne passerez pas le reste de votre vie dans une prison fédérale".

Des hommes blancs rageurs, poings serrés, visages découverts, évoluant sans encombres au sein d'une institution sacrée - là où siège le Congrès américain.... Pour The Lily, le contraste est net entre les répercussions concrètes de ces images et les mobilisations organisées en la mémoire de George Floyd en 2020. Car si les manifestations pacifiques de Black Lives Matter ont elles aussi eu lieu à Washington, les réponses des autorités ont été bien différentes : clôtures imposantes, militaires armés, usage de gaz lacrymogène... La grande nuance ? "Les manifestants étaient en grande partie noirs, et beaucoup d'entre eux étaient des femmes", explique le média américain.

Deux salles, deux ambiances. "C'est ça, le privilège des hommes blancs. C'est-à-dire qu'ils s'attendent à ce que leur colère soit validée et à ne perdre aucun prestige malgré leurs actes. De plus, les policiers - et autres figures d'autorité - perçoivent ce comportement comme étant plus légitime quand il vient des hommes blancs", analyse à l'unisson Lisa Wade, professeure de sociologie à l'Université de Tulane, en Nouvelle-Orléans.

Privilège blanc ou colère de l'homme blanc ? Les deux semblent indissociables, si l'on en croit Carol Anderson, professeure d'études afro-américaines à l'Université Emory, pour qui "la rage blanche porte en elle une aura de respectabilité, quelque chose de noble, même quand elle est motivée par les faits les plus ignobles". Une colère qui, à en croire la spécialiste, serait validée par les hautes hiérarchies et les autorités "compétentes", réalité inavouée dont témoignerait la libre circulation des émeutiers au sein du Capitol.

"Je trouve très drôle le fait que l'on ne puisse pas contrôler un groupe d'hommes blancs violant la sécurité du Capitole, mais lorsque des manifestants noirs protestent, alors tous les chars de l'armée débarquent", ironise d'ailleurs une internaute afro-américaine, qui voit là le symbole de "l'Amérique blanche".

Une preuve de la division au coeur de l'Amérique de Trump, décryptée par l'historienne et politologue Nicole Bacharan : "Il y a eu d'autres présidents qui ne gouvernaient que pour les blancs, mais ce qui est frappant avec Donald Trump, c'est qu'après l'ère Barack Obama, sa présidence fait état d'un retour en arrière et d'une division raciale encore plus exacerbée", explique l'experte à la RTBF. Une gouvernance en fin de règne.