Engagement féministe, révolution #MeToo... Les confidences de Clémence Poésy

Publié le Lundi 16 Mai 2022
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
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Actrice aussi discrète qu'engagée, Clémence Poésy trace sa route entre blockbusters et petit écran depuis son éclosion dans le phénoménal "Harry Potter". Aujourd'hui au casting de la série victorienne "The Essex Serpent" sur Apple TV+, elle nous parle de ses espoirs de voir l'industrie (enfin) évoluer depuis le raz-de-marée #MeToo.
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Clémence Poésy est féministe et elle le revendique. Elle aime les personnages forts, le regard des réalisatrices, les scénarios qui bousculent. Actrice engagée, la Frenchy qui navigue entre grosses productions internationales (on l'a récemment vue dans le Tenet de Christopher Nolan) et divan intimiste (elle a rempilé pour une saison 2 d'En thérapie) choisit ses rôles avec soin. Et elle a immédiatement été attirée par l'univers hanté et brumeux de la série The Essex Serpent.

Dans ce show créé par la Britannique Anna Symon, diffusé sur AppleTV+ depuis ce 13 mai, elle incarne Stella, la femme du pasteur (Tom Hiddleston) d'un village anglais planté au bord des marais de Blackwater. Une communauté rongée par la superstition qui sera chamboulée par l'arrivée d'une naturaliste (Claire Danes) en quête d'une créature légendaire.

Nous avons joint Clémence Poésy par téléphone pour parler de ses choix exigeants, de cette révolution #MeToo qu'elle attendait tant et représentation à l'écran.

Terrafemina : Le mysticisme imprègne The Essex Serpent. Est-ce un univers qui vous était familier ?

Clémence Poésy : Je suis quelqu'un d'assez superstitieux, j'ai des espèces de rituels, mais tout ce qui est créatures fantastiques, ce n'est pas trop mon truc. Par contre, j'ai tout de suite trouvé intéressant que cette histoire de serpent vienne interroger toute une galerie de personnages, leur rapport à l'inconnu, à la peur, à la science et à la religion.

Les personnages féminins sont au coeur de cette intrigue. Considérez-vous que c'est une série féministe ?

C.P. : Complètement. Cette série raconte des vies qu'on n'avait pas encore assez racontées, des destinées féminines que l'on n'a pas l'habitude de voir. Il faut que les personnages féminins occupent cet espace et je trouve que The Essex Serpent vient combler un espace encore assez vierge. Et puis les personnages masculins sont eux aussi surprenants et passionnants car on y perçoit leur part de féminité. Peut-être parce qu'ils sont regardés et écrits par des femmes (la série réalisée par Clio Barnard et écrite par Anna Symond- Ndlr)?

Avez-vous immédiatement perçu ce fameux "regard féminin" ?

C.P. : Oui, dès la lecture du script. Je me suis dit que c'était un scénario que je n'aurais probablement pas lu il y a quelques années. Et le regard de la réalisatrice Clio Barnard a été aussi fondamental.

Vous avez dit que l'on vous parlerait probablement du personnage de Fleur Delacour dans Harry Potter toute votre vie. Est-ce étonnant, peut-être un peu frustrant ?

C.P. : Non, ce n'est pas frustrant, car je suis très fière d'avoir fait partie de cette aventure-là, qui a été importante pour beaucoup de personnes. Cela a été une grande histoire et raconter des histoires, c'est ce que je préfère. Ce qui est troublant par contre, c'est que je n'ai qu'un petit rôle et c'est donc étonnant qu'on continue à m'en parler. Mais c'est parce qu'on est vraiment face à un véritable phénomène.

On peut imaginer que dorénavant, vous serez également associée à En Thérapie. Quel impact cette série au succès phénoménal a-t-elle eu pour vous ?

C.P. : On fait toutes et tous fait partie de cette "expérience". La première saison a été diffusée pendant un confinement et cela a sans doute participé à rendre cela encore plus intense. Nous avons accompagné les spectateurs et spectatrices en quelque sorte. Du coup, cela a donné lieu à des conversations très intimes avec des gens que l'on connaissait à peine ! (rires). La série reste associée à une période forte et c'est très chouette.

Clémence Poésy dans "The Essex Serpent"
Clémence Poésy dans "The Essex Serpent"

Vous avez réalisé un court-métrage pour la formidable collection d'Arte H24 - 24 heures dans la vie d'une femme, vous vous êtes engagée contre les violences sexuelles avec "Maintenant, on agit" et avez signé une lettre ouverte aux côtés d'actrices britanniques contre le harcèlement. Monter au créneau sur ces sujets est-il important pour vous ?

C.P. : J'ai été élevée par une mère féministe pour qui la cause des femmes était essentielle et qui nous a transmis ça, à ma soeur et moi. J'ai une vraie soif d'égalité et on ne peut que constater que ce n'est pas encore le cas. Il y a un combat à mener. Ce à quoi on assiste depuis quelques années me réjouit profondément : #MeToo change les choses, ouvre des perspectives, cela secoue et ça me paraît essentiel. Cela me plaît de participer à des projets qui accompagnent cette évolution.

Avez-vous l'impression que les choses ont évolué depuis l'avènement de #MeToo ?

C.P. : Ce qui est génial, c'est de voir que d'une situation tragique est née cette envie de faire autre chose. Nous avons réalisé que nous étions face à un système figé et ahurissant. On a transformé cela en action, en quelque chose de positif. Assister à la naissance de cette révolution et voir les choses bouger tous les jours- même s'il y a encore à faire- est très encourageant.

Vous-même, avez-vous été confrontée au sexisme ?

C.P. : Bien sûr ! Ce qui a été troublant depuis #MeToo, c'est la prise de conscience, que cela soit au niveau des femmes comme des hommes, qui réalisaient d'un coup ce qu'avaient vécu leurs compagnes, leurs amies... Nous, on s'est rendu compte qu'on avait vécu des trucs qu'on n'avait même pas osé nommer ou que l'on avait considéré comme la "norme". Et on a commencé à parler : cela a ouvert des discussions que l'on n'avait pas eues ensemble jusqu'à présent. C'était hyper important de mesurer que cela avait touché tout le monde, à des degrés différents. Il y a eu les violences sexuelles, mais aussi ce sexisme ordinaire que toutes les femmes- il me semble- ont vécu.

Vous qui travaillez en France comme à l'étranger, comment expliquez-vous la frilosité du cinéma français ? On a le sentiment que la parole peine encore à se libérer.

C.P. : Il y a eu quand même des moments très forts, comme Adèle Haenel aux César 2020. Après, chacune décide de ce qu'elle a envie de partager publiquement ou pas, à l'aune de ce qu'elle a vécu. Il faut le respecter. Tant que derrière, il y a la volonté que ces choses-là ne se reproduisent pas et qu'on fasse évoluer ce qui nous semble insupportable. L'essentiel, c'est cette mise en mouvement.

Vous venez d'avoir votre troisième enfant. Avez-vous pu vivre sereinement votre grossesse ? Vous avez par exemple tourné Tenet enceinte sans que cela ne pose aucun problème à Nolan.

C.P. : Oui, j'en avais discuté avec Christopher Nolan pour savoir si on allait insister sur le fait que mon personnage était enceinte et il m'avait répondue que c'était un non-sujet : "Elle est enceinte et puis voilà". Il n'en avait pas fait tout une histoire, à ma grande surprise. Il ne voyait pas pourquoi ce personnage ne pouvait pas être enceinte.

Puis j'ai fait du théâtre où là, pour le coup, il était compliqué que mon personnage soit enceinte. Il a donc fallu cacher mon ventre et ça a été une contrainte supplémentaire. Avouons que ne pas avoir à le camoufler, c'est quand même très agréable !

The Essex Serpent

Une série de Anna Symon

Avec Claire Danes, Tom Hiddleston, Clément Poésy...

Diffusée sur Apple TV+ à partir du 13 mai 2022