"28 jours pour le congé paternité, c'est un minimum"

Publié le Jeudi 24 Septembre 2020
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Le congé second parent est allongé à 28 jours
Le congé second parent est allongé à 28 jours
Le congé second parent passera de 14 jours à un mois en juillet 2021 a annoncé Emmanuel Macron. Une mesure réclamée de longue date, mais encore en deçà des recommandations. Christine Castelain Meunier, sociologue au CNRS, spécialiste du masculin et du féminin et membre du Laboratoire de l'Egalité, analyse cette avancée "a minima".
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C'est une annonce qui ne pouvait qu'être saluée : la durée du congé pour le second parent va être doublée en France, comme l'a annoncé Emmanuel Macron ce 23 septembre. Une nouvelle réjouissante sur le papier, mais qui mérite que l'on s'attarde sur le point de départ. Car la France part de (très) loin : avec 14 jours seulement, la France faisait figure de mauvais élève au sein de l'Union européenne. Et ces 28 jours (dont 7 rendus obligatoires) ne feront que combler ce retard a minima, installant l'Hexagone en "position médiane", comme le souligne la présidence de la République.

Nous sommes en effet encore loin derrière la Finlande par exemple, qui propose 9 semaines de congé second parent (rémunéré à hauteur de 70% de leurs revenus) et qui, sous l'impulsion de la nouvelle Première ministre Sanna Marin, devrait être allongé à près de 7 mois. En Suède, les deux parents se partagent un congé parental de 69 semaines environ (deux mois obligatoires et le reste est réparti). L'Espagne propose un congé second parent de 8 semaines et devrait être allongé à 16 semaines en 2021 (rémunéré à 100%). Quant aux Portugais·e·s, ils·elles disposent de 5 semaines dont 4 obligatoires auxquels peuvent s'ajouter jusqu'à 150 jours (21 semaines) à se répartir avec la mère. Du côté des cancres, on distingue l'Italie et ses sept petits jours et enfin la Grèce qui n'octroie que deux jours de congé au deuxième parent.

Si de nombreux pays européens (comme Royaume-Uni, Danemark, Irlande) ne proposent que deux semaines de congé parental, la France reste en deçà du peloton de tête. D'autant que le gouvernement n'a pas suivi les recommandations du rapport de la commission, présidée par le pédopsychiatre Boris Cyrulnik, dans le cadre des "100 0 premiers jours de l'enfant". Les expert·e·s préconisaient de porter ce congé second parent à 9 semaines, soulignant qu'"il faut du temps, de la disponibilité et de la proximité physique et émotionnelle de la part des parents pour qu'ils construisent avec leur bébé une relation harmonieuse".

Nous avons interrogé Christine Castelain Meunier, sociologue au CNRS, spécialiste du masculin, du féminin, de la famille et membre du Laboratoire de l'Egalité. Autrice d'ouvrages comme Les hommes aussi viennent de Vénus. Forts et sensibles. Les nouveaux visages de la virilité (Larousse 2020) ou encore L'instinct paternel, Plaidoyer en faveur des nouveaux pères (Larousse 2019), elle nous apporte son éclairage sur cette évolution qu'elle juge encore insuffisante.

Terrafemina : Que pensez-vous de l'annonce d'Emmanuel Macron d'allonger le congé second parent à 28 jours ?

Christine Castelain Meunier : J'aurais souhaité qu'il soit allongé comme en Finlande, où il est de 9 semaines. Il s'agit d'une mesure indispensable, dont je me réjouis, mais qui me semble a minima et qui arrive bien tardivement. Mais ce gouvernement n'est pas le seul en cause. Les gouvernements précédents sont responsables du retard de la France en la matière. En effet, déjà en 2000 quand Ségolène Royal m'a invitée dans son ministère dans le cadre de la conférence sur la famille à intervenir sur la paternité : j'avais alors proposé qu'on allonge le congé de paternité d'au moins 3 mois comme dans les pays scandinaves. Mais finalement quand la loi est passée en 2002, le congé paternité n'avait été que de 11 jours pris en charge par la Sécurité sociale auxquels s'ajoutaient trois jours pris en charge par l'employeur...

L'obligation de le prendre 7 jours au moins me paraît bien aussi, mais là encore a minima, il faudrait allonger. Quand au congé parental, il n'est pas assez rémunéré.

Cet allongement va-t-il aider les femmes à se délester de la charge mentale ?

C.C.M. : Bien sûr. Là encore, c'est un minimum indispensable, notamment pour tendre vers ce que j'appelle "la démocratie de l'intime", c'est-à-dire le partage négocié entre l'homme et la femme des responsabilités domestiques et familiales, de l'articulation des temps sociaux, du rapport au travail et à la carrière.

Quels sont les bénéfices de l'allongement du congé paternité pour l'égalité femmes-hommes et pour l'enfant ?

C.C.M. : Tous en bénéficient, car cela favorise l'estime de soi et le respect d'autrui, mais aussi la qualité de l'équilibre identitaire de chacun (homme, femme, enfant...). Les femmes en bénéficieront notamment parce qu'elles ploient sous l'impératif de la "bonne mère" qui n'a cessé d'augmenter à travers les époques. Il sera bénéfique dans le lien maternel, dans l'équilibre conjugal, mais aussi dans la qualité du rapport des femmes au travail et à la carrière.

Les hommes pourront apprécier la paternité relationnelle et impliquée. Elle est devenue la nouvelle "norme" par rapport à la "paternité institutionnelle" qui définissait les rôles et les fonctions de manière très différenciée entre les hommes et les femmes.

Enfin, il y a la qualité du lien éducatif, l'enrichissement de l'éducation par la pluralité des personnes s'occupant de l'enfant, l'enrichissement dans le domaine des sens, de la qualité de l'attachement...

Sept jours seront rendus obligatoires : qui sont ces pères qui ne veulent pas prendre leurs jours de congé ? Actuellement, seuls 67 % des hommes y ont recours.

C.C.M. : Les hommes qui ne le prennent pas sont en général ceux dont le travail leur permet le moins- comme les commerçants, les artisans-, ceux qui n'ont pas une stabilité d'emploi, ceux qui sont chômeurs... Mais l'immense majorité souhaite prendre un congé de paternité et cela fait partie de la hiérarchie de valeurs des jeunes générations masculines, avec cette volonté de ne pas sacrifier sa famille au travail.

Congé de paternité
Congé de paternité

Prendre un congé paternité reste-t-il encore considéré comme un manque de "virilité" chez certains hommes ?

C.C.M. : Oui encore pour certains que j'appelle les "défensifs", les masculinistes, qui rejettent l'égalité entre hommes et femmes et qui n'ont pas compris que la virilité débarrassée du machisme, des stéréotypes et de l'agressivité incluait les émotions, le sensible, le "care".

L'étymologie de "viril" est pleine d'enseignement et de richesse dans ce sens et on l'a oublié au cours des siècles. Au départ, le mot "viril" prenait un "e". Il se trouvait largement incarné par Vénus, personnification de veneror, qui désigne - c'est là que c'est intéressant - un désir ardent de vivre. Une force de vie. La racine latine vis, qui a donné "vir", désigne, elle, la vertu, la qualité morale de l'homme adulte. On se trompe donc, par la suite, en qualifiant de "viril", un comportement exclusivement réservé aux hommes et qui prend le sens de conquérant, guerrier, et destructeur. Car, de fait, la virilité n'est pas un machisme agressif.

Trouvez-vous que les hommes ne se mobilisent pas assez pour obtenir un allongement de ce congé ?

C.C.M. : Les hommes ont été empêchés lors de certaines périodes historiques de s'impliquer dans une paternité relationnelle et de lien. On ne reconnaissait à certaines époques que l'instinct maternel. Généralement, la culture de l'empathie, le "care" étaient l'attribut de la femme, de la culture féminine et c'était tabou pour le masculin. Les stéréotypes jouaient contre les hommes, interféraient contre leur implication dans la sphère privée, domestique, l'univers de la naissance et de la petite enfance. Cela change.

Avez-vous constaté une évolution dans le changement des mentalités ces dernières années ?

C.C.M. : Oui, bien sûr. Il y a une nouvelle hiérarchie de valeurs, la recherche de la qualité de vie et du mode de vie, un nouveau rapport à soi (dans le sens de la subjectivité), des transformations dans les rapports femme-homme. Les hommes s'interrogent plus sur le ressenti dans les relations sexuelles, intimes, dans les rapports à l'enfant.

Le mouvement des femmes des années 1970 en faveur de l'égalité des droits civiques et sociaux entre les hommes et les femmes ou encore le mouvement #MeToo, ont poussé les hommes a changé. L'évolution des moeurs, le changement des femmes, la pluralité des modèles familiaux participent de ce que j'appelle "les métamorphoses du masculin". Tous ces facteurs jouent et les jeunes hommes me le confirment avec force et conviction dans toutes mes enquêtes et recherches. Je travaille sur le masculin depuis 1988, et j'ai pu comparer quatre générations d'hommes entre elles.

L'homme sensible et les émotions masculines ne sont plus autant tabou comme je le montre dans mon dernier ouvrage : Les hommes aussi viennent de Vénus. Forts et sensibles les nouveaux visages de la virilité. Je parle "d'humanisation du masculin", par rapport à autrefois, avec la réhabilitation de la notion de virilité débarrassée du machisme.