Un juge demande la clémence pour un violeur car il est "de bonne famille"

Publié le Mercredi 03 Juillet 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
"Il est de bonne famille" : la clémence pour un agresseur sexuel. Getty Images.
"Il est de bonne famille" : la clémence pour un agresseur sexuel. Getty Images.
Cette histoire hallucinante se passe dans le New Jersey. Faut-il encore (vraiment) vous démontrer l'existence de la culture du viol ?
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La scène se passe dans un tribunal du New Jersey. L'accusé ? Un Américain de seize années. Lors d'une "soirée pyjama" en décembre 2017, le jeune homme s'est filmé en train de violer une adolescente de 12 ans - laquelle était en état d'ébriété. "Le garçon s'est filmé en train de la pénétrer par derrière", précise le New York Times. Puis, il a téléchargé la vidéo sur son téléphone portable et l'a partagée auprès de ses amis. En y ajoutant une légende "décalée" : "Quand ta première fois est un viol".

On ne peut guère craindre pire banalisation des agressions sexuelles. Seulement, ce n'est pas forcément l'avis de James Troiano, le juge des affaires familiales qui lui fait face. Malgré les aveux assumés du jeune homme, celui-ci réclame sa clémence. La raison ? "Il est de bonne famille".

"Le juge a déclaré que ce n'était pas un viol. Au lieu de cela, il s'est demandé à voix haute s'il s'agissait d'une agression sexuelle, définissant le viol comme une attaque majoritairement perpétuée par des inconnus. Il a également déclaré que le jeune homme venait d'une bonne famille, avait fréquenté une excellente école, avait d'excellentes notes", développe le journaliste Luis Ferré-Sadurní.

Résultat : alors que les procureurs exigent de l'ado qu'il soit jugé comme un adulte au vu de la gravité des faits, le juge rejette cette demande. "Il est clairement candidat non seulement à l'université, mais probablement à une bonne université", a-t-il ajouté.

Difficile de mieux minimiser une agression sexuelle. La cour d'appel a d'ailleurs rejeté les arguments et condamné fermement l'attitude du juge Troiano.

Petit précis de la culture du viol

Ladite cour d'appel "a sévèrement réprimandé le juge au sein d'un document cinglant de quatorze pages", dénonçant entre autres choses sa partialité à l'égard d'adolescents socialement "privilégiés", détaille le New York Times.

Oui, cet argumentaire hallucinant a été rendu par un juge septuagénaire l'an dernier. Mais tout ce qu'il raconte nous semble tragiquement actuel. On pourrait presque y voir un parfait petit précis de la culture du viol. C'est bien simple, tout y est : la complaisance totale à l'égard de l'agresseur, la perpétuation de fantasmes vieux comme le monde (le profil du violeur est totalement mystifié), et cette perception de "l'élitisme" comme argument susceptible de dédramatiser toute accusation de violences sexuelles. Ne manquerait plus qu'un soupçon de "victim blaming" - que l'on imagine sans grande difficulté, si le juge a pris en considération "l'état d'ébriété" de l'adolescente.

"La fille était ivre. Le garçon s'est filmé en train de la pénétrer par derrière. Les enquêteurs ont déclaré qu'il avait plus tard partagé la vidéo téléphonique avec des amis et avait envoyé un message disant: 'Quand ta première relation sexuelle était un viol'." Mais à ce moment-là, le juge James Troiano a déclaré que ce n'était pas le cas", s'est indigné en ce sens le journaliste Jamil Smith (Rolling Stone). Sur les réseaux sociaux, les mots d'oiseaux pleuvent pour qualifier les conclusions de James G. Troiano, "visiblement plus préoccupé par le fait qu'un violeur aille dans une bonne université que par sa victime, qui réclame justice", cingle une internaute. D'aucuns s'insurgent de "sa compréhension du monde terriblement obsolète, sexiste". Difficile de trouver d'autres mots.

La semaine dernière, le juge Troiano a été forcé de signer un ordre renvoyant l'affaire devant un tribunal pour adultes.