Les Saoudiennes autorisées à conduire : l'écran de fumée qui masque la répression

Publié le Jeudi 31 Mai 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
Les femmes auront le droit de conduire en Arabie Saoudite le 24 juin 2018
Les femmes auront le droit de conduire en Arabie Saoudite le 24 juin 2018
Derrière les belles annonces et les belles images, l'apparente jeunesse et modernité de son nouveau dirigeant, l'Arabie saoudite reste la même. Répressive et dure envers les femmes. La preuve : plusieurs militantes des droits des femmes ont été arrêtées en mai.
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L'image est belle, glamour. La princesse Hayfa bint Abdullah Al Saud fait la couverture du mois de juin de Vogue Arabia. Elle sort d'une magnifique décapotable en talons. Pour la monarchie saoudienne qui cherche à redorer son prestige à l'international, la publicité que lui fait la dernière fille du précédent roi d'Arabie saoudite mort en 2015 est parfaite. En effet, le 24 juin, les Saoudiennes auront enfin le droit de conduire. Au premier abord, on peut se réjouir qu'après tant d'années de lutte, ces femmes aient enfin ce droit de base. Elles ont aussi récemment obtenu le droit de se présenter aux élections municipales ou de diriger des entreprises.

Mais voilà, l'Arabie Saoudite est adepte de la faux-culterie. A l'approche du 24 juin, le régime a emprisonné une dizaine de militantes des droits des femmes le 15 mai dernier.

Le pouvoir saoudien a aussi lancé une campagne de diffamation à leur encontre entre autres sur les réseaux sociaux avec un mot-clef les décrivant comme des "agents d'ambassades". Dans un communiqué officiel, sept personnes sont accusées d'avoir formé des "cellules" et d'avoir des "contacts avec des instances étrangères dans le but de saper la stabilité du pays et la paix sociale." Les militants des droits des femmes tentent de mettre la pression sur le pouvoir saoudien avec notamment une pétition qui n'a malheureusement reçu que peu de signatures pour le moment.

D'autres utilisent les mots-clefs #NotATraitor ou #ReleaseSaudiWHRDs. Depuis, quelques personnes ont été relâchées comme la sociologue de 70 ans, Aysha al-Manea, Madeha al-Ajroush et Hessa al-Sheikh, trois pionnières qui avaient osé conduire sans chauffeur en 1990 et Walaa al-Shubbar militante qui s'était filmée en train de faire du vélo.

Des droits des femmes accordés en fonction du pétrole

Mais trois autres femmes restent en prison : Loujain al-Hathloul, Iman al-Nafjan et Aziza al-Yousef. Leurs proches subissent également la pression des autorités. Le pouvoir a annoncé ce 31 mai qu'il allait interdire le harcèlement sexuel. Mais les Saoudiennes étant toujours considérées comme mineures et dépendant d'un tuteur masculin... qui va oser porter plainte ? Le pouvoir essaie juste de créer un nouvel écran de fumée pour faire oublier les arrestations récentes.

La princesse Hayfa bint Abdullah Al Saud s'est exprimée dans Vogue : "Dans notre pays, il y a des conservateur·rice·s qui ont peur du changement. Pour beaucoup, c'est tout ce qu'ils et elles ont connu. Personnellement, je soutiens ces changements avec un grand enthousiasme." Elle ajoute sur son compte Instagram : "Il est facile de commenter sur la société des autres et penser que notre propre société est supérieure, mais l'Occident doit se rappeler que chaque pays est spécifique et unique. Nous avons des forces et des faiblesses mais invariablement, c'est notre culture, et il est préférable d'essayer de la comprendre plutôt que de la juger."

Alors d'ici, ce que l'on peut comprendre, c'est que oui, on ne change pas une société du jour au lendemain, mais les réformes ne doivent pas être que de façades pour redorer son blason royal. Le droit pour les femmes de conduire en Arabie saoudite ne s'est pas fait tout seul. Il y a eu des militantes qui ont bravé l'interdit. Mais ces réformes sont aussi un fait économique. L'Arabie saoudite ne peut pas compter indéfiniment sur le pétrole et les difficultés économiques se sont déjà fait sentir. Toutes les femmes ne peuvent plus se payer un chauffeur. La nouvelle liberté des femmes à entreprendre répond d'une simple logique économique, tout comme celle de leur offrir accès à un peu de société de consommation en leur laissant accéder aux stades ou aux cinémas.


Alors oui, ce n'est pas la princesse Hayfa bint Abdullah Al Saud qui aurait dû figurer sur la couverture de Vogue, mais les militantes féministes emprisonnées. Sur Twitter, les internautes se sont tout de suite emparés de la couverture pour la détourner alors qu'elle venait d'être dévoilée le 30 mai.

La couverture originale de Vogue Arabia de juin sur le droit des Saoudiennes à conduire
La couverture originale de Vogue Arabia de juin sur le droit des Saoudiennes à conduire

"Les vraies femmes qui se sont battues pour lever l'interdiction devraient être sur la couverture"

Très fier, le rédacteur en chef de Vogue Arabia, Manuel Arnaut, a partagé plusieurs photos du Vogue de juin sur Instagram. Mais tout le monde n'est pas dupe. On peut lire dans les commentaires : "Les vraies femmes qui se sont battues pour lever l'interdiction devraient être sur la couverture", ou "heureuse de voir un symbole de progrès célébré par Vogue Arabia, je suis juste un peu vexée de voir en couverture une princesse et pas une des nombreuse femmes saoudiennes (en prison) qui se sont vraiment battues pour le droit de conduire. [...] Mettre une femme qui n'a pas vraiment contribué au mouvement en choque beaucoup" ou encore "Monsieur Arnaut ne voyez-vous pas que ce numéro est une perte de temps ? Je ne comprends pas pourquoi vous êtes si heureux, pendant ce temps là l'Arabie Saoudite envoie des activistes des droits des femmes en prison, ruinant leur vie et leur réputation. Vogue Arabia commençait à faire une différence, nous ne pensions pas que feriez ce type de faux-pas."

La directrice d'Amnesty International pour le Moyen-Orient, Samah Hadid, résume assez bien ce qui se passe en ce moment : "L'Arabie saoudite avait plusieurs options possibles pour son agenda de "réforme" : arrêter de décapiter les gens. Arrêter de les flageller. Arrêter d'emprisonner des défenseurs des droits humain. Arrêter de tuer des civils au Yémen. Ou engager une agence de relations publiques. Devinez laquelle ils ont choisie ? Mohammad bin Salman : Ne confondez pas les relations publiques avec les droits humains". Amnesty a lancé une pétition pour soutenir la libération des trois dernières prisonnières.