En Amérique latine, le virus Zika relance le débat sur le droit à l'avortement

Publié le Lundi 01 Février 2016
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
En Amérique latine, le virus Zika relance le débat sur le droit à l'avortement
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Alors que le virus Zika se répand en Amérique latine, des militants pro-avortement exhortent les gouvernements à repenser leur politique d'accès à l'IVG et à la contraception.
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Une épidémie qui se propage de "manière explosive". C'est en ces termes que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a qualifié la semaine dernière la propagation du virus Zika, qui a déjà touché 1,4 million de personnes en Amérique latine ces six derniers mois. S'inquiétant des "proportions alarmantes" atteintes par l'épidémie sur le sol américain, le directrice générale de l'OMS Margaret Chan a indiqué que 3 à 4 millions de nouveaux cas y étaient attendus d'ici les prochains mois.

Au Brésil, où 1,3 million de personnes ont déjà été infectées par le virus Zika, la situation est particulièrement préoccupante. Transmis par une piqûre du moustique tigre, le virus Zika se manifeste par des symptômes grippaux (fièvre, maux de tête, courbature, fatigue) ainsi que par des éruptions cutanées. C'est chez les femmes enceintes que le virus s'avère être le plus dangereux. Pouvant être transmis au foetus, il entraîne des micro-céphalies (malformation de la boîte crânienne) et des malformations du système nerveux chez les nouveaux nés.

Une urgence sanitaire

Face à l'ampleur de la contamination, les autorités brésiliennes ont recommandé aux femmes d'éviter de tomber enceinte dans les deux années à venir. Or, pour les activistes et groupes médicaux, une telle directive est impossible à tenir dans un pays où le contrôle des naissances est quasiment impossible et où beaucoup de femmes tombent enceintes suite à des violences sexuelles.

Pour les militants des droits des femmes, il y a urgence à autoriser ou étendre le droit à l'avortement afin d'éviter la hausse des décès de femmes suite à des IVG clandestines et dangereuses, ainsi que l'augmentation de naissance d'enfants présentant des lésions cérébrales.

"Nous appelons les gouvernements à élargir l'accès à la contraception, en particulier pour les catégories de la population qui ont de faibles revenus", a déclaré Giselle Carino, directrice adjointe de l'International Planned Parenthood Federation (IPPF) dans la région de l'hémisphère occidental. "Ils doivent également élargir l'accès aux services sûrs d'interruption volontaire de grossesse. Nous avons aussi besoin d'une campagne de sensibilisation afin que les femmes connaissent les risques du virus Zika et soient conscientes des options qui s'offrent à elles si elles se retrouvent enceintes", poursuit-elle, citée par The Guardian .

Pour l'IPPF, recommander aux femmes de ne pas tomber enceinte dans des pays où l'avortement reste illégal ou limité est aussi déraisonnable que dangereux. Au Salvador, où la loi sur l'avortement est l'une des plus restrictives au monde, les femmes mettant fin à une grossesse non désirée sont passibles d'une peine de prison allant de deux à huit ans. Le droit à l'avortement est également restreint en Colombie, en Équateur ou au Vénézuéla – pays touchés par le virus Zika - et autorisé seulement si la vie de la mère est en danger.

Une politique "mesquine" envers les femmes

Au Brésil, avorter reste illégal sauf en cas de viol et peut être pratiqué jusqu'à 20 semaines de grossesse s'il existe un risque pour la vie de la mère. Insuffisant, selon un groupe de chercheurs, avocats et activistes, qui a annoncé son intention de déposer d'ici deux mois un recours devant la Cour suprême afin que l'avortement soit autorisé en cas de microcéphalie du foetus causée par le virus Zika. L'institut de recherche en bioéthique féministe a également demandé un meilleur accès à la contraception, un accès aux tests précoces de diagnostic du virus.

Pour Katja Iversen, directrice générale de l'ONG Women Deliver , il existe un réel risque de voir le nombre d'avortements clandestins et non sécures exploser si aucune mesure gouvernementale n'est prise pour faciliter l'accès à la contraception et à l'IVG dans les pays concernés par l'épidémie. En Amérique latine et dans les Caraïbes, 4,4 millions d'avortements ont lieu chaque année. 95% d'entre eux sont réalisés dans des conditions sanitaires déplorables, entraînant l'hospitalisation d'un million de femmes. "C'est mesquin de la part des gouvernements de dire aux femmes de reporter leur grossesse s'ils ne font rien pour faciliter l'accès à la contraception et à l'avortement", affirme-t-elle.

Elle a aussi critiqué l'OMS, qui ne se concentre que sur la propagation du virus et ne donne aucune directive aux États pour limiter l'infection des femmes enceintes et de leur enfant à naître. "Oui, il est question d'un moustique porteur d'un virus dangereux, mais aussi d'un système de santé défaillant auprès des femmes", rappelle Katja Iversen.