Pourquoi la défense du député insoumis Eric Coquerel ne passe chez les féministes

Publié le Lundi 04 Juillet 2022
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Visé par une plainte pour "harcèlement sexuel" et pointé du doigt pour "son comportement avec les femmes", le député de la France insoumise Eric Coquerel a pu compter sur le soutien des cadres de son parti. Une défense que les militantes féministes estime indigne.
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Le week-end a été mouvementé dans les rangs de la France Insoumise. Et c'est la réalisatrice et autrice Rokhaya Diallo qui a mis le feu aux poudres ce 30 juin. Lors d'une interview sur RTL, elle s'étonnait de la récente élection du député Eric Coquerel à la tête de la Commission des finances de l'Assemblée nationale.

"J'ai plusieurs sources au sein de LFI, j'ai entendu plusieurs fois des femmes qui m'ont parlé du comportement qu'il aurait avec les femmes", a-t-elle ainsi souligné, citant à deux reprises un article du magazine Causette. Cet article datant de décembre 2018 intitulé "La France insoumise les préfère soumise" mettait en cause "un responsable, aujourd'hui député LFI" sans le nommer.

Suite à ces sous-entendus, le comité contre les violences sexuelles de LFI n'a pas tardé à monter au créneau pour défendre son cadre. "Depuis plusieurs semaines, le député Eric Coquerel est l'objet d'attaques sur les réseaux sociaux portant une suspicion sur son comportement envers les femmes. Attaques qui se sont amplifiées ce jour suite à son élection comme président de la commission des finances", indiquant n'avoir reçu "aucun signalement".

De son côté, Eric Coquerel, soutenu d'un bloc par les cadres de la FI comme Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône, a récusé ces "rumeurs infondées" dans une tribune publiée dans le Journal du dimanche ce samedi 2 juillet. "Je fais cette tribune pour affirmer que je n'ai jamais exercé une violence ou une contrainte physique ou psychique pour obtenir un rapport, ce qui caractérise la porte d'entrée d'un comportement délictuel dans le domaine des violences sexistes et sexuelle", soulignant que "plusieurs rédactions ont mené des enquêtes journalistiques" et que "rien n'est jamais sorti faute d'avoir trouvé un témoignage pouvant s'apparenter à un comportement délictuel, a fortiori criminel".

Mais c'était sans compter sur le témoignage de Sophie Tissier, figure du mouvement des Gilets jaunes. Celle-ci a affirmé sur Twitter ce 2 juillet avoir été victime de comportements sexistes et inappropriés de la part d'Eric Coquerel lors d'une fête de l'université d'été du Parti de gauche à Grenoble (Isère) en 2014.

"Moi je sais car j'ai subi. J'atteste. Coquerel harceleur aux mains baladeuses collantes et assauts déplacés en 2014 lors des universités d'été du PG. J'ai ressenti un profond malaise je ne savais pas où il s'arrêterait. Je lui avait clairement exprimé mon refus. Il s'en foutait."

Auprès de France Info, elle confie qu'Eric Coquerel lui aurait touché les fesses et envoyé des SMS insistants lors de cette fameuse soirée.

Celle-ci a finalement annoncé ce dimanche 3 juillet avoir décidé de "saisir le comité violences sexistes sexuelles CVSS de la FI afin d'entériner mon témoignage attestant des comportements inacceptables de Eric Coquerel. C'est une forme d'agression qui doit être dénoncée car cela entre dans le continuum des violences envers les femmes."

"Le champ lexical de la cabale contre les pauvres hommes"

Face aux remous suscités par ces accusations, le leader des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon, a décidé de s'exprimer sur l'affaire sur Twitter ce dimanche. "Des militants engagés depuis des années contre LFI détournent le sens de la lutte contre les violences sexistes pour salir Éric Coquerel après sa victoire sur l'extrême-droite. Cette forme de revanche manipulatoire nuit gravement au combat des féministes."

Un tweet solidaire qui n'est pas passé inaperçu parmi les militantes féministes. Voire... qui n'est pas passé tout court. Nombre d'entre elles ont ainsi dénoncé l'usage du champ lexical du complot et de la manipulation, s'apparentant à une arme de dissuasion pouvant bâillonner et décourager les femmes (de son propre camp) de parler.

Ainsi, la créatrice du compte Instagram féministe Préparez-vous pour la bagarre et autrice Rose Lamy décrypte : "La théorie du complot des accusatrices pour les nuls : à droite, les femmes sont des sujets qui s'organisent pour détruire les hommes et leurs carrières. À gauche, le camp adverse instrumentalise les femmes, qui ne sont que des moyens, pour affaiblir politiquement les accusés."

Pour sa part, la co-fondatrice du collectif #NousToutes Caroline De Haas, proche de la NUPES (union des gauches pour les législatives), s'est fendue d'un communiqué narquois sur la façon exemplaire dont une formation politique devrait réagir "lorsqu'un de ses membres est mis en cause pour des faits de sexisme ou de violences sexuelles" (sous-entendu, pas comme la France Insoumise).

"Si ça sort maintenant, c'est de la faute des personnes qui ont décidé de mettre en responsabilité une personnalité politique dont ils savaient qu'il y avait un sujet non traité. Vous auriez dû traiter le sujet AVANT de le mettre en avant", tweete-t-elle, ajoutant : "Ce qui dessert la cause, c'est quand un mouvement féministe n'arrive pas à traiter correctement des signalements pour des faits de violences. Pas les féministes qui les dénoncent. Même si elles s'y prennent mal (voir ce fil)."

L'Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique, constitué suite au mouvement #MeTooPolitique, s'est insurgé également sur Twitter : "Le champ lexical de la cabale contre les pauvres hommes, voilà ce qui nuit au combat féministe. La FI n'a pas agi pour faire la lumière sur ces 'rumeurs' qui auraient dû être traitées comme des informations. Ne pas le nommer à la commission des finances aurait été pertinent."

La sociologue, autrice et militante féministe Illana Weizman pointe quant à elle sur Instagram la "culture du viol" qui traverse tout l'échiquier politique, dénonçant les arguments utilisés par les cadres insoumis en défense d'Eric Coquerel : "Elle desservent la cause", "C'est un homme bien", "Ce sont des stratégies de sabotage". En cause ? "Le copinage" et "les enjeux de pouvoir en interne" qui, selon elle, affaiblissent la parole des victimes présumées.

Finalement, l'ex-militante Sophie Tissier a décidé de porter plainte ce lundi (4 juillet) contre Eric Coquerel pour "harcèlement sexuel". Elle devrait être prochainement auditionnée par le comité de suivi des violences sexuelles et sexistes de LFI, a annoncé sur FranInfo la députée et cadre insoumise Danielle Simonnet, proche d'Eric Coquerel auprès de qui elle a co-coordonné le Parti de gauche de 2015 à 2021.