





En France, entre 500 000 et 1,5 million de femmes souffrent de dépendance à l’alcool.
Chiffre impressionnant et encore loin des réalités quand on prend en compte le fléau premier de l’alcoolisme : ne pas se l’avouer, naturellement. Voilà ce qu’affirme à ce titre la journaliste Stéphanie Braquehais, autrice du témoignage Jour Zéro, à retrouver aux éditions L'Iconoclaste : "Si vous vous demandez si vous avez un problème avec l'alcool, c'est que vous avez un problème avec l'alcool... Personne n'est d'accord sur ce qu'est l'alcoolisme".
Un documentaire d’Alexandra Combe diffusé sur France 2, “Alcool au féminin, elles brisent le tabou”, d'où émanent les chiffres partagés au sommet de cet article, donne justement la parole à celles qui ont décidé de sortir de l’ombre. Celles qui à l'inverse ont osé "être d'accord" et se dire Alcooliques. Pour mieux affronter cette accoutumance.
Parmi lesquelles, des célébrités, comme Muriel Robin, qui explique avoir souffert durant 30 ans de l'alcoolisme mondain : cette très urbaine dépendance qui ne dit pas son nom et se caractérise par une consommation régulière de verres en soirée, de vin, de champagne... A l'unisson, des actrices et réalisatrices comme Noémie Lvovsky et Fiona Gélin s'expriment et brisent enfin le silence sur ce dont elles souffrent.
Dire cette consommation, c'est aussi rappeler une réalité sociale trop ignorée. A savoir ? L’alcoolisme au féminin n’est pas seulement un enjeu de santé national, c’est également un enjeu de genre.
Oui oui. Et cela, même les médecins l'énoncent...
Si l’Inserm, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, estime que 15,2 % des hommes boivent de l’alcool tous les jours contre 5,1 % des femmes, la dépendance désignant majoritairement ces messieurs en un flagrant “gender gap” (écart entre les sexes), il est clair que la condition féminine n’est pas à éluder dans l’équation.
Charge mentale, pressions sociales, injonctions, nécessité de faire deux fois plus - au travail notamment - contribuent à exacerber les phénomènes de dépendance, en alimentant le stress, l’anxiété, l’absence d’estime ou de confiance en soi… Tout cela, il est évident que les femmes en souffrent frontalement dans une société inégalitaire.
Professeur de psychiatrie et d’addictologie, Amine Benyhamina met les pieds dans le plat sur le plateau de C dans l’air : "Il y a une double peine pour les femmes avec l'alcool”.
Et l'érudit d'étayer ses propos, en réaction au documentaire d’Alexandra Combe : “La société est encore plus impitoyable avec les femmes qui boivent. Elles subissent des clichés anti féministes au possible si ce n'est clairement masculinistes. C'est impossible pour elles d'exprimer leur dépendance, elles souffrent donc en silence, on boivent des alcools blancs, qui n'ont pas d'odeur”.
Cela fait écho au témoignage de Muriel Robin.
Qui détaille la banalisation inquiétante de sa consommation d'alcool. Elle énonce : "L'alcool, c'était parfait pour moi. Quand on boit, se poser des questions sur la vie n'est même pas à l'ordre du jour, puisqu'il s'agit de ne penser à rien... Mais aux yeux de la société, un homme qui boit est un bon vivant, une femme qui boit, c'est une pochtronne. C'est une triple punition"
L'alcool est un poison, le sexisme aussi. Et tout cela malmène à l'unisson la santé de la moitié de la population. Ce qui alarme là encore le professeur...
“Problèmes cardio vasculaires, cirrhose... Une prise en charge tardive de l'alcoolisme amène son lot de complications pathologiques, d'autant plus chez les femmes. Surtout que de par la différence anatomique et physiologique entre les genres : les femmes souffrent physiquement plus que les hommes !", s'alerte celui-ci.
Et il n'est pas le seul...
En décembre 2021 déjà, sur France 2, le magazine de reportages "Infrarouge" donnait la parole aux femmes alcooliques, ces grandes invisibles de notre société qui craint d'éclairer ses malades.
"Pourquoi de plus en plus de femmes de tous âges et milieux sociaux tombent-elles dans cette dépendance ? Pourquoi ce piège est-il plus redoutable encore lorsqu'on est une femme ? Et comment s'en sortir ?", se demandait alors Marie Drucker.
Fatma Bouvet de la Maisonneuse, première psychiatre addictologue, éclaircissait face aux caméras ces lourds mystères sociologiques, mais également la réalisatrice du documentaire, Marie-Christine Gambart, aboutissant aux mêmes constats au moment du verdict : "Ces femmes, elles sont étranglées par l'addiction, par le poids des responsabilités et par des traumatismes multiples : abus sexuels, harcèlement... De fait, elles sont souvent submergées par la culpabilité et la honte", résumait ainsi Marie-Christine Gambart.
L'alcool est donc la conséquence des violences patriarcales, et son produit. L'un de ses nombreux maux...
Mises à l'écart, ignorées ou stigmatisées, les personnes concernées souffrent dès lors de cette marginalisation.
Et se complaisent dans une euphémisation de leurs problèmes, nourrie par les pressions sociales et les préjugés des autres.
Stéphanie Braquehais, toujours, dans son livre Jour Zéro : "Est-ce trop boire que d'être alcoolique, mal boire, souffrir de sa consommation, dévier du consensus social qui norme cette consommation ?... Lorsque quelqu'un arrête de boire, on ne peut s'empêcher de penser qu'il a un problème. L'alcool serait-il la seule drogue qui rende malade quand on arrête d'en prendre ?"