L'interview girl power d'Eugénie

Publié le Jeudi 15 Novembre 2018
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
La chanteuse Eugénie
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Dès son premier single, on l'a comparée à Christine and The Queens. Mais la jeune Eugénie se veut singulière. A l'occasion de la sortie de son premier EP d'electro-pop entêtante, nous avons rencontré celle qui revendique sa "folie cachée" pour en savoir plus sur ses inspirations.
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Eugénie fait partie de ces artistes 2.0 qui ont émergé sur les réseaux sociaux. Après des premiers pas au Conservatoire, cette jeune pousse qui a grandi dans l'Essonne, entre banlieue et campagne, a commencé à bidouiller ses premières mélodies avec un petit logiciel installé sur son téléphone portable. Parallèlement à ses études de communication, elle poste ses reprises et mash-ups sur sa page Facebook et se crée une communauté de fans, séduits par sa fraîcheur. Le dernier jour de ses examens, Eugénie signait un contrat avec Universal.

A 23 ans, la voilà donc prête à livrer son premier EP d'electro-pop hybride, des "chansons d'apprentissage" inspirées par son univers post-ado, nourries par Kygo, Imogen Heap, Star Wars, James Blake, Harry Potter ou encore Lorde. Interview "girl power" avec cette jeune chanteuse libre et curieuse, qui revendique le droit de pouvoir grandir sans carcan.

Est-ce compliqué d'être une fille dans le milieu de la musique ?

Oui, complètement ! Personne ne dira le contraire, je pense. Même avant de signer avec une maison de disques ou de travailler en studio, j'avais été approchée à plusieurs reprises et toujours par des personnes qui projetaient quelque chose sur moi. Quand tu es une fille, on ne te demande pas forcément ce que tu veux faire, on te dit : "Tu devrais faire ça". A partir de ce moment-là, c'est difficile de s'imposer telle que tu es, surtout quand tu es jeune. Parce que tu n'es pas "finie", tu te cherches encore...

J'ai eu de la chance de tomber sur une équipe qui avait juste envie de développer mon univers. On a fait de la recherche musicale ensemble, des mélanges et c'est comme ça que je me suis trouvée. Souvent, les jeunes filles sont approchées, on leur propose une instru et on leur impose un style. Elles n'ont pas le choix.

A-t-on cherché à t'imposer un personnage "marketé" ?

Oui, on te demande d'être une icône ou une muse. Très vite, on essaie de te figer, avec une image reconnaissable. Sauf que j'ai 23 ans et j'ai besoin d'expérimenter. Mais en même temps, j'ai besoin que les gens me reconnaissent pour me suivre. Il faut "s'intellectualiser". Tu es une personne et d'un coup, tu deviens une artiste que les gens doivent comprendre. Il faut donner tous les éléments au public afin qu'ils te cernent.

Si tu devais te présenter au monde, comment te résumerais-tu ?

Je me définirais comme surprenante : je suis réservée mais j'ai une folie cachée. Cette folie, je n'ai pas envie de la montrer directement. La scène me permet d'explorer cette facette. J'y dépasse ma zone de confort. Et cela me permet d'être plus calme dans la vie de tous les jours, c'est mon défouloir ! Je lâche aussi de plus en plus d'éléments en chansons.

Te considères-tu féministe ?

Pendant longtemps, cela a été très dur pour moi de dire que j'étais féministe car comme beaucoup de personnes, j'avais un a priori. J'avais l'impression que c'était un gros mot. Et j'ai lu, j'ai discuté et je me suis dit : "Merde, Eugénie, tu es féministe !". Aujourd'hui, je le dis sans problème.

Les trois femmes qui t'ont le plus inspirée dans la vie ?

C'est tout bête... mais ma maman. C'est un classique, mais c'est tellement vrai. Ma mère est artiste-peintre et elle a été la première à me pousser dans ma passion. Elle fait de la peinture abstraite. Moi, dans mon processus d'écriture, je peux partir d'un mot ou juste d'une mélodie et construire tout autour. C'est un peu ce qu'elle fait en peinture. Cela donne beaucoup de métaphores, des choses très imagées. Elle me disait : "On n'est pas obligé de comprendre un tableau, tout le monde peut avoir sa propre interprétation". C'est ce que je voulais pour mes chansons. Et elle m'a appris à m'affirmer en tant qu'artiste et en tant que femme.

J'ai aussi une obsession pour Billie Eilish. C'est une chanteuse qui n'a que 16 ans, mais elle dégage un truc super fort. Elle est magnifique. Et elle a un look de rappeur. Elle porte des vêtements amples, elle ne se sexualise pas. Et ce qu'elle raconte dans ses textes est ce que les rappeurs pourraient raconter aussi. Cela peut être perçu comme violent, surtout venant d'une fille. Et c'est tellement assumé qu'elle ne laisse aucune brèche. C'est fou d'être sans filtre à cet âge-là, sans avoir peut du regard des autres. Elle a un rapport à elle-même qui est hyper sain.

Et puis j'adore Natalie Portman parce qu'elle est brillante, sans parler de son talent d'actrice. C'est intéressant de voir ce qu'elle a vécu dans sa carrière en tant que fille/femme. Elle a tenu un discours très poignant à la Marche des femmes à Los Angeles. C'est un discours auquel les jeunes filles pratiquant des métiers exposés à une certaine notoriété peuvent s'identifier, mais qui peut aussi alerter de manière plus large sur la façon dont les filles sont objectifiées et sexualisées.

La chanteuse Billie Eilish sur scène à San Fancisco le 10 août 2018
La chanteuse Billie Eilish sur scène à San Fancisco le 10 août 2018

Quelle femme t'a particulièrement impressionnée cette année ?

C'est une jeune fille, la vingtaine, que je ne connais pas. Je l'ai croisée dans le métro. Il y avait une jeune fille qui était en train de se faire embêter par un monsieur, qui avait l'air d'un colosse. Je cherchais un moyen de l'aider. Mais elle s'est levée, elle s'est mise face au monsieur et elle lui a tenu un discours incroyable.

En gros, elle lui disait : "Je me tiens devant toi, je suis toute petite, mais de toutes mes forces, je te dis : 'Lâche-moi, tu n'as pas le droit de me toucher'". Et elle l'a poussé. Le gars était éberlué. Cela donne vraiment envie de s'imposer comme ça. J'étais impressionnée qu'elle lui tienne tête comme ça !

Une héroïne de série que tu adores ?

J'aime bien les sitcoms un peu drôles. Et je regarde Brooklyn Nine-Nine. Et il y a une nana qui me fait penser à moi, elle s'appelle Amy Santiago. C'est la lèche-botte du directeur. Comme moi, elle "veut bien faire". Et j'étais comme ça au lycée aussi, j'allais discuter avec les profs. C'est une girl boss.

Quelle héroïne de livre t'a inspirée ?

J'avais lu No et moi de Delphine De Vigan. Une jeune fille qui recueille une SDF chez elle, elle l'aide et apprend beaucoup d'elle et inversement. Cette relation était super prenante.

Livre "No et moi" de Delphine de Vigan
Livre "No et moi" de Delphine de Vigan

La chanson girl power qui te booste ?

God is a Woman d'Ariana Grande.

Qu'est-ce qui te rend dingue en tant que femme ?

Le "Tu devrais". C'est quelque chose que je n'entends quasiment jamais d'une fille à une garçon, par exemple.

Ton mantra préféré pour te motiver ?

Ce que je me répète quotidiennement : "Tous les jours, fais quelque chose qui te fait peur". Cela peut juste être sortir seule dans un bar...

Le droit des femmes que tu attends toujours ?

J'aimerais qu'il y ait autant de femmes que d'hommes à des postes à responsabilité. Et l'égalité salariale.

Quel super-pouvoir rêverais-tu d'avoir ?

J'aimerais être invisible. Ce qui est étrange car j'adore être sur le devant de la scène !

Ton dernier moment badass ?

Peut-être le simple fait de venir chanter sur une scène devant 15 000 personnes "Je ne suis pas qu'une poupée timide" (extrait de la chanson Équilibre- ndlr). Quelque chose que je n'aurais même pas verbalisé au quotidien, qui prend vie de manière artistique et est ainsi exposé, je pense que c'est badass.

EP Eugénie
EP Eugénie

Eugénie, EP Eugénie.

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