Qui est l'illustratrice Vic Oh, entre féminin sacré, vulve et magie ?

Publié le Mercredi 17 Juillet 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Avec ses créations, Vic Oh sublime le "féminin sacré". Capture d'écran Instagram.
Avec ses créations, Vic Oh sublime le "féminin sacré". Capture d'écran Instagram.
Féminin sauvage, corps des femmes, Instagram, féminisme et Jodorowsky : la dessinatrice Vic Oh nous dit tout dans cette interview-fleuve.
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Féminin sacré (ou "sauvage"), réalisme magique, mysticisme, sorcières, spiritualité... L'art de la talentueuse Vic Oh parle de tout cela, et de bien plus encore. Ses dessins, peintures et tatouages libèrent d'inoubliables images, psychédéliques, sensuelles et astrales. Sur son compte Instagram, l'artiste féministe partage ses visions les plus graphiques à ses plus de 6000 followers. Elle y chante les louanges de la féminité comme "être Lunaire" et Solaire, entité sauvage et source d'énergie inépuisable... Ancestrale !

Cette année, le Gardiennes de la lune, ouvrage de Stéphanie Lafranque, a su capter notre regard. Cet opus "astroféministe" se focalise sur "l'essence cyclique" qui relie les femmes et leur "nature originelle" à la Lune. Ses mouvements, sa beauté, ses énergies. Vic Oh illustre ce petit précis "d'écologie intérieure" avec un style qui n'appartient qu'à elle. Et qui flamboie sur son Instagram, notamment lorsqu'elle représente le clitoris en l'affublant du nom de "Super Clito", celui qui "vient te sauver des ravages du manque de plaisir". C'est pour tenter de percer les mystères de ses esquisses ésotériques que nous sommes allés lui poser quelques questions...

Comment es-tu devenue dessinatrice ?

Vic Oh : Je suis autodidacte. Enfant, je peignais le dimanche avec mon père, nous reproduisions ensemble des Gauguin, des Van Gogh, Lautrec... Je n'en ai pas fait grand-chose, à part collecter un amour pour l'art qui est peu à peu devenu une thérapie. Ensuite, j'ai étudié l'Histoire de l'Art à la Sorbonne et à la San Francisco State University. Je me suis spécialisée en art contemporain et politique – je voulais le comprendre et m'occuper des créateurs, les dénicher, les présenter, les aider. Puis j'ai travaillé dans le milieu de l'art en diffusion, communication, vente, conseil et management dans des galeries, institutions, musées et associations.

Jusqu'à être un peu désenchantée du système... et plus sûre de moi ni mes traits. Puis le dessin est revenu comme une évidence. Il a très rapidement pris le dessus. J'ai tout lâché en 2016, puis j'ai pensé "je me donne un an maximum pour y arriver, si ça marche je reste dans la création". Quelques mois après, j'ai été acceptée au 59 Rivoli, une résidence artistique au coeur de Paris. Et ça a changé ma vie ! Depuis j'y suis comme artiste résidente permanente et travaille dans un studio ouvert au public 6 jours sur 7.

Pourquoi t'es-tu mise à Instagram ?

J'y suis arrivée au tout début, mais mon compte est devenu professionnel à partir de 2017. Aujourd'hui, c'est une belle façon de partager mon travail, en contact direct avec les gens qui s'y intéressent, et mon fond de vente aussi. Instagram me permet de rester indépendante, de manager entièrement mon commerce sans passer par une tierce personne. Etant avant tout visuel, c'est un média qui je pense correspond aux artistes plasticiens. Il me permet de tenir un discours ouvertement engagé et de toucher un public qui a les mêmes questionnements que moi.

Bien qu'il participe à la visibilité d'artistes féminines, Instagram fait également peser une certaine censure sur elles, notamment lorsqu'il s'agit de représenter des corps ou de la sexualité. Est-ce vraiment un espace de libertés pour toi ?

V.O : Instagram est un espace au visage double. Je pense qu'il arrive tout de même à créer une véritable ébullition auprès de ses utilisateurs. Nous voyons pléthore de comptes qui cherchent à instruire sur des sujets que l'on nous avait bizarrement écartés des manuels scolaires. J'entends souvent des femmes autour de moi parler d'une petite révolution sexuelle numérique, d'un espace où, malgré leur âge - parfois plutôt avancé pour connaître leur anatomie- elles ont enfin des informations qui sortent des idées préconçues que la société et le porno nous ont inculqué sur le sexe. Ce qui est beau c'est que cette effervescence numérique se retrouve peu à peu dans les rues, comme par exemple les posters "It's not an emoji" de @clitrevolution, le livre de @jmenbasleclito, les évènements du @collectifjunon ou encore les visites du quartier rouge par les @feministsofparis.

Il est vrai que pour les représentations du corps, nous sommes encore loin d'être égalitaires. Les tétons de femmes sont cachés et non ceux des hommes. Des comptes se font censurer lorsqu'ils parlent trop d'émancipation sexuelle, de plaisir féminin, de toute la santé reliée au sexe. Je trouve ça désolant et dégradant, car c'est tout simplement une privation d'information, une censure contrôlée qui permet de continuer cette diabolisation du corps. C'est faire la loi sur ce qui devrait être enseigné aux utilisateurs. Mais je vois que les acteurs·rices de ce mouvement sexuel sont aussi très mobilisé·e·s et agissent au plus vite dès qu'une censure est opérée

J'observe un sentiment d'entraide. L'on se serre les coudes pour réagir et diffuser les informations au plus vite afin de contrer la censure. Personnellement je n'ai pas encore fait face à une censure quelconque en relation avec ma série de "Viva la Vulva" (où je représente principalement la vulve et le clitoris). Mes dessins ne sont pas anatomiques, ils sont avant tout esthétiques. Ce qui doit brouiller un peu les pistes des algorithmes d'Instagram ! J'ai pour but de faire tomber le tabou de la représentation de ce symbole, d'accepter sa beauté, et d'en respecter ses lignes.

Tu as grandi au Mexique. Dans quelle mesure cette culture a-t-elle influencé ton art ?

V.O : Le Mexique est ma première source d'inspiration. Mes couleurs viennent de là-bas : lumineuses, explosives, multiples, elles apportent une joie colorée qui est très symbolique du pays. Le "réalisme magique" et le surréalisme bercent tout mon imaginaire : changer le quotidien avec une touche de magie, d'imprévu, de bizarre. Regarder les objets, formes et gens qui nous entourent comme s'ils avaient des pouvoirs cachés. J'aime présenter la vie comme si on pouvait la modeler à notre manière, et que pouvoir parler à la Lune soit tout aussi normal que boire un jus d'abricot.

Au Mexique, j'ai rencontré des magiciennes, des femmes qui travaillent avec leurs énergies, oeuvrent pour elles et leurs communautés, sont puissantes, jouent avec la réalité et transforment le quotidien en instant unique. Elles offrent une dimension plus spirituelle et mystique de la femme, et donc une dimension de la sexualité beaucoup plus éclairée et proche de la symbiose totale des amants plutôt que de la course à l'orgasme.

Tu as illustré Gardiennes de la lune. C'est un véritable manuel du "féminin sauvage". En quoi cela consiste-t-il ?

V.O : Le féminin sauvage relie toutes les femmes sans différence d'origine, religion, traditions ou formes. Il permet de reconnecter aux sagesses et pratiques primaires et ancestrales. Connectant l'intérieur féminin aux rythmes de la Nature, des planètes et des astres, il parle avec les archétypes féminins (déesses, idoles, symboles de toutes cultures) et met en relation le corps Humain et le corps Universel. Cette idée me permet de me recentrer dans une ville qui est souvent très prenante et épuisante. Cela permet de connecter avec mon énergie, la comprendre, la façonner, l'améliorer.

Elle me permet d'être plus alignée avec les autres, notamment avec les femmes, ressentir leurs cycles, leur volonté d'expression ou d'espace. La notion du féminin sauvage permet aussi de créer des mélanges humains intéressants, intimes et honnêtes. Je trouve cette pensée très naturelle, fluide, et tout simplement évidente pour moi. Elle me donne accès à une idée d'harmonie des forces, à chercher l'équilibre des choses, sans rien supprimer, tout simplement en sachant équilibrer ce qui existe déjà. Avec Gardiennes de la Lune, j'ai transformé ces idées –magnifiquement écrites par Stéphanie Lafranque- en couleurs, symboles et plantes.

Tu dessines, tu peins, tu créés des tatouages. A travers toutes ces pratiques, il y a-t-il des matières ou des matériaux spécifiques avec lesquels tu aimes travailler ?

V.O : Etant autodidacte je n'ai aucun outil de prédilection. Chaque nouvelle oeuvre peut être l'occasion de découvrir un nouveau matériau, et j'apprends tout au fur et à mesure. Je suis encore loin d'avoir essayé toutes les techniques et matières possibles, et je ne souhaite pas limiter mes expériences à l'acrylique et au Posca (que je favorise beaucoup en ce moment). Je pense que chaque thème, chaque oeuvre et chaque idée a sa manière spécifique de s'exprimer, et j'espère trouver l'occasion de travailler autant avec de l'encre qu'avec des néons, avec de la récup' qu'avec de la gravure. L'art est un espace d'expression totale, alors pourquoi le limiter à une seule matière ? Je n'y arriverais jamais je pense, et ça ne m'intéresse pas non plus !

Dirais-tu que tu es féministe ?

V.O : Oui, je suis féministe. Je crois en l'égalité des genres au niveau social, économique, juridique et culturel. Je suis féministe car je défends aussi les hommes, car je sais qu'ils souffrent aussi du patriarcat. Je voudrais trouver un équilibre entre nous. Je suis féministe car je veux qu'un oeil soit porté sur la condition féminine, sur le manque d'accès à l'éducation, les injustices, les violences, le rabaissement de la femme dans tous les milieux. Car je considère qu'avant d'être genrés, nous sommes humains et que nous faisons tous partie du même bateau.

Je suis féministe car je veux replacer la femme dans l'Histoire à sa juste valeur et non de manière anecdotique, je veux qu'on montre que les femmes aussi ont réalisé de grandes choses pour ce monde, mais qu'elles ont été écartées des manuels et des livres. Je suis féministe car tout humain qui oeuvre en harmonie dans et pour le monde ne peut s'écarter de cette idée.

Quelles sont les influences qui hantent ton art ?

V.O : La psychomagie d'Alejandro Jodorowsky est mon pilier d'inspiration. Ses livres comme Mu, le Mage et les Magiciennes, ou films comme La Montagne Sacrée ont transformé mon champ de possibilités artistiques. Deux femmes sont présentes dans mon esprit à chaque fois que je commence à peindre : Leonora Carrington et Remedios Varo, deux mastodontes du Surréalisme Magique au Mexique ! Pour aborder la géométrie et l'esprit, j'aime penser à Paul Laffoley, plasticien qui disait avoir été kidnappé par les extraterrestres dès son plus jeune âge et qui explorait le monde de manière très ésotérique.

Hilma Af Klimt, pionnière de l'art abstrait, m'inspire beaucoup aussi, dans sa manière de parler la langue des formes et couleurs. Les écrivains Jorge Luis Borges et Carlos Castañeda m'offrent des scènes entières d'inspirations dans leurs livres, contes et essais. Travaillant constamment entourée d'artistes, je pense que beaucoup m'inspirent au quotidien dans des petits détails : une façon de jouer avec mon pinceau, une couleur que je ne connaissais pas, un regard différent sur un sujet... Je pense que d'une certaine manière, le 59 Rivoli, ce lieu si magique, rempli et dense dans lequel je grandis en tant qu'artiste, inspire nombre de mes lignes et projets.

Quelles dessinatrices nous suggères-tu de suivre sur Instagram ?

the.vulva.gallery – elle dessine tous les sexes de femmes.
hanakomimiko – pour le féminin sauvage.
apollonia.saintclair – De la bande dessinée érotique.
pollynor – Des femmes et des démons.
clemenceetlepire – De l'humour féministe.
@cosmogenese – De la bande dessinée cosmique.