"Respecter la nature et les femmes" : zoom sur l'illustratrice écoféministe Alice Wietzel

Publié le Vendredi 28 Juin 2019
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Alice Wietzel - Instagram -
Alice Wietzel - Instagram -
Avec ses esquisses aussi envoûtantes qu'apaisantes, la dessinatrice Alice Wietzel célèbre la dimension sacrée de la femme sur Instagram, suivi par 20 000 followers. Pour Terrafemina, elle évoque ses convictions féministes et son amour de la Nature.
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Des femmes alanguies et pensives au sein de décors pastoraux. Un panel de couleurs charnelles et fruitées. Un trait généreux où s'enlacent mélancolie et sensualité. Les dessins d'Alice Wietzel regorgent de poésie, de sororité et de chaleur. Sur Instagram, l'illustratrice dépeint des corps féminins tout en courbes et des jardins d'Eden revigorants avec un style qui n'appartient qu'à elle. Mais qui êtes-vous vraiment, Alice Wietzel ?

Comment es-tu devenue illustratrice ?

Alice Wietzel : Je dessine depuis toute petite. J'ai étudié à l'École des Arts Décoratifs de Paris et j'ai su dès le début que je voulais faire de l'illustration. Puis un prof m'a dit que c'était un truc de "petites mains" et il m'a un peu traumatisée. A la fin de ma première année, j'ai donc opté pour un cursus de graphisme. Mais je me suis rendue compte que cela me gênait de consacrer tout son temps au service de l'identité des autres. Ce que je voulais, moi, c'était illustrer.

Pourquoi t'es-tu mise à Instagram ?

A.W. : Je dois y être depuis au moins cinq ans. J'y diffuse avant tout mon travail. En soi, Instagram permet beaucoup plus d'échanges, cela t'offre la possibilité de faire connaître tes créations rapidement et d'avoir des retours. Mais aussi de suivre des gens à l'autre bout du monde et des artistes que tu apprécies.

Bien qu'il participe à la visibilité d'artistes féminines, Insta fait également peser une certaine censure sur elles, notamment lorsqu'il s'agit de représenter des corps ou de la sexualité. Est-ce vraiment un espace de libertés pour toi ?

A.W. : Pour une plateforme d'expression artistique, tout est effectivement loin d'être autorisé dessus. J'ai l'impression que pour la simple raison qu'Instagram est une plateforme toute puissante, ils pensent pouvoir imposer les règles qui les arrangent - sous prétexte que tout le monde a besoin d'y être. C'est réellement problématique. Puis lorsqu'il s'agit de censurer des sexes ou des tétons par exemple, l'attaque est évidemment ciblée. C'est la même absence d'équité que l'on retrouve dans la vie de tous les jours.

La nature imprègne tes dessins. Pourquoi ?

A.W. : La nature a toujours été présente dans ma vie. Quand j'étais enfant, nous avions un grand jardin. Mais mon attachement à elle est revenu par la suite, en m'intéressant aux plantes dans le cadre d'un sujet de création. En fait, ma connaissance concrète des plantes a commencé en même temps que mon envie de les représenter sur le papier. Un jour, j'ai commencé à cumuler les plantes, à essayer d'apprendre à les connaître, puis à en prendre soin, à les maintenir en vie. Et parce que je les aime, j'ai fini par les dessiner.

Si la fleur est un cliché de la féminité, quelque chose qui évoque généralement le sexe féminin, elle me tient aussi beaucoup à coeur car elle me renvoie à tout ce qui me passionne : les mythes primitifs et créateurs, la nature, les cosmogonies, tout ce qui est constitutif aux modes de pensée ancestraux. J'aime cette idée de "sacré" et cette ancienne croyance selon laquelle le seul dieu que l'on doit respecter, c'est la nature. Cette idée peut être incluse dans un discours plus politique. Donc en parlant de la nature, je parle d'une certaine manière de politique.

Dirais-tu que tu es féministe ?

A.W. : Bien sûr. Etre illustratrice, cela signifie être une femme dans un milieu où tu n'es pas forcément considérée comme tu le devrais. Or être féministe, c'est demander à reconnaître que tous les êtres humains sont égaux. Et aussi reconnaître les torts que l'on nous a fait. Faire en sorte que l'on ait plus à avoir peur ou à se battre. Puis c'est aussi discuter avec les gens autour de soi, garçons et filles. Assurer un travail de sensibilisation à son échelle.

A lier ainsi nudité et nature, peut-on parler d'écoféminisme ?

A.W. : A partir du moment où l'on est féministe, on est nécessairement écoféministes. Je cultive l'intersectionnalité. A mon sens, l'on ne peut pas réellement dissocier les problèmes sociaux les uns des autres, les mettre dans des cases distinctes. Il faudrait tout changer. Car ce n'est pas parce qu'une cause n'est pas "la nôtre" qu'elle ne nous touche pas indirectement. On doit toutes se réunir et soutenir nos luttes respectives. Il faut respecter la Nature, respecter toutes les races et respecter toutes les femmes.

Couleurs chaudes et poitrines abondent dans ton art. Mais c'est une nudité pure, originelle, sacrée elle aussi. "Erotique" serait-il le mot ?

A.W. : Je représente avant tout des corps que je trouve très beaux à regarder. La nudité n'a pas à être un sujet tabou ou quelque chose qui déclenche des érections. D'ailleurs en Arts Déco, on apprend à représenter le corps nu, sans que cela soit sexuel. Cela peut simplement être sensuel. J'ai lu des livres sur le nudisme où des gens te racontent que se balader nu permet avant tout d'être en contact avec la nature et ne plus avoir de marqueurs sociaux sur soi : être soi-même, en fait. C'est super intéressant.

Quelles sont les influences qui hantent ton art ?

A.W. : J'en ai tellement ! J'aime autant la photographie japonaise et les Arts décoratifs (ils me permettent de construire des répertoires de formes) que des artistes comme Henri Matisse et David Hockney. Entre autres !

Comment procèdes-tu pour dessiner ?

A.W. : Je fais d'abord mon croquis (je dessine de tête parfois), je scanne le tout. Puis je le retravaille plusieurs fois sur la paddle, en refaisant les tracés. Mon mode de colorisation est numérique. Puis j'imprime l'ensemble. J'utilise un risographe, une machine japonaise qui utilise des encres à l'aide d'huile de soja et fonctionne sur le principe du pochoir. Les pochoirs sont faits en feuilles de banane. C'est comme un duplicopieur et c'est un processus écolo !

Quelles dessinatrices me suggères tu de suivre sur Instagram ?

A.W. : Je conseille Laura Callaghan qui fait des dessins incroyables. Agathe Singer aussi. Et puis les soeurs Agathe et Lorraine Sorlet bien sûr.