Les Golden Globes ont snobé "I May Destroy You" (et c'est tout bonnement scandaleux)

Publié le Jeudi 04 Février 2021
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Michaela Coel dans "I May Destroy You"
Michaela Coel dans "I May Destroy You"
En snobant éhontément la série "I May Destroy You" de Michaela Coel, les votant·e·s des Golden Globes 2021 ont raté la marche du progressisme. Désolant.
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Elle était sur toutes les lèvres, squattait tous les tops de fin d'année. Mais les Golden Globes semblent dur·e·s de la feuille. En ignorant la série déjà culte de Michaela Coel I May Destroy You, les votant·e·s de cette 78e cérémonie, qui se tiendra le 28 février prochain, passent à côté d'une oeuvre qui aura profondément marqué l'année 2020 de son empreinte. Et pourrait même servir de marqueur à de futurs récits, à l'instar de Girls et Fleabag en leur temps.

Dans son show diffusé sur HBO (et OCS en France), l'artiste britannique multi-casquettes (actrice, scénariste, réalisatrice) retraçait le parcours douloureux et cathartique de Arabella, jeune autrice victime de viol. Etonnante, détonante, bouleversante, I May Destroy You a bousculé le paysage sériel de l'année passée, triturant les codes formels et pulvérisant de nombreux tabous tels que les violences sexuelles, l'amnésie traumatique, le sang menstruel. Une oeuvre follement libre qui fera date et dont l'absence parmi les nommé·e·s de ces Golden Globes 2021 passe mal. Pire : cette omission est une erreur magistrale. Car dans un milieu où 91% des showrunners sont blancs et 80% sont des hommes, dédaigner une brillante créatrice noire acclamée par la critique prend des allures de message politique. Et il est vraiment moche.

Une absurdité d'autant plus désolante qu'apparaît dans la liste des nominations le consternant Emily in Paris qui a enchanté les amateurs et amatrices de guilty pleasure sur Netflix. Ce sommet de clichés kitsch, aux relents rétrogrades, narrant avec une niaiserie confondante les aventures d'une Lily Collins dans un Paris de carte postale surannée, se voit cité dans deux catégories : "Meilleures série musicale ou comique" et "Meilleure actrice".

On en reste coi.

Michaela Coel dans "I May Destroy You"
Michaela Coel dans "I May Destroy You"

Alors oui, on notera une année "historique" pour les femmes réalisatrices, puisque trois d'entre elles décrochent une nomination. Regina King (One Night In Miami), Chloé Zhao (Nomadland) et Emerald Fennell (Promising Young Woman) brisent le plafond de verre dans une catégorie où seules Jane Campion, Barbara Streisand, Sofia Coppola, Ava DuVernay et Kathryn Bigelow avaient jusqu'alors eu l'honneur de figurer en 78 ans. Et on imagine aisément les votant·e·s s'auto-congratuler d'avoir fait preuve de tant d'audace et de progressisme- ô ironie.

Mais l'oubli (forcément conscient) de l'oeuvre de Michaela Coel jette un voile sur cette réjouissante nouvelle, rappelant que le "monde d'après"- que l'on rêve divers, inclusif, féministe- se fait encore attendre à Hollywood. On le savait et on nous en apporte une nouvelle fois la preuve : la route sera longue.