cinéma
Golshifteh Farahani : "Laissez les femmes tranquilles !"
Publié le 7 décembre 2016 à 09:00
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
L'actrice iranienne Golshifteh Farahani est à l'affiche de "Go Home", premier film de la réalisatrice libanaise Jihane Chouaib. L'occasion d'interroger la comédienne sur ses liens passionnelles avec son pays d'adoption, la France, ses révoltes et ses espoirs.
Golshifteh Farahani au Festival de Cannes 2016 Golshifteh Farahani au Festival de Cannes 2016© Getty Images
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Elle parle doucement, d'une voix voilée et chantante comme une mélopée, et tente de soigner un vilain rhume à coup de tisane. Alors qu'on la rencontre dans la petite cour d'un hôtel du 18e arrondissement de Paris, Golshifteh Farahani ressemble à une Frida Kahlo perse, avec son sourire mélancolique et ses bijoux baroques. Étrange et sublime petit bout de femme qui a osé défier les mollah iraniens en devenant la première actrice à franchir les portes d'Hollywood sans voile (on la verra bientôt dans Pirates des Caraïbes 5) ou en posant nue dans le magazine Egoïste. De cet exil forcé, de cet engagement, elle ne parle que pudiquement, par métaphore. Mais ses choix cinématographiques en disent long. Après Poulet aux prunes ou My Sweet Pepper Land, la voici à l'affiche de Go Home de la réalisatrice libanaise, Jihane Chouaib. Elle y incarne Nada, une Franco-libanaise aux prises avec son enfance déracinée, les fantômes de son histoire familiale et son pays meurtri par la guerre civile. Interview d'une insoumise (presque) apaisée.

Go Home n'est pas le premier film que vous faites qui parle d'exil et de quête d'identité. Choisissez-vous vos projets parce qu'ils font écho à votre histoire personnelle ?

Dans le cas de Go Home, pas forcément, car l'héroïne quitte son pays à l'âge de 10 ans. Moi, j'ai quitté l'Iran à l'âge de 25 ans. Je pense que le point commun que nous avons, c'est que nous cherchons toutes les deux à l'intérieur de nous-même nos fantômes et trouver la paix.

Vous jouez une femme forte, tenace, qui s'invente une place dans une société qui n'a pas vraiment été conçue pour elle. Un personnage très féministe en quelque sorte...

Elle est forte et en même temps un peu dramaqueen. Elle est vaillante, elle est intelligente et elle prouve qu'on n'est pas forcément l'esclave de notre société. Jihane m'a donné des ailes pour voler, elle m'a donné les clés pour aller chercher le clown à l'intérieur de moi qui était bien endormi. Elle m'a beaucoup poussée.

Vous avez défié les mollahs en posant nue pour le magazine Egoïste, dévoilé un sein aux César... Pour vous, la nudité peut-elle être politique ?

Oui, c'est sûr que quand je pose nue, c'est différent d'une actrice française : cela représente quelque chose malgré moi, même si je n'ai aucune idée derrière la tête... Ce qui est faux bien sûr, puisque je sais évidemment ce que cela représente. Quand on vient d'ailleurs, on embarque notre histoire avec nous. Je me pose la question : c'est quoi le problème avec le corps des femmes ? Pourquoi cela pose autant de problèmes dans l'Histoire ? D'où vient cette peur des hommes ? Pourquoi veut-on mettre le voile ou enlever le voile ? La femme est toujours l'arme de la guerre. On l'a bien vu avec la polémique du burkini en France cet été... C'est honteux. C'est quoi le problème avec la femme ? Laissez-nous !

De plus en plus de femmes iraniennes se révoltent contre cette société qui les asservit. Avez-vous de l'espoir ?

Les femmes iraniennes sont déjà tellement fortes et ont déjà tellement avancé... Les femmes orientales sont beaucoup plus enracinées que les femmes en Occident. Je souhaite bonne chance aux hommes iraniens lorsqu'ils vont devoir affronter cette renaissance des Iraniennes, cette force, ce tremblement de terre, ce tsunami. J'espère qu'ils vont survivre (rires) !

Golshifteh Farahani dans Go Home © Paraiso Production Diffusion

Votre lune de miel avec la France est-elle finie ? Vous aviez déclaré que "Paris était le seul endroit de la planète où les femmes n'étaient pas coupables". On dirait que vous avez désenchanté depuis...

Je crois toujours qu'il est nécessaire pour toutes les femmes du monde d'habiter à Paris au moins un an. C'est une expérience extraordinaire. Par contre, un an... pas plus ! (rires). Mais clairement, la France a pas mal changé. C'est à nous de mettre un peu d'eau dans ce feu qui est en train de tout consommer. Il faut calmer tout ça. Malheureusement, les gens ont beaucoup de bois entre leurs mains pour alimenter ce feu destructeur. Et on n'a pas besoin de ça...

Vous avez d'ailleurs décidé de déménager de nouveau, de partir de Paris. N'êtes-vous pas fatiguée de cet exil permanent ? N'avez-vous pas envie de vous poser un peu ?

Etre en exil, c'est comme vivre sans un bras. C'est fatigant, mais on apprend à vivre avec. C'est quelque chose qui ne disparaît jamais, c'est comme un deuil, mais il faut bien avancer. Mais oui, j'ai très envie de m'asseoir et de poser mes valises. Après huit ans, je sens que c'est nécessaire.

Vous vous êtes récemment mariée. Votre époux est-il une "ancre" ?

Oui, je crois que l'amour en général est la base de notre construction en tant qu'être humain. L'amour m'a beaucoup appris. J'ai appris que je pouvais sourire, avoir un placard, un jardin. L'amour m'a soignée.

Go Home, un film de Jihane Chouaib
Avec Golshifteh Farahani, Maximilien Seweryn, François Nour
Sortie le 7 décembre 2016

Mots clés
cinéma Culture News essentielles interview feminisme
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