C'est quoi l'assistance sexuelle ?

Publié le Mercredi 16 Décembre 2020
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
C'est quoi, l'assistance sexuelle ?
C'est quoi, l'assistance sexuelle ?
L'assistant·e sexuel·le permet aux personnes en situation de handicap de pouvoir éprouver du plaisir. Une profession essentielle pour de nombreuses voix concernées, qui reste encore trop taboue - et surtout illégale - en France.
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Au mois de février dernier, Sophie Cluzel, alors secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, annonçait vouloir relancer le débat autour d'une profession non réglementée : celle d'assistant·e sexuel·le. Elle se déclarait ainsi favorable à "ce qu'on puisse accompagner la vie intime des personnes en situation de handicap", et donc à légaliser le fait pour ces hommes et ces femmes de donner du plaisir contre de l'argent.

Une "exception", soulignait-elle, qui ne reviendrait pas à "ouvrir un réseau de prostitution" (en France, le proxénétisme est puni par la loi), mais qui permettrait d'aider celles et ceux qui seraient "condamné·e·s à vivre dans une abstinence non choisie". L'Organisation mondiale de la santé elle-même l'affirme : "la santé sexuelle fait partie intégrante de la santé, du bien-être et de la qualité de vie dans son ensemble".

Sept ans plus tôt, le CCNE (Comité consultatif national d'éthique), que la secrétaire d'Etat a saisi en 2020, s'y était déjà opposé, prétextant qu'il n'était "pas possible de faire de l'aide sexuelle une situation professionnelle comme les autres en raison du principe de non-utilisation marchande du corps humain".

Depuis cependant, le recours aux assistant·e·s s'est démocratisé. En 2014, l'Association pour la promotion de l'accompagnement sexuel (Appas) a lancé une formation pour guider femmes et hommes dans cette pratique, et proposer leurs services payés à l'heure. Pas tout à fait légal, reconnaît sa présidente Jill Prévôt Nuss. "Au regard de la loi, ces personnes sont condamnables, et nous aussi, puisque nous sommes considérés comme des proxénète", explique-t-elle au Parisien. Mais un de ses "élèves", l'accompagnant formé par ses soins Fabrice Flageul, réplique : "Honnêtement, vous connaissez quelqu'un qui va mettre en prison une personne handicapée en prison pour avoir eu recours à du sexe tarifé ?"

A écouter les premier·e·s concerné·e·s, c'est en tout cas une pratique salutaire.

"Reprendre possession de mon corps"

"L'accompagnement sexuel se traduit par des prestations érotiques ou sexuelles. Ça passe à travers la relaxation, le toucher, la masturbation, la pénétration ; mais aussi au niveau émotionnel et affectif", décrit à RTBF la sexologue Carole Martinez. Autant de domaines qui amènent celui ou celle qui en bénéficie à se découvrir, à s'épanouir. Et potentiellement : à jouir. C'est aussi un moyen de se retrouver, soi et ses sensations. "J'ai pu reprendre possession de mon corps", confie en ce sens Adeline, 33 ans, venue témoigner au micro d'Europe 1 en février aux côtés de son assistant sexuel, qui n'est autre que Fabrice Flageul.

Pour la jeune femme, diagnostiquée atteinte du syndrome d'Ehlers-Danlos à 25 ans, une maladie qui aboutit à une souplesse anormale des articulations, une peau très élastique et des tissus fragilisés, l'intervention de l'accompagnant après cinq années d'abstinence dépasse les bienfaits physiques. "J'ai pu me reconnecter avec mon corps, et me dire qu'il était capable de me donner des choses agréables et de plaire encore", raconte-t-elle. "Fabrice, ce n'est pas du sexe, c'est tout un ensemble".

Dans son long-métrage Vivante, la réalisatrice de porno féministe Anoushka aborde justement ce sujet encore tabou, et ses répercussions positives. Elle y met en scène la comédienne Romy Furie qui, après un accident de la route, se retrouve en situation de handicap. Ce "nouveau" corps lui semble inconnu, est difficile à apprivoiser. Sa sexualité, en solitaire comme avec sa partenaire interprétée par Bertoulle Beaurebec, en pâtit. Elle décide alors de faire appel à une tierce personne, experte.

A Slate, Anoushka confie que l'idée s'attaquer à ce sujet vient de sa propre expérience. "Il était important pour moi de parler de ce métier et donc du handicap visible (ou non) parce que c'est une partie de ma vie. Depuis un peu plus de dix ans, je souffre d'une maladie chronique", livre la réalisatrice.

"Au tout début, j'avais énormément de douleurs et je pensais que ma vie sexuelle était bel et bien terminée... Comme le dit le personnage de Louisa dans le film (joué par Romy Furie, ndlr), pour moi tout était 'cassé' à ce niveau-là. La vie faisant, les choses se sont améliorées et j'ai pu progressivement me reconnecter à mon corps. Cette maladie - non visible - est assez handicapante au quotidien, et j'aurais tellement aimé à l'époque connaître l'existence de l'assistance sexuelle"

Pour l'accompagnant Fabrice Flageul, cette reconnexion que mentionnent chacune Adeline et Anoushka, "c'est le coeur de la démarche des assistants sexuels", assure-t-il. "Redonner confiance, retrouver de la féminité, et se rendre compte que le corps peut retrouver du plaisir et de la sensualité". Nécessaire, donc. Et pourtant, la France peine à l'accepter - contrairement à plusieurs de ses voisins européens.

La France (très) en retard sur la question

Dans un article détaillé, Le Figaro dissèque plusieurs législations occidentales concernant l'assistance sexuelle. Bilan : la France est à la traîne. Aux Pays-Bas par exemple, cette aide particulière a été proposée dès 1980, et reconnue comme un soin. Certaines personnes peuvent même prétendre à une allocation pour faciliter leur accès. Pareil au Danemark, où une "indemnité handicap" est notamment allouée pour ce service.

En Allemagne, l'assistance sexuelle est considérée comme une profession prostitutionnelle, laquelle est légale et encadrée. En Belgique, des formations sont dispensées par des professeurs d'université, des médecins ou des psychiatres qui apprennent les spécificités de la sexualité des personnes en situation de handicap, précise Le Parisien. En Suisse, elles consistent à offrir des cours de communication verbale et non-verbale, de massages et de détente corporelle. Et ressemblent à celles que propose l'Appas.

"Il s'agit avant tout de demander à ces personnes quel est leur désir : regarder un film ensemble, recevoir des caresses, avoir un rapport sexuel...", étaye Alice Vigne, assistante sexuelle française, au quotidien. "Les personnes handicapées sont souvent manipulées en permanence par le corps médical, mais elles ne sont pas actives dans la relation. Il s'agit de leur donner la possibilité de devenir acteurs du rapport intime."

Et il suffit d'entendre les mots d'Adeline pour comprendre instantanément que cet accompagnement particulier fait une réelle différence. "J'ai pu avoir envie de me faire jolie, de plaire à nouveau", se réjouit celle qui a par la suite de nouveau éprouvé la force de séduire un homme.

Depuis février dernier, malgré l'annonce gouvernementale, rien n'a bougé. A l'époque, Sophie Cluzel assurait pourtant : "la société a mûri". A croire qu'il lui faille - malheureusement - encore un peu de temps.