Ces happening militants qui ont bousculé le monde du sport

Publié le Vendredi 23 Juillet 2021
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
En 2016, le happening de Colin Kaepernick contre les violences policières.
En 2016, le happening de Colin Kaepernick contre les violences policières.
Des prises de position des footballeurs afroaméricains contre les violences policières aux discours anti Trump de Megan Rapinoe, la lutte pour l'égalité des sexes et des classes s'est bien souvent illustrée dans un monde sportif (très) loin d'être apolitique.
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Qu'il est ardu d'être une personnalité sportive. L'absence d'engagement ou de "pensée complexe" (pour paraphraser Edgar Morin, et cligner de l'oeil à Manu) vous fera passer pour un corps sans esprit, et vos réactions à chaud risquent même d'être raillées dans les médias et sur les réseaux. Mais à l'inverse, la valorisation d'une réflexion intime et politique suscitera une ribambelle de critiques type "Pour qui il/elle se prend ?". Comme si la condition du sportif et de la sportive était de faire son métier sans rien demander, ou défendre en retour.

Et pourtant, il semble bon de le rappeler à l'heure des Jeux Olympiques de Tokyo, au sein desquels, rappelons-le, il a été donné pour ordre aux sportifs de ne pas partager leur opinion politique : le sport s'envisage rarement sans engagement. Parmi tous ces individus épuisés physiquement s'exprime une autre forme de lutte, sociale, solidaire, symbolique. Il n'est dès lors pas étonnant, lorsque l'on parcourt du doigt la frise chronologique de grands événements, d'observer une série de happening venus bousculer les lignes. Par exemple ?

Voici un focus sur six d'entre eux.

La "bataille des sexes" sur le court de tennis

Bon, si vous êtes comme nous fans d'Emma Stone et de Steve Carrell (difficile d'imaginer un monde sans l'un ou l'autre), vous avez forcément déjà entendu parler de Battle of the Sexes, ou "la bataille des sexes" en français. Dans le jargon du tennis, cette bataille mixte se déroule sur un court, et désigne un duel entre une joueuse et un joueur professionnel. Mais elle nous renvoie surtout à l'un des plus fameux affrontements dans le genre, opposant la légende du Grand Chelem Bobby Riggs à la tout aussi iconique Billie Jean King en 1973.

Spoiler alert, c'est Billie Jean King, alors âgée de 29 ans, déjà prestigieuse et aujourd'hui détentrice de 39 titres du Grand Chelem, qui a remporté ce combat acharné. Celui-ci avait tout d'hollywoodien : par-delà son talent, Bobby Riggs était bien connu pour ses réflexions provocs et peu subtiles sur les joueuses de tennis. Le match qui l'opposa à la tenniswoman était une forme de challenge narquois. Diffusé sur ABC, ce duel en cinq sets super-médiatisés démontra avec quelle expressivité les enjeux sociaux peuvent s'inviter sur les courts.

Billie Jean King, vedette de la fameuse "Bataille des Sexes".
Billie Jean King, vedette de la fameuse "Bataille des Sexes".

Le genou à terre de Colin Kaepernick

Bond dans le temps : nous sommes en 2016. En pleine rentrée de cette année notamment marquée par la victoire désolante de Donald Trump, le quarterback Colin Kaepernick, de l'équipe de football américain des San Francisco 49ers, bouleverse le paysage médiatique et politique national en posant un genou à terre durant l'hymne américain. Le but de ce geste ? Affirmer son soutien au mouvement Black Lives Matter.

Un événement qui a compté dans l'histoire de la NFL, autrement dit la National Football League. Et a suscité bien des réactions véhémentes, comme celle (pas de surprise) de Donald Trump. Sans surprise hélas, Colin Kaepernick quittera son équipe la même année. Aujourd'hui, bien des personnalités afroaméricaines saluent cette prise de position courageuse, dans une Amérique encore secouée par le meurtre de George Floyd.

Le genou à terre de Kaepernick en dit plus long que mille discours, et démontre la force symbolique des happening sportifs. Il nous renvoie aux poings levés des athlètes afroaméricains Tommie Smith et John Carlos, médaillés du 200 m aux Jeux Olympiques de 1968 qui prirent place à Mexico. Encore un hymne américain, une tête baissée, et un poing dressé donc (et ganté de noir), pour dénoncer la ségrégation raciale.

Les champions seront exclus à vie des J.O.

Le genou à terre de Colin Kaepernick, parmi les plus marquants des happenings sportifs.
Le genou à terre de Colin Kaepernick, parmi les plus marquants des happenings sportifs.

La course de "K.V. Switzer", marathonienne légendaire de Boston

Si les glorieuses sixties sont synonymes de bien des révoltes sociales, niveau féminisme, ce n'était pas vraiment ça. En 1966, aucune femme n'avait encore jamais pu participer au marathon de Boston, l'une des plus fameuses compétitions dans le domaine. Ce fut chose faite l'année suivante grâce à la coureuse professionnelle Kathrine Switzer. Sauf que pour participer, cette sportive américaine originaire d'Allemagne a du courir sous un faux nom, K.V. Switzer. Belle astuce pour prendre de court le sexisme du panorama sportif.

Bien des préjugés faisaient alors office d'obstacles pour n'importe quelle marathonienne. Du plus primaire (les femmes n'auraient pas d'endurance) au plus admirable sur l'échelle de la bêtise humaine (la course "viriliserait" la gent féminine, au secours). Il suffira donc d'une coureuse audacieuse de 20 ans pour couper bien des chiques. Durant cette course qui eut lieu le 19 avril 1967, l'un des organisateurs de la compétition, Jock Semple, tenta vivement d'arracher son dossard. Immortalisée en photos, cette scène devînt tristement culte.

Malgré tout, la mystérieuse "K.V. Switzer" put achever cet exploit. Malheureusement, elle fut par la suite disqualifiée. Les fédérations n'apprécièrent guère cette endurante féministe. Il faudra attendre 1974 pour que l'Américaine remporte la première place du marathon de New York. Une victoire bien méritée.

Les discours anti-Trump de Megan Rapinoe

De la championne de foot américaine et icône lesbienne Megan Rapinoe, l'on retiendra un happening, délivré en soutien au quaterback Colin Kaepernick. Le 4 septembre 2016, l'attaquante queer de 34 ans posa elle aussi un genou à terre. Limpide pour une personnalité qui fait hurler les réacs, remercie sur son mur Instagram Barack et Michelle Obama pour "leur intelligence et leur compassion" et n'hésite jamais à citer Martin Luther King Jr.

Mais ce geste, c'est aussi la préfiguration d'une lignée de discours critiques, que la championne olympique va privilégier en 2019. En affirmant "[ne pas vouloir aller] à cette putain de Maison Blanche" en cas de victoire de son équipe à la Coupe du monde féminine de football par exemple. Ou encore en alertant l'opinion publique quant à l'impression "de division et de haine" qui sembla l'emporter sur "l'unité" durant la présidence Trump.

Megan Rapinoe, personnalité queer, sportive et profondément engagée.
Megan Rapinoe, personnalité queer, sportive et profondément engagée.

Bref, Rapinoe ne s'est jamais privée de fustiger ces "horribles choses que le président élu a dites et faites", pour reprendre ses mots. "Vous portez un message d'exclusion. Vous m'excluez, vous excluez les gens qui me ressemblent, vous excluez les personnes de couleur, vous excluez peut-être même des Américains qui vous soutiennent", lui décochait-elle encore sur CNN peu avant sa victoire.

La lutte, pour la sportive, a lieu aussi bien sur le terrain qu'en dehors.

Le boycott exceptionnel de la NBA

L'an dernier s'est déployée, à l'unisson des marches organisées à travers les Etats-Unis à la mémoire de George Floyd, une mobilisation plus globale encore investissant bien des milieux. Comme la scène sportive par exemple. Ainsi, de nombreux basketteurs ont revendiqué en août 2020 leur droit à ne pas participer aux futurs tournois de la NBA, ligue majeure de basketball, comme signe de protestation suite aux tirs de police dont fut victime le jeune Jacob Blake, touché par un policier de sept balles dans le dos.

Une décision qui a engendré le report de plusieurs matchs. Parmi les protestants, l'équipe des Milwaukee Bucks. Chose exceptionnelle, ce boycott s'est rapidement propagé. Ainsi des équipes de baseball, comme les Milwaukee Brewers, mais aussi de football, ont brandi ce choix afin de dénoncer les violences policières.

Le message émancipateur de Naomi Osaka

Naomi Osaka elle aussi s'était exprimée, en réaction aux images de Jacob Blake, criblé de balles. "Avant d'être athlète, je suis une femme noire. Et en tant que femme noire, j'ai l'impression qu'il y a des questions plus importantes, qui nécessitent une attention immédiate, plutôt que de me regarder jouer au tennis. Constater la perduration du massacre des Noirs par la police me donne mal au ventre", avait alors déclaré la tenniswoman professionnelle japonaise.

La championne ne craint pas de revendiquer des convictions, quitte à bousculer le monde sportif. C'est justement ce qui s'est passé en mai dernier. Le 31 du mois, la tenniswoman décidait de se retirer du tournoi de Roland-Garros, après avoir fait l'objet d'une amende de 15 000 dollars pour avoir refusé de se présenter à une conférence de presse. Pourquoi ? Car cette médiatisation accable la tenniswoman. Et son retrait est le signe d'un burn out : en se retirant du tournoi, la sportive souhaitait juste préserver sa santé mentale.

Le geste de Naomi Osaka semble trop personnel pour être politique, et précisément, il est politique car intensément personnel. En nous éveillant à un sujet trop peu (ou mal) traité, la santé mentale des sportives professionnelles, la championne démontre qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les athlètes puissent évoquer leur fatigue, leur anxiété et leur dépression, sans se voir qualifiés de "divas".

C'est encore une autre "bataille" qui se profile sur les courts de tennis.