Julien Lepers viré : je suis, je suis, je suis anéantie

Publié le Lundi 14 Décembre 2015
Adèle Bréau
Par Adèle Bréau Ex-directrice de Terrafemina
Ex-directrice de Terrafemina, je suis aussi auteure chez J.-C. Lattès, twitta frénétique, télévore, bouquinophile et mère happy mais souvent en galère.
Julien Lepers, papa répudié de Questions pour un champion
Julien Lepers, papa répudié de Questions pour un champion
Après des années de rumeurs, il semblerait que la fin annoncée du règne Lepers sur "Questions pour un champion" soit actée. Bonne nouvelle pour les défenseurs du droit à l'oubli de l'ancien temps, tragédie pour des ribambelles plus ou moins flétries de passionnés des premiers jours, la nouvelle fait l'effet d'une bombe (cathodique) et signe indéniablement la fin d'une époque.
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La querelle des Anciens contre les Modernes a encore frappé. Pas lui, non. Claire Chazal, c'était dur, mais on s'y attendait. Et puis, elle n'avait pas non plus inventé le 20 heures. PPDA, on l'avait eu mauvaise, et pas accueilli sa remplaçante brushinguée de la meilleure manière mais on s'y était fait. Patrice Laffont, on s'était bien douté, alors, qu'il devait en avoir marre d'aimanter des consonnes et des voyelles en ricanant dans un studio surchauffé. Mais Julien, NON ! Non, madame !

"Questions pour un champion" est née il y a précisément vingt-sept ans. Présentée dès ses premières heures par le bondissant Julien Lepers, jusqu'alors inconnu du grand public, le seul jeu véritablement culturel du PAF est depuis absolument indissociable de son père nourricier, dont la trombine à la Michael Keaton fait le bonheur des fidèles heureux de se faire secouer, chaque soir à l'heure de l'apéro, par ce monsieur Loyal à l'enthousiasme jamais érodé. Pourtant, selon les informations de Télé Star, il semblerait que la chaîne, désireuse de "rajeunir et féminiser sa cible", souhaite remercier, comme on le dit élégamment dans ce type de circonstances, le maître des lieux comme on congédie une première épouse dans l'espoir de relancer sa vie en compagnie d'une femme plus jeune et vierge de toute histoire commune. Comme ça, en claquant des doigts. Oust !

En 2000, la direction de RTL avait elle-même poussé papi Bouvard vers la sortie, pensant à la place de ses auditeurs qu'en répudiant le taulier qui n'avait rien demandé (bien au contraire), elle rendrait service à ces oreilles anonymes et passives forcément ravies qu'on leur murmure d'une voix moins abîmée au sonotone. Finalement, les fans avaient déserté, crié haut et fort (eh oui) leur envie de faire revenir au micro l'homme qui rebondit à chaque grivoiserie, et donné raison à ceux qui pensent encore que c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes.

Alors, que penser de l'éviction de Lepers ? Doit-on hurler au scandale, à l'injustice d'un employé que l'on congédie d'un revers de la main alors qu'il n'a jamais démérité, portant au contraire sur ses épaules toujours impeccablement tirées à quatre épingles les audiences d'une chaîne certes ronronnante mais au public fidèle ? Ou, au contraire, doit-on se réjouir que, à l'instar d'un Drucker fossilisé dans la grille du service public, ledit Lepers laisse enfin, à 66 printemps, sa place à la jeune génération trépignant en coulisses, et venue apporter les fruits de sa fraîche exaltation nourrie à la grande toile ?

Parce que le problème est bien là, mettant face à face la vieille télévision menacée de mort à horizon 2025 et le Web (et la VOD) répondant davantage, semble-t-il, aux goûts de ces téléspectateurs que les chaînes cherchent par tous les moyens à retenir (coucou NRJ12 !) avant qu'ils ne plongent dans leurs tablettes. Las, chers professionnels de l'audiovisuel, ça n'est pas en changeant de femme qu'on change de vie, ni en troquant son Julien contre une native de la génération Z qu'on rapatrie devant le poste des post-ados venus guerroyer à coups de connaissances pré-colombiennes ou post-paléolithique.

Alors ne privons les amoureux des "Ah oui ah oui ah ouiiii" et autres "Qua-tra-la-suiiite !" de leur petit bonheur de 18 heures. Enfin, croyez-vous qu'il soit si facile de refourguer, trente ans durant, une encyclopédie Larousse à un puits de culture venu batailler sur le ring du savoir pour trois francs six sous ? Qu'il soit donné à tout le monde de réunir devant sa télé grands-parents et petits-enfants heureux de se rejoindre, enfin, autour d'un programme au pitch pourtant pas si glam ? De vendre des monceaux de boîtes de jeux entassées dans la plupart des armoires normandes des familles françaises, écrasant de leur superbe le tout-puissant Trivial Poursuit à l'hégémonie jusqu'alors incontestée ? "Madame Bovary, c'est moi", disait Flaubert. Et bien "Questions pour un champion", c'est Julien (et Cindy, c'est Cindy), n'en déplaise aux soldats du changement à tout crin. Il est des moments où il vaut mieux ne pas toucher aux symboles. Alors soyez pas chiens, laissez-nous Julien.

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