Politique, patriarcal ?
C'est une évidence qui se limite guère aux sonorités. Oui, le pouvoir politique est un jeu genré, de compétition, de coqs qui bombent le torse, d'harangues agressives, à celui qui criera le plus fort. Là dedans, tact et empathie sont volontiers ignorés car insuffisamment susceptibles de générer des "punchlines" éclatantes.
Voilà ce que dénonce avec éloquence Cécile Duflot sur les ondes de France Culture. L'espace d'un discours éclairé et acerbe où l'ex élue et femme de convictions, ouvertement féministe, exige et milite en l'honneur d'une "féminisation" de la classe politique en France... Et si on écoutait son manifeste ?
"On a rendu le pouvoir prisonnier d'une forme de virilisme toxique", fustige Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France. Avant d'étayer plus encore son discours, qui s'attaque directement aux stéréotypes de genre. Et à ce que la philosophe féministe Olivia Gazalé intitule : le mythe de la virilité. Une construction culturelle et sociale, rien de plus.
On écoute Cécile Duflot :
"On a attribué au pouvoir politique les formes stéréotypées de la virilité : la grosse voix, la force physique, l'aspect imposant... On est quasiment dans la sur-virilité d'ailleurs. Et ces caractéristiques jugées comme très masculines, on a fait en sorte de les normaliser au sein de la classe des dirigeants, en considérant que la politique ne pouvait être incarnée que par des hommes, logiquement... Ce qui fait donc que des femmes témoignent des mêmes critères"
Illustration de Margaret Thatcher en avant. Eloquent.
La femme d'engagements plaide donc finalement "pour une féminisation du pouvoir afin de repenser en profondeur la manière de gouverner", tel que l'énonce France Culture. Cécile Duflot le défend ainsi : "C'est une question légitime car les femmes représentant la moitié de la planète". Hommes et femmes sont tous deux concernés par cet enjeu révolutionnaire.
Un pouvoir qui se féminise, c'est aussi un pouvoir qui raisonne davantage en terme d'empathie. Cela rejoint l'idée "d'éthique du care" : de valorisation du soin, de l'attention accordée à l'autre, de la vulnérabilité, masculine et féminine, laquelle s'avère nécessaire lors des crises, sociales, sanitaires.... Une éthique qui tient à coeur de nombreuses militantes féministes, voyant là une forme nécessaire d'engagement
C'est le cas de Lauren Bastide, qui énonce à Terrafemina une réflexion en forme de manifeste : "Oui, la pensée du "care" est éminemment féministe, elle désigne le soin, la sollicitude, l'attention qu'on donne aux autres, des travaux principalement déléguées aux femmes au sein des familles, et d'un point de vue macroéconomique, aux femmes issues de l'immigration..".
"C'est un enjeu très politique, comme on a pu le voir clairement lors de la crise du Covid. Les personnes en position de pouvoir bénéficient de ce soin, plus que toute autre, qui émane de personnes marginalisées, dévalorisées au sein de notre société. Le "care" n'est pas un instinct naturel pour les femmes, c'est une question qui a été trop dépolitisée"."
"On va cacher les personnes les plus vulnérables de notre société, les silencier, les invisibiliser. Les personnes qui sont en situation de puissance sont elles-mêmes en négation permanente de leur vulnérabilité. Alors que c'est dans la vulnérabilité qu'on peut trouver le soin, exprimer ses blessures, que l'on peut réparer.
Si cela n'a pas lieu, le monde court à sa perte.".
A l'unisson la politologue Marie-Cécile Naves décrypte du côté de Terrafemina : "l'éthique du "care", c'est-à-dire du soin, de la bienveillance et de l'empathie envers autrui, s'envisage dans des gouvernements où l'on est plus habitué à écouter les femmes... cette éthique doit être prise au sérieux en terme de rhétorique, à l'opposé d'une parole politique qui serait sceptique et guerrière"
"Certaines dirigeantes en témoignent. Leur sensibilité n'est pas du domaine de "l'intuition féminine" mais de l'expérience - genrée, basée sur l'observation, le regard sur le monde, une solidarité moins visible chez beaucoup de leaders masculins"