Lettre ouverte à Lou Doillon et son féminisme périmé

Publié le Mardi 21 Juillet 2015
Jack Parker
Par Jack Parker Rédacteur
Lou Doillon à la finale du tournoi de tennis de Roland-Garros à Paris, le 6 juin 2015.
Lou Doillon à la finale du tournoi de tennis de Roland-Garros à Paris, le 6 juin 2015.
Lou Doillon s'est exprimée récemment au sujet du féminisme à travers des phrases légèrement maladroites. Reprenons-les ensemble pour voir ce qui cloche.
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Eh, salut Lou !

On ne se connait pas mais je suis une femme, je suis féministe, et j'ai été profondément énervée par les propos que tu as tenus dans ton interview pour le quotidien espagnol El Pais, relayée par Voici. Tu permets que je me lâche un peu et qu'on en discute ? Cool, merci.

Au départ, ça allait plutôt pas trop mal - tu as un peu jeté ta mère, Jane Birkin, ainsi que Françoise Hardy sous le train, mais tes arguments étaient recevables. Tu dénonçais le paradoxe entre leur image de femmes libérées et leur discours sur leurs compagnons - ça avait effectivement du sens.

"Quand on pense à [elles], on les considère comme des femmes libérées. En réalité, elles ne l'étaient pas, mais c'est ce qu'elles donnaient à voir. Hardy dit que sans Jacques Dutronc, elle n'au­rait rien fait de sa vie et ma mère dit qu'elle doit tout à Serge Gains­bourg."

Bon. Soit.

Tu te vantes ensuite de faire partie de la première génération de femmes capables de "de jeter un mec à la rue, de disposer de son propre salaire, d'avoir une maison à son nom et de pouvoir élever seule son fils". Ok, donc tu es ce que tu es parce que tu as tout construit toute seule sans l'aide de personne (et surtout pas d'un homme) et tu es une vraie femme libérée, pas comme ta mère, cette arnaque. Si c'est ainsi que tu te vois et que tu te sens, grand bien t'en fasse, je suis toujours ravie quand je vois une femme avoir le contrôle de sa vie et faire ses propres choix, ceux qui la rendent heureuse et épanouie.

En revanche, là où ça coince, c'est quand tu commences à comparer ton féminisme tout propre et tout parfait à celui d'autres artistes comme Beyoncé ou Nicki Minaj, qui te scandalisent car, selon toi, ta grand-mère s'est battue pour autre chose que le droit de porter un string. On passera sur le fait que ta grand-mère n'est pas de la génération de Beyoncé et Nicki, qu'elle s'est battue pour des trucs de son époque et que c'est pas parce qu'elle a gagné deux-trois victoires qu'on doit s'en contenter et s'arrêter là - et si dans notre génération on trouve des femmes qui veulent se battre pour pouvoir porter un string sans se faire attaquer, insulter, toucher, agresser ou juste parce qu'elles kiffent, ben c'est bien leur droit.

Mais tu vas plus loin encore ! Pour toi, il s'agit d'un véritable syndrome de Stockholm.

"Comme les garçons ne nous frappent plus le cul, on le fait nous-mêmes. Comme plus personne ne nous traite de "chienne", on se le dit entre nous. Quand je vois Beyoncé chan­ter nue sous la douche en suppliant son copain de la prendre, je me dis : "On assiste à une catastrophe". Et en plus, on me dit que je n'ai rien compris, que c'est vrai­ment une fémi­niste parce que dans ses concerts, un écran énorme le dit. Mais c'est dangereux de croire que c'est cool."

Tu prends la parole sur des sujets que tu penses connaître, parce que de là où tu te trouves, il est évident que ces femmes ne sont que des objets sexuels dénués de conscience et de libre-arbitre. Sais-tu seulement que Nicki Minaj passe une grande partie de ses concerts à faire des grand discours pour encourager ses fans à ne surtout pas dépendre d'un homme, à aller au bout de leurs études, à construire leur carrière ?

Mais pour toi, on ne peut pas s'afficher dénudée et être prise au sérieux hmm, c'est bien ça ?

Et pourtant, tu l'as fait à de nombreuses reprises il me semble. Ce que je suis loin de te reprocher, puisque c'est ton corps, ton droit, et que tu en disposes comme bon te semble - parce que tu as la chance de pouvoir le faire.

Mais quelle différence y a-t-il entre ton corps dénudé et ceux de Beyoncé et Nicki Minaj ?

Une féministe ne joue pas avec les mêmes armes que ses ennemis. Une féministe ne rabaisse pas une femme parce qu'elle choisit de se dénuder ou qu'elle a un autre mode de vie que le sien. Une féministe ne se colle pas des gommettes dorées sur le front pour se féliciter de son féminisme parfait tout en crachant sur le féminisme des autres qui est trop nul, bouh.

Ta grand-mère ne s'est donc pas battue pour que les femmes soient libres de disposer de leur corps comme bon leur semble ? C'est dommage, parce que c'est un peu notre combat à nous - les mauvaises féministes vulgaires. D'ailleurs, c'est pour ça qu'on ne viendra jamais te cracher dessus pour les dizaines de photos nues que tu as faites, ni pour le fait que tu aies posé pour Playboy. Si je me suis permis de mentionner ces photos, c'est uniquement pour les comparer à celles qu'on peut trouver de celles dont tu dénonces le féminisme et la vulgarité - parce qu'entre nous, je les trouve très jolis, ces clichés.

Le combat des féministes, c'est l'égalité, mais c'est aussi permettre aux femmes d'avoir le choix. Le choix de vivre leur vie comme elles l'entendent, d'être mères ou non, d'être voilées, nues, en jean, en bikini ou en combi de ski, de travailler ou pas - mais de pouvoir faire tout ces choix sans que leur sécurité ou leur statut soit mis en danger.

Je sais que tes intentions n'étaient pas mauvaises - mais avant de venir donner des leçons sur ce que doit être le féminisme, il faut d'abord balayer un peu devant sa porte et regarder chez le voisin. Nous ne sommes pas toutes égales dans le monde, dans nos cultures. Pour certaines, il faut se battre pour avoir le droit à une éducation et ne pas se faire mutiler. Pour d'autres, il faut se battre pour pouvoir disposer librement de son corps sans qu'une nana un peu à côté de la plaque vienne nous expliquer pourquoi notre féminisme est mauvais et dangereux.

Surtout qu'en ce qui concerne Beyoncé et Nicki Minaj, ça nous rappelle également que les corps des femmes racisées sont systématiquement pris pour cible dans la guerre au vulgaire et au "trop ouvertement sexuel". Le corps des femmes blanches et minces est glorifié tandis que les autres sont "exotiques" dans le meilleur des cas et "obscènes" dans les pires - et ça, c'est un réel problème qui nécessite qu'on remette tous en question notre perception des corps de toutes origines. Le combat pour la réappropriation du corps est multiple et diffère selon les individus, d'où l'intérêt de ne pas imposer une seule et même règle pour tout le monde.

Ce qui est dangereux, Lou, c'est de croire que ces paroles sont sensées. C'est de se tirer dans les pattes entre meufs parce que l'autre a montré son cul ou choisi de parler de sa sexualité librement. Et la vraie catastrophe, c'est d'entendre encore ce genre de conneries se propager dans les médias et de voir qu'on place encore une forme de nudité au-dessus d'une autre.

Tourne plutôt ton combat vers les vrais ennemis du féminisme, ceux qui cherchent encore à faire taire les femmes, en usant souvent de violence. Vers ceux qui justifient viols et agressions par la nudité, justement. Tu ne voudrais quand même pas être associée à ça ? Alors laissons donc les femmes vivre comme elles le veulent et afficher ce qu'elles veulent de leur corps et de leur sexualité, du moment qu'elles se sentent bien.

Si on se soutient les unes les autres et qu'on normalise le corps féminin au lieu d'en faire un objet obscène, on sera beaucoup plus fortes et on gagnera beaucoup plus vite.