Inès, passagère rescapée de la voiture visée par des policiers, témoigne

Publié le Mercredi 08 Juin 2022
Catherine Rochon
Par Catherine Rochon Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Contrôle de police à Paris en 2020/photo d'illustration
Contrôle de police à Paris en 2020/photo d'illustration
Rayana, 21 ans, a été tuée d'une balle dans la tête lors d'un contrôle de police ce 4 juin à Paris. Son amie Inès, qui se trouvait dans la voiture sur le siège arrière, témoigne.
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"Elle n'avait que 21 ans. Elle avait une famille. Elle était belle. C'était quelqu'un qui souriait tout le temps. C'est une victime dans l'histoire. Elle ne méritait pas tout ça."

Inès, 21 ans, était l'amie de Rayana, morte le samedi 4 juin au matin à Paris d'au moins une balle dans la tête tirée lors d'un contrôle de police. Elle était passagère de la voiture visée par les policiers, installée sur le siège arrière, lorsque le drame est survenu. Rayana, elle, était à l'avant. Les deux copines venaient de faire la fête dans le quartier de Pigalle dans le 18e arrondissement. Et elles ne connaissaient pas le conducteur de 38 ans qui a refusé d'obtempérer lors du contrôle policier. "On était avec des amis qui sont rentrés un petit peu avant nous, donc on est restées avec leurs amis. On n'avait plus assez d'espèces pour rentrer. Ils ont proposé de nous raccompagner."

Interrogée en exclusivité par France Info, Inès livre les détails de cette nuit festive qui a tourné au cauchemar. "Au niveau de Clignancourt, trois policiers à vélo ont toqué à la vitre du conducteur parce qu'il ne portait pas sa ceinture de sécurité. Il n'a pas voulu baisser sa vitre. Il a accéléré et s'est arrêté 30, 40 mètres plus loin à cause de la circulation." Le conducteur n'avait pas le permis, il aurait "paniqué" selon Inès. "Je vois deux policiers se mettre au niveau des vitres, devant. Tout est allé très vite. Je n'ai même pas entendu "Sortez de la voiture" ou "Mains en l'air". Ils ont cassé les vitres en tapant avec leurs armes. La scène était très violente. Le conducteur n'a même pas eu le temps d'enlever les mains du volant."

"Nous, on est des victimes"

La jeune femme évoque "une dizaine de coups de feu", une scène de panique qui a "duré longtemps". "Le conducteur a avancé, brutalement cette fois, il a foncé dans une camionnette blanche, ce qui l'a arrêté. On lui a dit : 'Abandonne la voiture, laisse-nous, c'est entre toi et eux, nous, on est des victimes'. On lui a dit : 'Il faut que vraiment tu nous laisses'. Il est parti en courant."

Sonnée, Inès ne comprend pas pourquoi Rayana ne réagit pas, elle pense que son amie s'est évanouie. La jeune femme a en fait reçu une balle dans la tête. "Son corps était lâche. C'est là que j'ai vu son cou rempli de sang. Je n'ai même pas eu le temps de bien réaliser et de la prendre dans mes bras", explique-t-elle. "La police est arrivée derrière nous. Ils nous ont braqués en disant : 'Mains en l'air, mains sur la tête', ce qu'ils auraient dû dire la première fois pour nous laisser une chance, peut-être, de sortir. Ils auraient pu essayer de nous protéger et d'arrêter le conducteur." Rayana est décédée le lendemain, dimanche 5 juin, des suites de ses blessures.

Inès parle de sa "colère", de sa sidération. "Les policiers auraient pu faire autre chose", s'indigne-t-elle. "La personne est en tort, mais ils n'étaient pas obligés de tirer directement. En venir à tirer sur quelqu'un, surtout lui tirer dans la tête, c'est en dernier recours."

"Il était 10h30 en plein Paris. Il y avait d'autres gens dans la rue, des enfants notamment. Un enfant, une mère de famille, n'importe qui aurait pu prendre une balle perdue. Les policiers n'ont pas pensé à ça. Ils n'ont juste pas su garder la tête froide. Ils ont perdu le contrôle."

"Ca se réglera dans un tribunal"

Alors que les policiers qui sont intervenus ce jour-là ont été remis en liberté ce mardi 7 juin, Inès attend la suite de l'enquête. "Pour l'instant, les policiers sont sortis, c'est comme ça. On ne peut pas faire autrement. Il y aura une enquête qui sera faite. On n'a pas le choix. On ne peut pas faire justice nous-mêmes. On ne peut pas aller dénigrer les gens, ça se réglera dans un tribunal."

De son côté, Laurent-Franck Liénart, l'avocat des trois policiers qui ont tiré sur la voiture et tué la jeune Rayana, a réagi au témoignage d'Inès, réfutant sa version. "Ce que j'ai entendu dans le témoignage n'est pas conforme aux éléments objectifs du dossier. Et donc, il y a certains points sur lesquels cette femme se trompe. Ou alors elle présente une version mensongère portée par l'émotion certainement", estime-t-il sur FranceInfo.

La famille de Rayana va porter plainte ce mercredi 8 juin contre le conducteur et contre X. Par ailleurs, le conducteur du véhicule, grièvement blessé au thorax lors de ce contrôle de police dramatique, a été placé en garde à vue ce 7 juin dans le cadre d'une enquête ouverte confiée à la police judiciaire parisienne notamment pour "tentative d'homicide sur personne dépositaire de l'autorité publique" et "refus d'obtempérer aggravé par la mise en danger d'autrui".

Une information judiciaire visant les policiers impliqués a été ouverte pour "retracer avec précision le déroulement des faits et de déterminer les circonstances exactes d'usage de leur arme par les policiers", a expliqué la procureure de la République de Paris.

Comme le souligne FranceInfo, Inès, aux côtés d'autres ami·es de Rayana et de sa famille, a créé un compte Instagram de soutien @justicepourrayana. "On est là pour Rayana et c'est pour elle qu'on se bat", conclut la jeune femme.