Pourquoi a-t-on autant besoin de gratifications (et comment s'en affranchir) ?

Publié le Lundi 29 Mars 2021
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Pourquoi a-t-on autant besoin de gratification (et comment s'en affranchir)
Pourquoi a-t-on autant besoin de gratification (et comment s'en affranchir)
Entendre les autres chanter nos louanges a du bon. Niveau motivation et bien-être, clairement, rares sont celleux qui pourraient admettre ne pas apprécier les compliments sur leurs réalisations. Mais pourquoi, au juste, cette validation externe est-elle si importante ?
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Ce n'est un secret pour personne : les compliments que l'on reçoit d'autrui sur ses compétences et ses prouesses font du bien. Quand on en est la/le destinataire, les "bien joué", "excellent", "bonne idée" ont tendance à améliorer nettement notre journée. On se sent plus performant·e, notre motivation remonte en flèche et on réussit même à chasser quelques symptômes de notre syndrome de l'imposteur l'espace de quelques heures.

D'après un sondage américain révélé en 2015, 67 % des employé·e·s dont les managers communiquent et félicitent leurs points forts sont ainsi pleinement engagé·e·s dans leur travail, contre 31 % seulement des employé·e·s dont les managers ne s'épanchent que sur leurs points faibles. Contrairement à une idée largement reçue, à défaut de stimuler notre envie de faire nos preuves, entendre qu'on n'a pas réussi telle ou telle tâche nous fera davantage l'effet d'un coup de massue sur un moral déjà pas au top. En revanche, ce qui marche redoutablement, ce sont les encouragements. Et d'autant plus, les éloges.

Devant ces résultats sans équivoque, on se demande : pourquoi cette gratification est-elle si essentielle à notre bien-être professionnel comme personnel ? Et surtout, comment se détacher d'un besoin qui nous rend si accros au jugement des autres ?

Un reflet de notre valeur

Pour la psychologue Dre Kalanit Ben-Ari, c'est clair comme de l'eau de roche : au boulot comme dans la vie, "pour beaucoup de gens, ces commentaires positifs peuvent être le reflet de leur valeur personnelle", décrit-elle à Stylist. "Ils leur rappellent qu'ils sont dignes, qu'ils ont leur place, qu'ils sont aimés, appréciés ou admirés. Ils peuvent y voir un reflet de leur identité ou de leurs qualités, comme le fait qu'ils soient intelligents ou estimés, par exemple."

Elle poursuit, analysant le type de personnes qui serait le plus sujet à en accorder une importance démesurée, et donc, à souffrir de leur absence. "Les compliments sont généralement recherchés par ceux qui dépendent davantage d'influences extérieures pour se sentir bien dans leur peau. Mais plus on dépend de sources extérieures, moins on est authentique - et plus on est anxieux·se", prévient-elle. Au travail par ailleurs, si "cela fait du bien de savoir que nos performances sont conformes à ce que l'on attend de nous, cela peut aussi satisfaire une compétition sous-jacente avec les membres de l'équipe." Pas très sain.

Mais alors, comment se construit ce désir de louanges qui, nécessité à l'extrême, s'avère problématique ? "Dès l'enfance", observe la spécialiste. "Les parents peuvent, par inadvertance, apprendre aux enfants à compter sur des sources de motivations extérieures". Elle avertit les familles contre les conséquences du fait de toujours ramener à soi, à ses propres sentiments, les accomplissements de leur petit·e. "Par exemple, si un parent dit à son enfant 'Je suis si fier de toi' ou 'Je suis si heureux que tu aies bien travaillé', cela implique que le succès de l'enfant est leur succès. Cela n'apprend pas à l'enfant à se fier à sa motivation intérieure."

A la place, elle conseille d'agir de la sorte : "Si un enfant gagne un sport d'équipe, un parent qui dit : 'Merveilleux ! Comment te sens-tu ?' a toutes les chances d'élever un enfant qui cherche sa motivation en interne. Il se sentira aimé et digne d'amour où qu'il soit, car il sait que c'est en lui." Elle précise toutefois : "Cela ne veut évidemment pas dire que les parents ne peuvent pas dire à leurs enfants qu'ils sont fiers d'eux, mais il est important de trouver un équilibre et d'apprendre aux plus jeunes à exprimer leurs propres sentiments." Noté.

Maintenant, quand c'est trop tard pour compter sur l'éducation de nos parents, on fait comment ?

Comment s'en affranchir ?

Il n'y a pas 36 mille façons de (enfin) réussir à ne plus attendre de notre entourage qu'il nous brosse dans le sens du poil. Et cela passe forcément par chérir son amour-propre, histoire que notre avis sur nos prouesses suffise à nous satisfaire. Pour ça, on travaille à mieux s'accepter. Un boulot qui "peut être difficile", admet l'autrice et psychologue clinicienne Dre Christina Hibbert auprès de Bustle, "mais c'est là que commence véritablement la confiance en soi. En acceptant qui nous sommes, nous découvrons que nous n'avons plus besoin de l'approbation ou de l'avis des autres, car nous connaissons la vérité sur nous-mêmes".

Elle donne quelques clés précieuses : "Cela implique de faire des choses gentilles pour soi, de prendre soin de soi, de laisser les autres vous aimer et de pratiquer l'auto-compassion. À mesure que nous renforçons notre estime de soi, notre besoin de rechercher l'approbation diminue considérablement." A nous les séances de self-care intensives, les petits attentions perso et les moments privilégiés en tête-à-tête avec soi-même. Des rendez-vous qui, en ces temps où les sorties sont de toutes façons limitées, n'ont aucune chance d'empiéter sur notre vie sociale. Pas d'excuses pour se cajoler.

Autre point sur lequel absolument travailler : ses croyances, ou ce qu'on appelle plus communément sa voix intérieure. Celle qui sème le doute dans notre esprit et peut devenir plus redoutable que n'importe quel élément extérieur. Plutôt que de l'écouter lorsqu'elle (ab)use d'une négativité nocive et de s'auto-flageller à coup de "de toutes façons, je suis incompétent·e et personne ne m'aime" (on est à peu près tou·te·s passé·e·s par là), on reprend le contrôle de son discours destructeur pour le transformer en quelque chose de constructif et bienveillant.

La psy Dre Ben-Ari avise : "Par exemple, vous pouvez passer de : 'Mon manager n'aime pas mon travail. Il ne l'a pas apprécié et je pense qu'il n'est pas content - je dois être mauvais dans mon travail' à 'J'ai fait de mon mieux et je pense que c'est bien. Si mon manager a besoin que je fasse les choses différemment, il me le dira et je pourrai évoluer grâce à ce feedback. Je suis capable de m'adapter et d'apprendre, et c'est ce qui fait ma force'."

Elle encourage également grandement à s'auto-congratuler. "Si vous avez fait quelque chose qui vous fait plaisir, reconnaissez-le intérieurement. Dites-vous que VOUS vous sentez fier·e de vous. Donnez-vous le retour que vous avez toujours voulu obtenir des autres. Soyez-en la source pour vous-même." Des paroles qu'on ne manquera pas de relire et d'imprimer, pour mieux se convaincre de leur efficacité et finalement, mieux se porter.

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