Ces luxueux dîners où les femmes blanches apprennent qu'elles sont racistes

Publié le Jeudi 06 Février 2020
Clément Arbrun
Par Clément Arbrun Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Des dîners entre femmes blanches pour décontruire leur racisme
Des dîners entre femmes blanches pour décontruire leur racisme
Aux Etats-Unis, il suffit d'une bonne grosse poignée de centaines de dollars pour combattre ses préjugés racistes. Enfin, c'est tout du moins ce que propose un curieux séminaire entre femmes blanches huppées. Une initiative qui laisse dubitatif.
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On croirait assister à un gag satirique, de ceux dont raffolent les scénaristes des Simpson, mais non, c'est bien réel. Aux Etats-Unis (cette nation qui bien souvent surpasse la fiction), des femmes blanches et libérales se réunissent entre elles (et autour d'un bon dîner) afin de "lutter contre leurs préjugés racistes". C'est là le but proclamé de Race to Dinner, un mini-séminaire privé détaillé par ce reportage du Guardian.

Au fil de ces rencontres très monochromes et socialement ancrées débattant des femmes de sensibilité démocrate - ou plus généralement "progressistes", pourrait-on dire. L'espace de ces rendez-vous intimistes, la discussion est menée tambour battant par les créatrices de l'initiative : l'Afro-américaine Regina Jackson et l'Indo-américaine Saira Rao. Confronter la classe privilégiée et progressiste à leur racisme ordinaire mais inavoué ? Un concept qui rappelle en substance la première partie - très ironique - du film Get Out. Et qui soulève forcément quelques interrogations.

Contrer le racisme inconscient

Et parmi elles, celle-ci : suffit-il vraiment de quelques séances en table-ronde (et majoritairement composées de femmes blanches), organisées depuis le printemps 2019, pour terrasser les pensées les plus discriminatoires ? Regina Jackson et Saira Rao, anciennes supportrices d'Hillary Clinton, semblent le penser. Voire en être carrément certaines. La preuve de leur assurance, c'est le prix (pas vraiment anecdotique) de leurs dîners de luxe : 2 500 dollars ! Une somme certes répartie entre huit invitées, mais non-négligeable.

Pour Saira Roa cependant, le jeu en vaut largement la chandelle. "Dans une salle de conférences, ces femmes quitteraient la pièce !", avance l'instigatrice au Guardian afin d'expliquer le pourquoi de Race to Dinner. Une entreprise qui vise avant tout à déboulonner les idées reçues les plus pernicieuses et intériorisées : le "racisme inconscient". Par-delà ces détails somme toute très matériels, perdure cependant un gros souci. Effectivement, Regina Jackson et Saira Rao excluent une certaine frange de leur potentielles participantes. Et notamment, toutes les citoyennes américaines qui ont voté pour Donald Trump il y a quatre ans de cela - et comptent peut être le refaire cette année. A savoir, pas moins de 42 %.

Un chiffre qui n'a rien d'anodin. Même bémol pour les hommes blancs, exclus eux aussi de ces soirées. Les oratrices sont effectivement persuadées que "si les hommes blancs voulaient vraiment changer les choses, ils l'auraient déjà fait". D'où cette impression que Race to Dinner cherche avoue tout à "prêcher des converties" - certaines de ses participantes participent d'ailleurs à des projets centrés sur l'inclusion et la diversité - car toutes, atteste Regina Jackson, "savent déjà qu'elles font partie du problème et veulent faire partie de la solution".

Ce qui ne les empêche cependant pas d'afficher une attitude des plus discutables. En insistant plus que de raison sur leurs valeurs progressistes, certaines de ces femmes privilégiées font ainsi preuve d'un évident "sentiment d'autosatisfaction", tacle le Guardian. L'une de ces hôtes, évoquant ses choix d'embauche irréprochables, se décrit même comme une "white savior" - une sauveuse blanche ! A croire qu'il y a encore du boulot à faire de ce côté-là du débat. Et c'est justement ce travail sur soi et cette écoute que prodiguent les instigatrices, avec force pédagogie, suggérant des lectures et partageant des observations de la vie quotidienne.

Et a priori, ça fonctionne. "Nous pouvons voir le racisme maintenant, alors qu'avant nous ne pouvions pas. C'est pourquoi nous avons besoin de ces dîners. Si notre capacité à repérer ces éléments s'améliore, notre propension à les contester augmentera elle aussi", achève l'une des invitées, optimiste. Trop optimiste peut être, si l'on en croit l'autrice afroaméricaine Nichole Perkins, qui imagine avant tout "l'épuisement mental que cela représente d'avoir constamment affaire à des gens qui pensent avoir déjà "fait le taf" pour la simple raison qu'ils ont déboursé une certaine somme au préalable". L'une des grosses limites de Race to Dinner ?