Raconter la Shoah à hauteur d'enfant : le pari du film "Les secrets de mon père"

Publié le Samedi 17 Septembre 2022
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Véra Belmont a adapté la bande dessinée autobiographique du caricaturiste israélien Michel Kichka pour en tirer un film animé émouvant, "Les secrets de mon père". Ou comment offrir en douceur aux jeunes générations une leçon d'Histoire sur la Shoah et une réflexion sur le devoir de mémoire.
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Michel est un petit garçon plein d'énergie, joyeux et intrépide. Il est amoureux de la jolie Marylin, il joue au foot, et il adore traîner du côté de la confiserie avec son petit frère Charlie. Mais Il est aussi hanté par le lourd silence de son papa. Un patriarche taciturne, qui porte "un numéro de téléphone dans les poils". Car le père de Michel et Charlie est un survivant du camp d'Auschwitz. Mais il refuse obstinément d'évoquer son cauchemar à ses fils, qui savent juste que leur papa "a été dans les camps". Le petit Michel se construit comme il le peut, s'efforçant de combler cette absence et ces non-dits paternels par l'imagination.

Comment parler de l'indicible sans effrayer ? Comment éduquer sans perturber ? Tel était le défi de la réalisatrice Véra Belmont, fille d'immigrés juifs biélorusses communistes. Car si la cinéaste avait en tête de consacrer un film à la Shoah, elle n'arrivait pas à concevoir un projet viable. "Je ne saurais demander à des acteurs de perdre trente ou quarante kilos pour interpréter un déporté, c'est impensable, ce serait indécent ", avait-elle expliqué.

Ainsi, elle a choisi d'adapter la très émouvante bande dessinée de Michel Kichka afin de "montrer l'immontable".

"Même si elle les évoque de manière à peine voilée, la bande dessinée de Michel Kichka ne se passe pas dans ces camps. La grande question des Secrets de mon père et celle qui m'agite depuis toujours est surtout : 'Comment des gens ont-ils pu survivre dans les camps et comment sont-ils parvenus à vivre après'", confie-t-elle.

Comme Marjane Satrapi (Persepolis) et Riad Sattouf (L'Arabe du futur), l'illustrateur Michel Kichka, fils d'un survivant de l'Holocauste, a voulu faire le récit intime de sa jeunesse à travers son album Deuxième Génération, ce que je n'ai pas dit à mon père (Dargaud). Il y raconte avec tendresse la relation parfois compliquée que peut entretenir la seconde génération face aux rescapés de la Shoah et ce traumatisme qui impacte si lourdement les familles.

Michel et Charlie, ces deux gamins qui veulent en savoir plus sur le passé de leur père
Michel et Charlie, ces deux gamins qui veulent en savoir plus sur le passé de leur père

Conserver l'insouciance

Vera Belmont s'est donc emparée de cet album aussi puissant qu'émouvant. Et c'est à hauteur d'enfants qu'elle a choisi d'aborder ce sujet ô combien sensible de la Shoah. De fait, si le passé plane sur le présent des jeunes personnages, littéralement hantés par le silence de leur père, il ne plombe jamais le film. Car la réalisatrice a tenu à conserver l'insouciance de la jeunesse en suivant les chamailleries des petits Michel et Charlie, leurs histoires d'amour et d'amitié, les drôleries du quotidien. De quoi insuffler un ton tragi-comique à une histoire qui aurait pu sombrer dans le sinistre. "Ce ressort permet de prendre du recul sur les évènements", souligne-t-elle. "Il était capital de ne pas raconter l'histoire au premier degré, d'une manière trop frontale".

Le choix de l'animation permet également cette distance, quasi nécessaire, face à un sujet aussi imposant. Quitte à injecter une touche d'humour à la façon d'un Maus d'Art Spiegelman ou un voile d'onirisme pour représenter les camps de concentration. Derrière le trait élégant de l'animation, on retrouve Marc Jousset du studio d'animation "Je suis bien content" et producteur du merveilleux Persépolis de Marjane Satrapi. Un travail colossal qui aura demandé pas moins de dix ans.

Michel Kichka a appris à dessiner aux côtés de son père, survivant des camps
Michel Kichka a appris à dessiner aux côtés de son père, survivant des camps

Un nécessaire travail de mémoire

A la fois récit d'émancipation et coup dans le rétro salutaire, Les secrets de mon père parle aussi bien du devoir de mémoire que de celui de la transmission. Au coeur de l'histoire de ces enfants frustrés de voir leur père muré dans le silence, il y a cette nécessité de libérer la parole afin que l'Histoire, la grande, ne se meurt pas. Et que l'horreur ne se répète pas. C'est ainsi que Vera Belmont a conçu ce joli film, qui grâce à ce médium ludique, pourra toucher aussi bien des enfants que des ados. "Aujourd'hui il est vrai que cette parole s'éteint de plus en plus, c'est pour ça que, moi, je veux continuer à la faire vivre. Pour cela, il faut en effet toucher un large public. Toutes les générations doivent savoir afin que ça ne se reproduise plus".

Derrière ce projet donc, la volonté politique d'éclairer le présent, d'éduquer et de ne pas oublier. "À l'heure où la France réédite Mein Kampf ; où les théories raciales enflent dans le discours politique ; où l'antisémitisme, l'islamophobie, la xénophobie travaillent en profondeur le corps social ; où la stigmatisation de l'autre, de l'étranger, du jeune des banlieues, devient une ritournelle dans les médias, il paraît urgent et nécessaire de revenir sur la pire histoire humaine du 20e siècle pour mettre en lumière combien est monstrueuse, inacceptable", assène la réalisatrice avec gravité.

Une intention évidemment partagée par l'illustrateur Michel Kichka. "Le livre, tout comme le film, est l'histoire d'un traumatisme et d'une résilience, basée sur des faits réels. Il porte un message universel et est une belle leçon pour la jeunesse d'aujourd'hui", conclut-il.

Les secrets de mon père

Sortie au cinéma le 21 septembre 2022

Un film de Véra Belmont

Avec les voix de Michèle Bernier, Jacques Gamblin et Arthur Dupont...