Lifestyle
J'ai descendu la Seine... à vélo
Publié le 9 juillet 2021 à 13:09
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
500 kilomètres de pistes cyclables pour relier Paris à la Normandie ? Le rêve pour prendre un bon bol d'air. Ouvert depuis octobre 2020, le parcours de la Seine à vélo permet de prendre le large à deux roues. Nous l'avons testé.
Seine à vélo Seine à vélo© David Darrault
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J'adore le vélo. Mais je n'en possède toujours pas un. Même si de nombreuses pistes cyclables ont été aménagées à Paris, je n'ai pas encore sauté le pas de l'achat d'un biclou : la circulation frénétique de la capitale me semble hostile et je me sens encore trop vulnérable sur mon petit deux roues alors que des bus énormes ou des voitures bien trop nerveuses me frôlent. Pour autant, je savoure des mini-escapades en enfourchant un Vélib le week-end pour profiter de l'atmosphère un brin délestée de la tension de la semaine. Sillonner la ville sans avoir à m'engouffrer dans une station de métro qui fleure bon l'urine, respirer (sans masque), découvrir des ruelles secrètes, aller pique-niquer au Bois de Vincennes, sac sur le dos... Un régal.

Après plus d'un an et demi d'une crise sanitaire exténuante, en manque cruel de nature et de liberté, l'envie de nous ébrouer à l'extérieur se fait pressante. Nous avons toutes et tous ressenti cet appel du vert, ce besoin d'air, cette nécessité de reprendre notre souffle. Et le vélo est le compagnon rêvé pour amorcer une transition douce. Car au-delà de ses avantages en milieu urbain, il se révèle être un formidable compagnon de voyage. Alors que la crise climatique nous pousse à ausculter notre empreinte carbone et interroger nos modes de consommation, la question des déplacements est devenue un sacré dilemme. Et c'est tant mieux. Car l'avion reste le transport le plus polluant avec des émissions de CO2 de l'ordre de 39 à 53 supérieures par passager que le train 45 fois supérieures selon l'ONG Greenpeace.


Le meilleur antidote pour soigner notre "flygskam" (mot suédois qui désigne la honte de prendre l'avion) ? Le slow travel. Ou comment réinventer notre façon de crapahuter, de se surprendre et d'envisager nos voyages. Adopter ce mode de mobilité plus doux, plus lent et plus écolo, c'est aussi se mettre dans une posture active. Ne plus se laisser prémâcher mollement nos trips en cliquant sur un site de compagnie aérienne et rôtir dans le transat d'un club bondé, mais réfléchir et façonner soi-même ses vacances. Et finalement, cette nouvelle philosophie se révèle plutôt excitante.

Ce satané Covid aura eu ce mérite : nous pousser à repenser nos voyages et à explorer la France comme si elle était un territoire inconnu. Au diable les cocotiers : les vacances hexagonales sont devenues sexy. Dénicher un spot accessible sans avion pour s'offrir un bol d'air, entre tourisme local et micro-aventure, est devenu notre nouvelle marotte. Partant du principe que le trajet en lui-même fait partie intégrante de l'expérience. C'est pourquoi nous avons sauté de joie à l'annonce de l'inauguration tant attendue de la Seine à vélo.

Carte La Seine à Vélo © La Seine à Vélo

Le concept ? Un itinéraire cyclable qui permet depuis octobre 2020 de pédaler au rythme du fleuve à travers 130 communes et de relier Paris, Rouen, le Havre et Deauville. Sur près de 430 km entre Paris et la mer, le parcours balisé (qui traverse 8 départements- Paris, la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine, les Yvelines, le Val-d'Oise, l'Eure, la Seine-Maritime et le Calvados) est émaillé d'expériences étonnantes, entre petits villages et paysages mouvants, perles du patrimoine, découvertes gastronomiques et trésors cachés.

Déambuler le long de la courbe voluptueuse de la Seine en pente douce, découvrir les joyaux du territoire, fureter, déguster une spécialité locale au détour d'un clocher, voilà une perspective diablement séduisante. Nous avons donc voulu tester.

Première étape (sans doute l'une des plus importantes) de cette aventure : le paquetage. Car pour quelqu'un qui (comme moi) a l'habitude d'embarquer l'intégralité de son dressing dans sa valise, voyager à vélo est un exercice d'équilibriste. Et demande une sacrée discipline.

La bonne méthode : s'armer de deux grands tote bags que l'on glissera dans les grandes sacoches profondes placées à l'arrière de notre bécane. Pour l'équipement, ce sera un mix de manches courtes et manches longues, un short et deux pantalons, un bon pull, une trousse de toilette réduite au minimum (n'oubliez pas la crème solaire), une grande gourde, un chapeau et des lunettes de soleil, deux paires de baskets (si jamais on prend la pluie, mieux vaut avoir une paire sèche une fois à l'abri). Et l'élément sans doute le plus essentiel : un poncho de pluie. Car un simple K-way ne protège pas suffisamment lorsqu'on est à deux roues et le risque d'être rincé·e des pieds à la tête est réel (j'ai testé pour vous).

Voyager en vélo nous amène à débarrasser du superflu. Déstabilisant, mais finalement très agréable.

Vélo électrique pour cyclotourisme © CR

Si le parcours de la Seine à vélo est ponctué de nombreux points de départ, nous avons choisi de partir de Jumièges, en Seine-Maritime (accessible en voiture à 20 minutes de Rouen où nous a déposé le train en provenance de Paris). De là, vous pouvez bifurquer vers Deauville ou prendre la direction du Havre.

C'est ici que nous allons récupérer notre vélo électrique, loué chez Loc Vélo, qui nous accompagnera durant trois jours.

Première impression : même si l'on se sait sportif·ve, la bicyclette électrique est l'allié idéal pour ce type de parcours. En dépit de son poids (lourd), il est parfaitement stable et surtout, ses modes "Tour" ou "Turbo" vous seront d'une aide précieuse lorsqu'il s'agira de grimper quelques côtes pas fastoches sans avoir à poser pied à terre et suer toutes les gouttes de votre corps.

Avant d'enfourcher notre fidèle monture, nous en avons profité pour admirer la remarquable et monumentale abbaye de Jumièges, détruite au XIXème siècle, qui suscita l'exaltation des Romantiques. Les vestiges de l'église ont même inspiré Victor Hugo, qui surnomma ce lieu "la plus belle ruine de France". Un conseil : téléchargez la super appli en 3D pour avoir un aperçu "avant-après" bluffant.

Et c'est parti pour quelques 100 kilomètres en direction du Havre. La Seine à vélo mode d'emploi ? Il est ultra-simple : il suffit de suivre les petits panneaux blanc et vert avec le logo "Seine à vélo". Attention, ils sont parfois discrets, donc on reste vigilant à chaque intersection. Grâce aux nombreuses voies vertes de l'itinéraire, on appréciera de rouler sans avoir à frayer avec ces maudites voitures qui nous gâchent si souvent le plaisir. Un pur kiffe : sur notre voie royale, on profite, on ouvre grand nos mirettes le long de champs de lin ondulants et on salue confraternellement les cyclotouristes (et oui, on fait partie de la tribu maintenant) avant de rejoindre le long ruban sinueux de la Seine et ses falaises de craie.

Vous pensiez connaître ce fleuve par coeur ? Nous vous conseillons un arrêt au joli musée MuséoSeine de Caudebec-en-Caux, consacré à la découverte de la Seine normande. Dans cet endroit imaginé comme une promenade interactive le long des berges, des personnages nous racontent l'histoire passionnante et les secrets de ce fleuve capricieux finalement assez méconnu. Autre curiosité du coin à ne pas louper : l'abbaye de St-Wandrille-Rançon, toujours habitée par des moines qui y brassent leur propre bière.

Bords de seine à vélo à Villequier © David Darrault

Par beau temps ou sous un ciel maussade, suivre les méandres de la Seine en roulant le long de la voie verte permet d'apprécier toute la dramaturgie des paysages et d'une lumière qui ont tant inspiré les peintres impressionnistes, William Turner (qui venait poser son chevalet dans les parages) ou encore des romantiques comme Alphonse de Lamartine ou Victor Hugo, auquel un petit musée est consacré dans le village de Villequier. Assez pédalé pour aujourd'hui ? Filez poser vos sacoches et reposer vos gambettes dans l'une des quatre chambres d'hôtes coquettes de la splendide Villa Octavia et allez lorgner les jolies maisons qui bordent le fleuve à Villequier ("On serait pas mal pour notre prochain confinement ici, non ?"- classique 2021).

A noter que le site de la Seine à vélo recense les lieux de visite, les hébergements et les restos "Accueil Vélo" qui garantissent des services spéciaux auprès des cyclistes tout au long de l'itinéraire. Pratique.

Le lendemain, on reprend possession de notre monture pour un charmant tronçon de voie verte de Villequier à Petiville. Là encore, c'est l'occasion de jouir de la lumière poétique et du calme en filant le nez au vent sans se soucier de la circulation. On en profite pour glisser dans nos sacoches quelques produits locaux achetés dans les fermes du coin. Puis on quitte notre chère Seine pour rejoindre Lillebonne où l'on va admirer le théâtre romain, l'édifice de spectacle antique le plus grand et le mieux conservé du nord de la France. Le musée gallo-romain Julio Bona, situé en face, présente notamment de très beaux objets funéraires et des céramiques retrouvés sur ce site archéologique remarquable.

© CR

On reprend nos vélos pour aller se requinquer dans l'adorable jardin du salon de thé l'Abbaye du Valasse : le vaste parc est une splendeur, les produits sont locaux (et présentés dans des bocaux à réchauffer- rigolo) et on peut y faire le plein de ravissantes créations made in Normandy.

Enfin, dernière ligne droite entre Lillebone et Le Havre. Durant 2 heures, on alternera pistes cyclables et voies partagées (mais la circulation automobile est peu dense) avec toujours le plaisir de croiser des vergers en fleurs et chaumières normandes typiques. Oui, l'exotisme peut se loger dans un toit de paille.

L'église St-Joseph du Havre © Catherine Rochon

Notre parcours s'achève sur l'une des plus belles surprises de ce périple à deux roues : Le Havre. Vous aviez en tête une ville sinistre, industrielle et sans intérêt ? Oubliez tout.

Le Havre recèle de nombreux trésors, à commencer par son étonnante architecture et son histoire singulière. En effet, le centre-ville dévasté par la guerre (80% du centre fut détruit en 1944) a été reconstruit de 1945 à 1964 sur les plans de l'architecte Auguste Perret. Sa spécialité ? Le... béton. Il en résulte une harmonie urbaine fascinante pour qui s'intéresserait à l'architecture contemporaine. Des immeubles remarquablement proportionnés à l'audacieuse église St-Joseph et son clocher de 107 mètres, joyaux de la reconstruction, de l'impressionnante tour de l'Hôtel de Ville (18 étages !) en passant par ses oeuvres inédites disséminées partout, Le Havre est une ville qui interpelle, qui s'apprivoise et qui séduit.

L'UNESCO ne s'y est d'ailleurs pas trompé en l'inscrivant au patrimoine mondial en 2005.

Vue du Havre du 17e étage de l'Hôtel de ville © Catherine Rochon

Pour découvrir les secrets qui se nichent derrière ces façades avant-gardistes, réservez une visite guidée à la maison du Patrimoine. Vous pourrez par exemple découvrir l'incroyable appartement témoin conçu par l'atelier Perret et meublé par des créations de René Gabriel (avis aux fans de design).

N'oubliez pas également de filer au MuMa (Musée d'art moderne André Malraux), pépite de la ville logée en front de mer. Ce beau musée baigné de lumière accueille l'une des plus importantes collections impressionnistes de France. On peut y admirer des oeuvres de Renoir, Pissarro, Sisley, Degas ou encore Courbet et Corot, mais aussi de très belles toiles de Duffy, de Boudin et de Monet. A tomber.

Vélos sur la plage du Havre © David Darrault

Bilan de cette escapade à deux roues ? Nous avons adoré cette manière inédite de découvrir le territoire, légère, joyeuse et eco-friendly. D'ailleurs, nous préparons déjà une virée Paris-Giverny pour la rentrée. Vivement.

Infos pratiques :

- Le Guide vélo de l'itinéraire La Seine à vélo
- Téléchargez les PDF par étape

A noter que le site internet de La Seine à Vélo s'adapte parfaitement à votre smartphone et vous pouvez géolocaliser votre position sur les cartes durant votre séjour.

Mots clés
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