Inclure les sportives transgenres dans les compétitions, est-ce "inéquitable" ?

Publié le Dimanche 26 Juin 2022
Le HuffPost
Par Le HuffPost Média
La décision est tombée : les femmes transgenres seront exclues de la compétition le temps que l'International Rubgy League statue sur sa "politique d'inclusion complète". Mais quelle politique ? Est-il "inéquitable" d'inclure les sportives trans dans les compétitions ? On fait le point.
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C'est au tour de l'International Rugby League (IRL) de se positionner sur la question de la participation des transgenres aux compétitions sportives internationales. Ce mardi 21 juin, l'organisme a annoncé que les femmes transgenres ne pourront pas participer aux matches de rugby à XIII tant que n'aura pas été établie une "politique d'inclusion complète".

Les autorités de l'IRL ont dit avoir besoin de consultations et de recherches supplémentaires pour finaliser une nouvelle politique pour 2023, invoquant un "risque juridique, pour la réputation et le bien-être" du jeu et des joueurs.

En attendant, leur communiqué indique, avec ces mots, que "les joueuses passées de sexe masculin à féminin (transsexuelles) ne peuvent pas participer aux matchs internationaux de rugby féminin". Cela signifie que les transgenres ne pourront pas participer en novembre à la Coupe monde de rugby féminin qui aura lieu en Angleterre.

Cette annonce intervient deux jours après celle de la Fédération internationale de natation, qui a décidé de créer une "catégorie ouverte" pour les femmes transgenres. Auparavant, la Fédération nationale d'athlétisme s'était positionnée sur le sujet, avec pour règle que les femmes transgenres présentent un taux de testostérone suffisamment bas pendant au moins douze mois avant une compétition.

Des arguments contestés

Ce sujet soulève une polémique qui ne date pas d'hier entre ceux qui défendent le droit des sportives transgenres à concourir librement en tant que femmes et ceux qui estiment que ces athlètes bénéficient d'un avantage physiologique injuste.

Des arguments contestés par certains chercheurs. "C'est un discours courant dans le milieu du sport, estimait dans un précédent article du HuffPost Lucie Pallesi, doctorante en STAPS à l'université Paris-Saclay et autrice d'une thèse sur la transidentité et le sport de compétition qui évoque des "pseudo-arguments scientifiques sans fondements". Pour cette dernière, les records des sportifs masculins s'expliquent plutôt par des raisons sociales que biologiques.

"Tous les records olympiques sont le fait d'hommes, reconnaissait également la socio-historienne du sport Anaïs Bohuon. Mais ces records s'inscrivent dans une histoire et ne sont pas la résultante de quelque chose de naturel".

Elle rappelle ainsi que les femmes ont historiquement été "limitées à certaines pratiques sportives qui ne sollicitaient pas la robustesse et la force, mais plutôt la grâce et l'élégance" dans le but, notamment de ne "pas mettre en danger leurs organes reproducteurs". Résultat : les femmes ont "un siècle de retard sur les hommes".

La nageuse transgenre Lia Thomas aux championnats NCAA le 21 mars 2022
La nageuse transgenre Lia Thomas aux championnats NCAA le 21 mars 2022

"Il est évident que quand on demande aux grandes joueuses de tennis de faire deux sets plutôt que trois comme les hommes, ou quand les poids, les distances sont allégés et réduits, elles ne vont pas s'entraîner ou se muscler de la même manière et n'auront pas la même endurance", renchérit Anaïs Bohuon.

Avant d'ajouter : "Un avantage physique dans le monde du sport est indéfinissable. Outre l'aspect génétique et physiologique qui entre forcément en compte, personne ne le nie, il y a aussi tout un ensemble de facteurs qui peuvent jouer comme la socialisation ou les composantes familiales, environnementales ou économiques. Mais c'est un ensemble indissociable."

Un avis partagé par le professeur de civilisation américaine à l'Université de Rouen et spécialiste de l'histoire du sport Peter Marquis qui confirme "qu'on ne sait pas expliquer la performance sportive".

"Certes en moyenne les femmes ont moins de muscles et sont moins rapides, mais ce ne sont pas les moyennes qui font les performances", ajoute-t-il, estimant que "le sport moderne, né au XIXe siècle, repose sur une vision sexiste de l'humanité". Pour lui, ce qui explique le mieux ces différences pourrait être "l'investissement financier", en référence à l'argent investi pour les compétitions masculines en comparaison avec les féminines.

Au sujet des athlètes trans précisément, le professeur assure d'ailleurs qu'il "n'existe par exemple aucune preuve scientifique ou statistique que des femmes trans aient écarté des femmes cisgenres".

"Au niveau élite, les championnats du monde, les compétitions olympiques... les sportives transgenres ne remportent pas plus" de médailles, avait précédemment balayé auprès de l'AFP Éric Vilain, expert auprès du Comité international olympique.

"Il y a énormément de facteurs qui entrent dans la fabrique d'un athlète, détaille ce professeur de génétique humaine. Une athlète transgenre qui va faire du basket sera en moyenne plus grande donc ça peut être un avantage, mais en gymnastique elle sera peut-être trop grande."

Megan Rapinoe, joueuse de football américaine, gagnante des Jeux Olympiques et lesbienne, s'est positionnée sur ce sujet dans Time magazine : "Montrez-moi les preuves que partout les femmes trans acquièrent toutes les bourses d'études, dominent tous les sports et gagnent tous les titres. Je suis désolée mais rien de tout ça n'arrive. Donc nous devons commencer à être inclusifs, point."

Les conditions du CIO

Le comité olympique (CIO) s'était d'ailleurs penché sur cette question dès 2003. Dans leur rapport, les médecins du CIO se prononcent pour la participation des personnes transgenres aux compétitions sportives correspondant à leur genre vécu, sous trois conditions : que des changements anatomiques aient été réalisés, un changement de sexe à l'état civil et que les traitements hormonaux puissent être vérifiés pour "minimiser les avantages liés au genre dans les compétitions sportives".

Ces recommandations ont ensuite évolué en novembre 2015 juste avant les Jeux olympiques de Rio, avec une spécificité : les hommes trans peuvent désormais participer sans restriction aucune aux compétitions masculines, mais les femmes trans doivent en revanche se soumettre à des tests pour prouver que leur taux de testostérone ne dépasse pas un certain seuil (10 nmol/L de sang), au moins un an avant la date de la compétition. Des règles qui ont été appliquées lors des Jeux de Tokyo en 2021.

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