Relire Annie Ernaux.
Quelques années après le sacre de la romancière française, élue Prix Nobel de Littérature - succédant dès lors à un écrivain tel que Patrick Modiano dans le rang très resserré des plumes hexagonales lauréates du précieux sésame suédois - il faut plus que jamais se replonger dans les écrits de l'autrice de La place, Les années, La femme gelée, Le jeune homme...
Annie Ernaux, c'est un regard féminin redoutable de précision et de lucidité, un style puissant, faussement neutre, véritablement incarné, une étude à la fois sociologique et subjective de la condition féminine - au service d'une littérature profondément féministe. Et parmi ses plus marquants écrits, il faut se jeter sans plus attendre sur Mémoire de fille.
Cela tombe bien, une voix tout aussi forte est fan de ce dernier opus : Judith Godrèche !
Tant et si bien que la comédienne et cinéaste, après le retentissement de sa série pour Arte, perle tragicomique que l'on peut encore revoir en ligne, et de ses combats juridiques ayant profondément marqué les luttes #MeToo (Judith Godrèche a porté plainte contre les cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon), a décidé d'adapter au cinéma ces "Mémoires" essentielles...
Avec une sacrée actrice dans le rôle-titre.
Et oui, Judith Godrèche redouble d'ambition.
Pour incarner ces Mémoire(s) de fille, qui comme souvent chez Annie Ernaux, consiste en une trajectoire de vie, un récit d'autofiction romanesque relatant à travers une subjectivité l'immensité de la condition féminine (l'autrice se raconte, elle, pour mieux raconter les femmes et son époque), Godrèche a effectivement choisi de diriger une actrice Césarisée.
Soit Maïwène Barthélémy, autrement dit la grande révélation féminine de Vingt Dieux (premier film remarquable au passage), lauréate du César l'an dernier au sein de la catégorie éponyme. Judith Godrèche n'est pas restée insensible à cette comédienne. Nous non plus : elle excelle dans ce rôle de jeune agricultrice émancipée, d'autant plus qu'elle est encore débutante. Et oui car Maiwene Barthélémy est agricultrice "dans la vraie vie", à l'origine, avant de fouelr avec brio les plateaux de tournage et de crever l'écran.
D'où une spontanéité qui devrait encore apparaître dans cette adaptation d'Annie Ernaux.
Cela risque également de remettre de nouveau sur le devant de la scène une romancière dont la prose est indissociable des combats féministes depuis un demi siècle bientôt : lutte pour le droit à l'avortement, l'égalité des sexes, la reconnaissance des femmes au foyer, la visibilité des femmes romancières, le matrimoine... A l'heure de son Prix Nobel, les ventes de ses livres avaient connu une admirable recrudescence.
Alors que les transpositions sur grand écran d'Ernaux n'échappent pas à la réussite (le choc L'événement, sacré à la Mostra de Venise lors de sa sortie), on attend impatiemment de voir ce qu'une femme aussi engagée que Judith Godrèche, dont la série Arte largement autobio était d'ailleurs un modèle d'écriture (grinçante et pleine de dérision), fera de ce foisonnant matériau.
Et en attendant, donc, on relit Annie Ernaux.
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