Société
Faut-il rendre son agression publique pour être entendue ?
Publié le 24 novembre 2018 à 09:00
Par Marguerite Nebelsztein
Rendre publique son agression, c'est s'exposer aux coups du cyber-harcèlement, mais aussi aux messages de soutien. C'est aussi parfois un moyen de toucher d'autres victimes ou parfois de faire avancer l'enquête. Marie Laguerre, Adelaïde et Nolwenn sont trois de ces victimes qui ont témoigné de leur agression en ligne. Elles témoignent de leur expérience.
L'agression de Marie Laguerre L'agression de Marie Laguerre© Marie Laguerre
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En juillet dernier, Marie Laguerre se faisait agresser par un homme à Paris. Il lui fait des remarques sexistes, elle lui répond. Il n'apprécie pas et revient vers elle pour la frapper avec un cendrier. Toute la scène sera filmée par des caméras de vidéo surveillance de la brasserie devant laquelle l'agression s'est déroulée.

Après avoir récupéré la vidéo auprès du patron du bar, Marie Laguerre la publie sur Youtube et sur les réseaux sociaux. Sa vidéo devient virale et est relayée par les médias du monde entier jusqu'à être vue aujourd'hui plus de 6 millions de fois.

Interpellé seulement trois jours plus tard, son agresseur a été jugé début octobre et a été condamné à six mois de prison ferme. Au moment du procès, l'avocate de son agresseur avait dénoncé une "surmédiatisation de l'affaire" pour des faits qui, selon elle, "restent relativement peu graves".

Marie Laguerre, elle, explique être sûre que la médiatisation de son agression a aidé à la résolution de son affaire : "J'en suis sûre à 100 %. Aucun doute. C'est la médiatisation qui a poussé l'affaire. Ce qu'il s'est passé, c'est que quand ça a été médiatisé et que le gouvernement l'a vue, le jour même, le commissariat m'a appelée. Il me semble qu'ils ont même rappelé un enquêteur qui était en congé ce jour-là pour qu'il reprenne le dossier. Le lendemain matin, il a fallu que je retourne au commissariat refaire la plainte de manière complète, et c'est le parquet qui a ouvert une enquête."

La jeune femme de 22 ans ajoute : "La plainte n'avait pas été mal faite, elle avait été faite comme n'importe qui, elle a été mise dans une pile et elle aurait été prise en charge bien plus tard, même si ce sont des suppositions. Mais je suis sûre que la médiatisation a joué, ils ont mis des moyens, et il y avait un enjeu vu l'impact que ça a eu, les médias étrangers suivaient l'affaire."

De plus, au coeur de l'été, la loi Schiappa contre les violences sexistes et sexuelles était en plein débat pour être votée.

À la question "Faut-il rendre son agression publique pour être entendue ?", la préfecture de police de Paris ne répond pas par l'affirmative. Mais une policière au sein de la préfecture le confirme : "Ça aide beaucoup les services de police. C'est un support pour nous. Mais on ne peut pas encourager les femmes à filmer ou prendre des photos."

Sur la médiatisation et le fait de poster une vidéo sur les réseaux sociaux, Marie Laguerre ne le conseille pas non plus à tout le monde : "C'est difficile de dire qu'il faut médiatiser son affaire, ça aide et ça fait bouger les choses. Mais je suis gênée de dire qu'il 'faut'. Parce que c'est comme si on donnait une injonction, sachant que quand on le médiatise, ce n'est pas facile du tout. Il y a un retour hyper violent sur les réseaux sociaux. Alors ça ne devrait pas être nécessaire mais ça aide énormément, mais ce n'est pas quelque chose qui est facile à assumer. La justice devrait faire son travail sans qu'on ait à faire ça. "

Filmer son agresseur et publier la vidéo sur les réseaux sociaux

Adelaïde travaille comme collaboratrice. Cette trentenaire rejoignait la ligne 1 à la station Gare de Lyon le 29 octobre dernier quand un homme lui a touché les fesses.

Elle se décide à filmer elle-même cet homme qui la suit par derrière : "Je me suis retournée une première fois, et au départ, je filmais pour me rassurer et être dans le contrôle de la situation. J'avais peur de me faire des films sur ce qu'il venait de faire. Mais de retour chez moi, j'ai montré la vidéo à des potes qui m'ont confirmé je n'étais pas folle sur l'attitude du mec."

Elle ne sait pas très bien de ce qu'il va advenir dans un premier temps de la vidéo : "En filmant, je ne savais pas ce que ça allait donner à la fin. En sortant du métro depuis une autre station [que celle où s'était passée l'agression], je me suis rapprochée d'agents de la RATP. Ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient rien faire et que je devais aller voir les agent·es de la station où s'étaient déroulés les faits."

Face à la vidéo de l'homme, elle décrit son indignation : "J'étais tellement en colère que je l'ai postée sur les réseaux sociaux. Je voulais montrer cette attitude prédatrice que j'avais réussi à choper, qui démontre que non, ça n'est pas de la drague."

Adelaïde ne sait pas si sa vidéo a aidé à la résolution rapide de son affaire : "Elle n'était pas encore devenue virale et n'avait que 200 vues quand un homme m'a contacté en me donnant le numéro de la Brigade des transports. Je les ai contactés et ils ont été hyper à l'écoute. J'allais porter plainte de toute façon. Mais eux sont spécialisés."

"Il faut que ces victimes se préservent d'abord"

Arrêté quelques jours plus tard, le 5 novembre à Val-de-Fontenay dans le Val-de-Marne, son agresseur a été condamné le 8 novembre à trois mois de prison avec sursis et un euro de dommage et intérêts symbolique.

L'avocate de agresseur a accusé Adelaïde de l'avoir "jeté en pâture" en public. Elle ne s'attendait pas à une attaque aussi violente : "J'ai cru que j'allais péter un câble, j'étais super choquée. Toutes les preuves étaient là."

Aujourd'hui, elle se dit soulagée de la condamnation : "Il a été reconnu coupable. Je n'ai pas demandé de dommages et intérêts, mais c'était pour la démarche. Il y en a marre. A chaque fois, on ferme notre gueule pour une main au cul. Si on ne dit rien, c'est quoi la prochaine étape qu'on va banaliser ?"

Ce qui est sûr, et qui est confirmé par la police des transports, c'est que c'est bien la vidéo qu'elle a filmée qui a permis à la résolution rapide de son affaire : "Si je ne prenais pas de vidéo, ils ne le retrouvaient pas. Le flic qui a attrapé mon agresseur m'a dit : 'Si j'avais pas eu votre vidéo, on ne le retrouvait pas'. Mais on peut aussi tomber sur un fou qui nous arrache notre portable."

D'ailleurs, elle n'encourage pas pour autant toutes les femmes à le faire : "J'ai appris à agir en mode robot. Je me sentais plus forte pour me défendre, je le regardais en mode venère. Donc on ne peut pas le conseiller à toutes les femmes. Il faut peut-être une telle preuve, mais pas forcément la mettre sur internet."

La policière de la préfecture de police de Paris explique la même chose : "Ces femmes qui se font agresser n'ont pas forcément le réflexe."

Le choc traumatique de l'agression fragilise les victimes : "Il y a des gens qui sont tellement choqués de l'agression, ou qui ont peur de se tromper, qui ne reconnaissent même pas leur agresseur parmi dix personnes présentes... Alors que nous, on a vu la vidéo des caméras de surveillance, on sait qui c'est. Moi-même, je suis policière et je me suis déjà faite agresser, mais je ne me suis pas forcément souvenue même du visage de mes agresseurs, même si je suis du métier."

Selon elle, "il faut déjà pouvoir le faire. Souvent, ce sont des preuves en plus mais il faut que ces victimes se préservent d'abord."


"Toucher d'autres victimes et en parler"

Quand elle publie son message sur Twitter le 15 novembre, Nolwenn est en colère. Cette étudiante de 21 ans en BTS Tourisme à Nantes vient de recevoir une facture de 200€ d'analyses d'hôpitaux.

Début septembre, elle a été victime d'une agression sexuelle dans un parc en rentrant de soirée. Elle rentre à l'internat en pleurs, la directrice appelle les pompiers et elle est ballottée de l'hôpital à la police pour porter plainte.

Elle raconte le dénigrement des policier·ères à son égard qui semblent sous-entendre qu'elle ne dit pas la vérité, jusqu'à la réception de cette facture dont personne ne lui avait parlée à l'hôpital.

Mais avec ses messages sur Twitter, elle rend aussi publique son histoire : "Je pense que je savais que j'allais en parler un jour parce que c'est important d'en parler et de dénoncer. De dire ce qui était arrivé. Pour extérioriser. Il fallait juste le temps que je sois prête, parce qu'au tout début, c'était assez compliqué. Je l'ai fait pour dénoncer et toucher les gens. Pour toucher d'autres victimes et en parler."

Victime d'une autre agression similaire plus jeune avant le déclenchement de #MeToo, elle explique : "Je ne l'ai pas dit. Je n'aurais peut être pas parlé avant #MeToo. Je n'avais pas porté plainte non plus."

Mais Nolwenn pèse l'importance de la parole : "Chaque témoignage et chaque voix est importante même si au final, c'est triste à dire, mais les histoires se ressemblent un peu toutes, il y a beaucoup de victimes, tous les jours partout, mais c'est quand même important de dénoncer que ça bouge, que les gens voit que c'est tous les jours partout. Que cela peut arriver à n'importe quelle fille."

Quand l'une de ses camarades apprend que Nolwenn a été victime d'une agression sexuelle, elle en parle au reste de sa classe. Les étudiant·es sont choqué·es, mais ne viendront pas lui en parler. Seule une personne est venue lui souhaiter du courage : "Ils n'osaient pas trop m'en parler, je pense".

Des très rares messages négatifs qu'elle a reçus, Nolwenn sait, à son âge, que c'est le lot des réseaux sociaux, mais elle ne s'attendait pas à l'ampleur des partages de ses messages.

Sur Twitter, Nolwenn a été contacté par la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa. Une membre de son cabinet est revenue vers elle et lui a affirmé qu'ils chercheraient à creuser sur ce qui n'a pas été à propos de la facture : "Elle m'a adressé tout son soutien de la part de la ministre, d'elle-même et de toute son équipe [...] Je ne sais pas trop ce qu'elle va faire et si ça va changer quelque chose, mais au moins, ils m'ont contactée et écoutée".

Elle n'a en revanche aucune nouvelle de sa plainte même si on lui avait promis mi-novembre de la rappeler : "Je ne pense pas que de poster mon histoire sur Twitter a fait avancer les choses. Je ne sais pas ce que ça peut changer ou ce que ça peut faire d'être en contact avec l'équipe de Marlène Schiappa, je n'attends rien de spécial. Si ça peut faire avancer les choses pour toutes les femmes victimes d'agressions sexuelles, tant mieux."

Les conséquences en ligne de la publication de son agression


De son côté, en revanche, Marie Laguerre a reçu de très nombreuses menaces de viol ou de mort sur les réseaux sociaux. Une plainte pour cyber-harcèlement devrait être déposée bientôt. La jeune femme ne veut pas laisser passer. Elle a aussi reçu de nombreux message de dénigrement : "Ils disent qu'on fait ça pour l'attention, on est des menteuses, il y a des attaques faciles sur le physique. Cela énerve les gens au plus profond d'eux-mêmes qu'on se défende, ils pensent qu'on est censé ignorer le harcèlement et baisser la tête."

Le cyber-harcèlement a pour elle été dur à vivre : "Pour moi, ça a été très violent, même plus violent que l'agression en elle-même. Mais je n'ai aucun regret parce que c'était important de le faire."

Elle salue le courage d'Henda Ayari d'avoir dénoncé l'islamologue médiatique Tariq Ramadan à visage découvert et dénonce les violentes attaques que cette dernière a subi : "Respect pour ces femmes qui le mette sur la place publique, c'est pas facile. Elles se retrouvent avec des personnalités connues. A chaque fois qu'un homme puissant viole une femme, c'est double peine."

Sur Twitter, Adelaïde n'a reçu, elle, que des messages positifs. Le fait qu'elle s'identifie moins comme "militante féministe" que Marie Laguerre a sûrement joué : "Sur mon profil, je m'identifie quand même comme militante LGBT. Mais je n'ai pas affiché mon visage comme elle. Je ne veux pas être un porte-drapeau. Ça m'a évité de prendre des coups, je pense."

Une aide pour les victimes anonymes

Marie Laguerre, Adelaïde et Nolwenn sont devenues des symboles et des aides pour de nombreuses femmes victimes de violences. Elles sont toutes les trois régulièrement contactées par des femmes victimes comme elles de violences.

En message privé, Nolwenn explique avoir reçu beaucoup de messages : "J'ai eu beaucoup beaucoup de filles qui m'ont dit 'moi aussi j'ai été victime d'une agression sexuelle'. Alors, cette vidéo, c'était pour montrer à ces personnes qu'elles n'étaient pas seules."

Parler était pour elle une nécessité aussi pour les autres victimes : "Il fallait que je le fasse. Même si seulement une personne me dit : 'Merci d'avoir parlé', c'est déjà énorme."

Marie Laguerre vient d'être nommée à la 49e place des 100 femmes les plus importante de l'année par la BBC : "C'est difficile de l'intérieur de s'en rendre compte de ce que je représente. Même si il y a surement une forme de symbole. Et surtout, je me sens une responsabilité pour toutes ces personnes qui me contactent. J'ai envie de les aider."

Très prise par ses études en architecture, Marie Laguerre essaie aujourd'hui de faire le maximum pour passer de la parole aux actes en transformant son site de recueil de témoignages Noustoutesharcelement.com en site d'action.

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